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La douche froide : le sondage qui montre que la victoire de 2018 laisse les Français totalement de marbre sur le vivre-ensemble
©BERTRAND GUAY / AFP

Exclusif

Un sondage exclusif Ifop pour Atlantico montre que l’euphorie sportive des Bleus ne semble pas contaminer l’optimisme ni la perception d’un véritable vivre-ensemble pour les Français. Ils ne sont que 24% à penser que la Coupe du Monde va améliorer les relations entre les Français non-issus de l'immigration et ceux qui le sont.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Votre sondage montre que l’euphorie sportive des Bleus ne semble pas contaminer l’optimisme ni la perception d’un véritable vivre-ensemble pour les Français. Ils ne sont que 24% à penser que la Coupe du Monde va améliorer les relations entre Français issus de l’immigration et Français non issus de l’immigration. Et 23% entre Français des centre-ville et des banlieues. Vit-on une victoire qui s’oppose à la France Black Blanc Beur tel qu’on l’a décrit en 1998 ? Quelles différences entre les deux événements laisse entrevoir votre sondage ?

Jérôme Fourquet : On voit que l’impact dans l’opinion publique de la victoire sportive tout à fait méritoire et remarquable de l’Equipe de France n’a pas été aussi puissant que le parcours de leurs glorieux ainés en 1998. On le voit dans notre enquête avec un différentiel de résultat d’à peu près de trente points quand on compare les deux victoires, que ce soit sur l’optimiste que cette victoire aurait engendré, ou de manière plus particulière quant aux relations entre les différentes catégories au sein de la population française puisque c’est évidemment dont il était en permanence question de manière sous-jacente dans les commentaires qui ont accompagné l’euphorie consécutive de la victoire des Bleus. 

Comment l’expliquer ? De plusieurs manières. D’abord sans doute parce qu’on a un effet rétrospectif : 98, c’était la première qu’on avait un événement de cette ampleur. Et on a aujourd’hui collectivement et individuellement le recul nécessaire pour juger de ce qui s’est passé ensuite. De très nombreux jeunes qui n’étaient pas né ou trop jeune lors de 98 étaient dans une sorte de « revival » générationel de ce qui s’était passé en 98. C’est vrai pour les jeunes, mais pour le reste de la population, qui a vécu 98, qui a connu l’engouement réel de ce moment là. Et cet engouement a été ensuite quelque peu douché. 20 ans se sont passés, et la situation de la société française ne s’est manifestement, aux yeux de nombreux citoyens, pas améliorée. Il y a une espèce de rétrospective, considérant qu’on avait beaucoup cru en 1998, que 2018 est de la même ampleur. Or l’histoire leur a montré des fractures françaises, des doutes, des divisions au sein de la société, des remises en question du vivre ensemble. Et que le doute est bien présent, voire s’est renforcé. 

Deuxièmement, quand on rentre dans le détail de ce long cheminement de vingt ans, qu’avons-nous connu collectivement, qui a marqué les esprits ? Nous avons, puisqu’il est question d’intégration de la jeunesse de banlieue, issue de l’immigration, les émeutes de 2005. Ces émeutes de 3 semaines montrent de manière tout à fait limpide et criante l’ampleur des fractures qui existent entre le jeunesse des banlieues et le reste de la société française. Et ce même si un certain nombre de porteurs du maillot bleu sont des incarnations vivantes des voies de réussites et d’intégration qui peuvent s’offrir à cette partie population française, 2005, soit 7 ans après la victoire 1998, vient remettre en question le « black blanc beur » de 1998. Même plus tôt, avec le 21 avril 2002, l’accession au second tour de la présidentielle du candidat du Front National, Jean-Marie Le Pen, on voit sur le plan politique un certain nombre de fractures présentes, quand on sait que Le Pen est alors élu sur un discours qui fustige l’immigration. Et on est 4 ans seulement après 1998. Et si on se rapproche d’aujourd’hui, dans un autre registre, la vague d’attentat de 2015 qui s’est prolongée en 2016, est une autre démonstration, dans un autre registre, du fait que la société française avait en son sein une partie de la population qui ne faisait pas société avec le reste du corps social et rejetait très fortement nos valeurs. Tout cela est présent dans les mémoires collectives et explique le fait que le choc d’optimisme de 1998 est beaucoup plus tempéré aujourd’hui. C’est une forme d’expérience acquise depuis vingt ans qui s’exprime. 

Sinon, quand vous regardez ce qui s’est passé en termes de ségrégation en termes de logement, comme on le voit dans les banlieues ou certains quartiers des grandes villes, en termes de scolarité, avec le contournement de la carte scolaire qui est devenu un sport national, quand on a des collèges et lycées où les recrutements se font de façon importantes sur bases ethno-culturelles, tout cela ne montre pas d’amélioration et ces fractures moins visibles impriment malgré tout la rétine de nos concitoyens. Tous ces éléments-là font que la France de 2018 n’est plus celle de 1998. D’où un impact en termes d’optimisme qui est moins fort. 

On peut combiner cette analyse avec les commentaires plus ou moins explicites que vos confrères ont recueillis auprès des jeunes qui faisaient la fête après la victoire. Tout se passe comme si on avait fait la fête parce qu’on était d’autant plus conscient de ces fractures françaises, et que c’était quelque part une forme de convention française, un moment en apesanteur que les magnifiques Bleus avait offert à la communauté nationale pour l’aider à passer non seulement un bon moment mais aussi un peu de baume sur les  blessures de notre société. Comme s’il fallait d’autant plus faire la fête d’une part pour les plus jeunes parce qu’il y avait une forme de séance de rattrapage pour eux, mais plus généralement parce qu’on était très conscient de l’état de fragmentation de notre société. Ce qui explique par exemple les premiers chiffres de notre sondage qui compare une enquête récente datant d’il y a trois mois et constate qu’entre aujourd’hui et ce passé proche, le diagnostic des Français s’est même dégradé par rapport à l’avant coupe du monde. C’est compréhensible quand on sait que de très nombreux commentaires journalistiques insistaient sur le fait qu’on avait vraiment besoin de cela, que la dernière fois que les Français étaient descendus aussi nombreux dans les rues était au lendemain de Charlie, du Bataclan, de l’assassinat du gendarme Beltrame…. On s’est d’autant plus lâché que les événements nationaux précédents avaient mis en lumière l’état des fractures dans la société française. On peut aussi se dire que c’est peut-être un signe d’une maturité civique et démocratique de nos concitoyens qui avaient un peu plus de distance face à cet événement qu’un certain nombre de commentateurs à chaud qui en ont fait des tonnes sur cette événement qui encore une fois, il ne faut pas le minimiser, est sur le plan sportif tout à fait exceptionnel. On ne peut nier l’ampleur des mouvements de liesse qui ont accompagné cette victoire. Cela a été un vrai moment de bonheur national et de cohésion, mais les Français avaient en tête le précédent.

Quand on regarde qui sont les principaux soutiens d’une vision optimiste du rôle de la victoire des Bleus sur la société, outre les jeunes, on observe que la catégorie la mieux représentée est celle des sympathisants LREM. Est-ce à dire qu’il y a une forme d’aveuglement de la part de cet électorat ou s’agit-il d’un soutien quelque peu irrationnel porté à leur candidat ?

Vous avez raison de souligner qu’on constate de manière récurrente dans l’enquête que les électeurs d’Emmanuel Macron depuis le premier tour de la présidentielle se caractérisent par un degré d’optimisme sur l’impact de cet événement sportif qui est le plus important de toutes les catégories de Français. Il y a plusieurs événements qui peuvent expliquer cela. Il y a tout d’abord beaucoup de méthode Coué et de « wishful thinking » en se disant que cela pourrait permettre de relancer l’économie française, provoqué un choc de confiance et considérant que c’est bon pour leur champion. Ce dernier n’en a pas trop fait effectivement, mais pourrait caresser l’idée comme tout président confronté à une telle situation de surfer sur la vague.

Il y a un deuxième élément, qui est que cet électorat se caractérise structurellement, historiquement par un degré d’optimisme nettement plus fort que la moyenne. Il s’agit des catégories les mieux intégrées dans la société française. Et les macroniens sont même plus optimistes que les cadres supérieurs. C’est un peu une marque de fabrique de cet électorat, qui est plus optimiste que la moyenne, et qui donc a plus tendance à voir dans tel ou tel événement ou tel ou tel signe une promesse d’amélioration et d’embellie. D’aucuns un peu cynique pourraient utiliser cela en affirmant que c’est un signe tout à fait caractéristique d’une certaine forme de déconnexion de cet électorat-là vis-à-vis de ce qu’est la société française aujourd’hui. 

Ils sont par exemple 42% à considérer que la victoire va avoir un rôle de cohésion entre Français issus de l’immigration et Français non issus de l’immigration. Si on reprend l’historique que venez de nous retracer des événements tragique, on peut y voir une forme de négation d’un réalité sociale prégnante dans notre société.

C’est le paradoxe aussi de la société française, où les différentes visions existent et où le parcours sportif de ces Bleus collectivement et individuellement apporte de l’eau au moulin de ceux qui considèrent que tout n’est pas perdu et qu’il y a une histoire française de la réussite à écrire. Notamment avec Kylian M’Bappé qui vient de Bondy, ou les déclarations des joueurs criant « Vive la République » à la télévision. Ce qui est intéressant, si vous passez les images de 1998, c’est qu’il n’y a pas la moitié de l’équipe qui chante la Marseillaise. Sur ce point, les Bleus de 2018 ont mouillé le maillot et fait tout ce qu’il fallait. Tous les commentateurs et les footballeurs étaient conscients de l’état de la société française, et donc en ont fait beaucoup plus que la normale. Certains footballeurs ont affirmé haut et fort qu’ils avaient comme mission de rapporter la coupe parce que le Président leur avait demandé et surtout parce qu’il voulait redonner de la fierté et de la joie aux Français. En 1998, on avait pas demandé une telle chose aux joueurs français. On voit bien que tout à changé, même si tout n’est pas tout noir ou tout blanc, et que l’électorat macronien s’accroche aux signes positifs. Ils disent : regardez, ces jeunes, de par leurs parcours, sont quand même les incarnations vivantes que notre modèle républicain fonctionne encore et que tout n’est pas foutu et qu’on a raison d’y croire. Et que Macron participe à dévérouiller ce modèle, à faire sauter quelques résistances. Ils se disent, et il y a une forme de cohérence psychologique et idéologique, qu’après cela, cela ira mieux. Mais force est de constater que ce jugement là, s’il n’est pas totalement criticable puisque de réels éléments viennent le corroborer, n’est pas partagé par la plus grande partie de la population française. 

Le fait qu’il n’y ait pas eu d’embellie réelle n’est-elle pas quelque peu inquiétante malgré tout ?

Le diagnostic de notre première question, qui montre que le résultat est plus mauvais après la victoire des Bleus, alors qu’un public extrêmement bigarré venait de célébrer la victoire sur les Champs, que 3 mois avant.  Cela interpelle. A mon avis, on a d’autant plus fait la fête qu’on savait que c’était compliqué. Quand on regarde le nombre très important de personnes qui sont sortis dans la rue et que cela ne se solde que par un peu de casse sur des dizaines de millions de Français, jeunes, alcoolisés, le bilan est plutôt excellent. Les plus pessimistes ont vu cela d’abord certainement. Mais il me semble que cette célébration était surtout le signe du fait qu’on avait vraiment besoin de faire la fête puisque les dernières fois qu’on avait montré tant de personnes dans la rue, c’était pour des événements graves et traumatisants pour la société française. 

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