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Pourquoi la nouvelle police de l’alimentation ne protégera pas mieux les consommateurs
©DAMIEN MEYER / AFP

Plus jamais ça ?

La commission d'enquête parlementaire chargée de l'affaire Lactalis a rendu ses conclusions. La création d'une autorité unique de sécurité alimentaire est notamment envisagée. Quel serait l'effet d'une telle mesure ? Existe-t-il des carences en matière de sécurité alimentaire ? Le scandale Lactalis aurait-il pu être évité ?

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : La commission d'enquête parlementaire chargée de l'affaire Lactalis a rendu ses conclusions : elle prône notamment la création d'une autorité unique de sécurité alimentaire. Quel serait l'effet d'une telle mesure ?

Bruno Parmentier : En matière de sécurité alimentaire, nous avons actuellement trois intervenants, qui sont supposés se compléter, avec des logiques différentes, mais qui inévitablement se marchent sur les pieds : la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui dépend du Ministère de l’économie, la Direction générale de la santé, qui dépend du Ministère de la santé, et la Direction générale de l’alimentation, qui dépend du Ministère de l’agriculture. On peut donc comprendre l’idée de la Commission d’enquête parlementaire de la création d’une police unique de l’alimentation. Si on la met sur pied, quel est le Ministre qui va commander, et donc quelle est la logique qui sera prioritaire ? De plus, les crises sanitaires ne sont pas uniquement le fait de l’alimentation : si on réalise une telle évolution, qui s’occupera d’une crise liée à un shampooing ou un produit d’entretien ?

Et n’oublions pas que derrière les commissions et les administrations, il y a des hommes et des femmes, qui ont toujours une marge d’appréciation, de négligence ou d’erreur. Prenons par exemple le cas de l’œuf au Fipronil Belge. On est devant un cas de fraude caractérisée d’une petite entreprise hollandaise qui a été achetée ce produit tout à fait légalement en Roumanie (il est autorisé en Europe pour les chiens et les chats) pour l’insérer illégalement dans un désinfectant destiné aux poulaillers belges. Quand les contrôleurs belges s’aperçoivent qu’il y a des traces infimes de Fibronil dans des œufs belges (ce qui, soit dit en passant, est une véritable performance), ils savent que les risques pour la santé du consommateur sont quasiment nuls mais que le scandale qu’ils produiront en dénonçant publiquement et brutalement les faits risque de ruiner la filière avicole de leur pays, qui est très exportatrice. Ils préfèrent donc régler discrètement le problème avec les élevages belges, ce qui rend furieux les Allemands qui, eux, sont fortement importateurs d’œufs Belges. Rien n’est simple. Et rappelons néanmoins que, malgré l’émotion internationale que cet incident a provoquée, il n’y a pas eu une seule hospitalisation liée à ce scandale, ni a fortiori de décès, justifiant a posteriori quelque peu la prudence médiatique des contrôleurs belges...

Bref, il faudra voir à l’usage et il n’est absolument pas sûr qu’une seule police de l’alimentation soit plus efficace que trois !

En fait, comme le dit la Commission d’enquête, la question est d’abord culturelle, il faut « contrôler les contrôleurs et contrôler les contrôles » ! On apprend incidemment au passage que le laboratoire qui contrôlait Lactalis effectue 90 % de son chiffre d’affaires avec cette seule entreprise ; son indépendance ne peut être que très relative et ce fut donc une faute de ne pas le contrôler lui-même plus régulièrement et plus efficacement. Et très probablement, comme dans le cas du Fipronil ou de la lasagne, c’est parce que l’opinion publique, en particulier à travers les médias, s’est passionné pour la question que l’ensemble de la chaîne a été fortement secouée.

Une bonne protection du consommateur c’est donc de l’autocontrôle, du contrôle de l’autocontrôle, du contrôle des contrôleurs, et de la vigilance des médias et de la justice.

Mais c’est aussi une affaire de moyens, et il est quand même regrettable que, compte tenu du souci d’économie des dépenses publiques qui nous caractérisent depuis plusieurs décennies, les effectifs des différentes polices de l’alimentation et de la santé ont eu plutôt tendance à décroître…

Songeons en ce moment par exemple à la quantité énorme de petits postes de distribution de nourriture qui s’ouvrent dans les lieux touristiques pendant l’été. Il fait chaud, ils sont mal équipés, ils ne sont pas tous « du métier », la chaine du froid n’est pas totalement fiable, etc., et les risques sanitaires sont donc patents. En face, imaginons le tout petit nombre de contrôleurs dont dispose l’administration pendant l’été…

Les parlementaires souhaitent demander aux industriels de renforcer leurs dispositifs pour gagner en efficacité lors des procédures de rappel. En-dehors de quelques affaires très médiatisées, y a-t-il vraiment une carence en matière de sécurité alimentaire ? Le scandale Lactalis aurait-il pu être évité ?

Rappelons encore une fois cette donnée de base : du point de vue de la simple sécurité alimentaire, on n’a jamais aussi bien mangé dans toute l’histoire de France. On est on est dorénavant très loin des 15 000 morts annuels par intoxication alimentaire des années 50. Notre pays est devenu l’un des plus sûrs au monde sur cet aspect, et nous avons énormément progressé dans les dernières décennies en tirant des leçons de chaque scandale alimentaire. Si l’hospitalisation de 36 nourrissons pour des diarrhées a provoqué un tel scandale, c’est bien parce qu’aujourd’hui plus aucun nourrisson ne meure ! En 1900, 14 % des enfants français mourraient au cours de leur première année ; dans les années 50 ce chiffre était tombé à 5 % ; aujourd’hui on en déplore encore 0,3 % (trois pour mille), dont probablement aucun à cause d’une intoxication alimentaire.

C’est paradoxalement parce que nous sommes sur une pente de progrès qu’il y aura de plus en plus de « scandales alimentaires » car l’exigence citoyenne ne cesse d’augmenter (aujourd’hui une diarrhée peut faire l’ouverture du 20h !), et les outils techniques à disposition de la police deviennent de plus en plus précis et sophistiqués. Du point de vue de la simple « tromperie » par exemple, il y a toujours eu des gens pour essayer de vendre du pâté de cheval sous le nom d’alouette ; auparavant, il fallait prendre l’artisan indélicat la main dans le sac pour s’en apercevoir. Maintenant, les nouveaux systèmes d’analyse, en particulier génétiques, ont fait qu’à des centaines de kilomètres de Carcassonne on a pu s’apercevoir que des lasagnes réputées au bœuf étaient en fait des lasagnes de cheval, et provoqué le scandale que l’on sait (mais qui n’a fait aucune victime !).

Songeons que, dans le cas des deux produits agricoles qui continuent à tuer en masse, il n’y a justement pas de scandales médiatiques ni de commission d’enquête parlementaire : l’alcool, 49 000 morts par an, et surtout le tabac, 79 000 morts annuels ! Il y a même des lobbys parlementaires locaux pour défendre notre industrie et notre petit commerce !

Dans le cas du lait maternisé Lactalis, il est clair que cette entreprise a eu tort de tergiverser en multipliant les rappels partiels successifs, alors qu’avec le recul, il paraît maintenant évident que la seule décision qu’il fallait prendre dès le départ c’était de retirer l’ensemble des boîtes de lait maternisé qui existaient encore dans le monde entier (comme l’avait fait par exemple Perrier en 1990 quand quelques traces de benzène étaient apparues sur certaines bouteilles). Et en plus, comme c’était pendant la période de grosse activité commerciale de Noël, la grande distribution a eu des failles dans les procédures de rappel. Il faut donc tirer les leçons de ces incidents pour que cela ne se renouvelle pas.

La vraie sanction pour Lactalis, c’est qu’il sera probablement éloigné pour des années du marché international du lait infantile. Sanction finalement relativement douce car, s’il y avait eu des bébés morts, il est probable qu’il y aurait eu un mot d’ordre de boycott de marques comme Président, Lactel, Bridel, Société, Lou Pérac, Salakis, Chaussée aux moines, Rouy, etc. Elle est là la vraie menace qui devrait diminuer les scandales alimentaires.

On parle enfin de mieux "traquer" les consommateurs pour rappeler plus efficacement les produits, notamment en traçant leurs coordonnées bancaires. Même au nom de la sécurité alimentaire, une telle surveillance est-elle acceptable ?

Comment faire pour être sûr qu’il n’y ait pas de trous dans le dispositif de rappel, même à Noël, même au mois d’août ? Quand on constate qu’au-delà des supermarchés, des crèches, des hôpitaux et des officines pharmaceutiques ont continué à distribuer le lait Lactalis pendant des jours ou des semaines, on se dit qu’il y a encore de vraies marges de progression ! À l’heure de l’électronique reine, du code barre, des puces intégrées aux produits, il est inadmissible qu’il n’y ait pas de systèmes intégrés d’alerte dans les caisses des magasins pour empêcher la sortie de produits qu’on aurait « oubliés » dans les rayons.

Mais de toute façon, cela ne résout pas la question des produits qui ont été déjà achetés et qui sont en cours de consommation. Cela se pose peu pour les produits frais à consommation rapide, qui ont toutes les chances d’être mangés avant le rappel, mais on voit bien que cela peut se poser pour le lait en poudre, qu’on peut garder des semaines voire des mois chez soi. Là, à mon avis, l’émotion est mauvaise conseillère ; on comprend bien que ce serait efficace que le magasin puisse vous prévenir directement qu’il faut lui ramener ou détruire le produit litigieux. Mais notons que, dans la plupart des grandes surfaces, nous montrons déjà notre carte de fidélité lorsque nous passons en caisse, et donc le magasin possède déjà notre adresse ; de même en pharmacie avec la carte Vitale. L’idée de tracer de beaucoup plus près les coordonnées bancaires de ceux qui ont payé par chèque ou par carte bleue mérite d’être longuement réfléchi avant d’être mise en œuvre. Dans cette société de transparence, de fichage et de manipulation généralisée, faut-il encore, librement et démocratiquement, en rajouter une couche ? D’autant plus que ce qui auront payé par liquide continueront à passer au travers ! Les libertés individuelles ont trop de prix pour être bradées après un « simple » incident sanitaire.

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