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Laissez-nous respirer ! Cet anti-racisme dévoyé qui détourne la victoire de la France au mondial 2018 en nous tirant vers l’abîme d’un redoutable piège
©BERTRAND GUAY / AFP

Détracteurs

Dans un tweet le professeur de droit à l'université de Détroit Khaled Beydoun, estime que la victoire de l'équipe de France devrait inciter les Français à en finir avec "un racisme et une islamophobie latents". Nous pouvons lire ceci : "80% de votre équipe est africaine, cessez le racisme et la xénophobie. 50% de votre équipe sont musulmans, cessez l'islamophobie. Les Africains et les Musulmans vous ont livré une deuxième Coupe du Monde, maintenant rendez leur justice."

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Dans un tweet le professeur de droit à l'université de Détroit Khaled Beydoun, estime que la victoire de l'équipe de France devrait inciter les Français à en finir avec "un racisme et une islamophobie latents".  Nous pouvons lire ceci : 80% de votre équipe est africaine, cessez le racisme et la xénophobie. 50% de votre équipe sont musulmans, cessez l'islamophobie. Les Africains et les Musulmans vous ont livré une deuxième Coupe du Monde, maintenant rendez leur justice. Si l'on suit ce raisonnement, alors un évènement négatif remettrait en cause le bienfondé même de l'immigration et viendrait presque à justifier une certaine forme de racisme. N'est-pas, paradoxalement, nourrir une idéologie raciste ?

Bertrand Vergely : Quand il est question aujourd’hui de racisme on mélange tout et la réaction de ce professeur canadien en est une pathétique illustration.  Le racisme est une théorie qui a été mise en place au XIXème siècle par Gobineau. Se présentant comme étant une science cette théorie repose sur une seule idée : les races sont inégales. Il y a les races supérieures et les autres. Les nazis ont été racistes. Soyons clairs, aujourd’hui, plus personne ne véhicule de telles idées. D’où l’ineptie du terme raciste utilisé à toutes les sauces et ce afin d’exprimer toute autre chose à savoir le rejet de l’autre, le rejet de la différence. Ainsi, selon cette nouvelle définition du racisme, il faudrait aimer tout le monde et qui n’aime pas tout le monde serait raciste. Idée absurde. Comme personne, à part Dieu, n’est en mesure d’aimer tout le monde, cela aboutit à cette conclusion : le monde entier est raciste.  

Il serait plus juste de parler de xénophobie, de peur de l’étranger. Mais là encore, qui aujourd’hui est vraiment xénophobe ? Qui a peur de tous les étrangers quels qu’ils soient ? Que ce soient les Belges, les Suisses, les Luxembourgeois, les Lichtensteiniens et les autres ? Personne. 

De ce fait qu’appelle-t-on racisme et xénophobie ? Le fait qu’il y ait des abcès de fixation à propos non pas tant d’une population que d’un événement. Ce qui malheureusement peut entraîner des réactions contre les populations.  Ainsi, un jour ce sont les Roms à cause de leurs camps.  Un autre les Polonais à cause des plombiers ou des chauffeurs routiers payés à bas prix.  Par le passé, ce furent les italiens. Aujourd’hui de sont les Africains ou bien encore les Musulmans. Pourquoi ? Sont-ce eux qui font peur ? Non. La France connait depuis des décennies des populations qui viennent des quatre coins du monde et les choses se passent fort bien. Le couscous et les nems font partie de la cuisine quotidienne des Français et tout le monde regretterait que cela ne soit pas le cas. En fait c’est l’entrée illégale sur le territoire français qui fait peur quand il s’agit d’Africains. Comme ce sont les attentats qui font peur quand il s’agit de l’islam. Peut-on en vouloir aux Français ? Non. Quand on a le respect de la loi et du droit, fondement des droits de l’homme, il n’est pas choquant de vouloir que la loi et le droit soient respectés. Quant aux attentats, comment ne pas se poser des questions au sujet de groupes qui revendiquent la violence au nom de l’islam ? Comment ne pas avoir de légitimes inquiétudes quand on voit la francophobie s’exacerber dans ces groupes et au-delà ? Tant il est vrai qu’il faudra un jour que l’on ouvre les yeux. On s’élève contre l’islamophobie et on a raison. Elle est détestable et dangereuse. Quand en profitera-t-on pour s’élever contre la francophobie qui, de façon éhontée, se sert de l’amalgame entre France et racisme et islamophobie pour déverser, sous prétexte de dénonciation et d’antiracisme,  des propos de haine à propos de celle-ci en toute impunité ? Le professeur canadien se rend-t-il compte que l’assimilation qu’il fait entre France et racisme ainsi qu’islamophobie renvoie mot pour mot aux arguments qu’ont utilisé les massacreurs du bataclan pour justifier leurs crimes ? 

Quand on est professeur on se doit d’être pédagogue et pour cela d’être juste et non de réagir comme au café du commerce. Or, c’est malheureusement ce qu’a fait ce professeur canadien. D’où l’ineptie de son tweet qui fait de toute la France un peuple raciste, comme s’il y avait en France 70 millions de racistes haineux xénophobes et islamophobes. Lors des attentats on a beaucoup entendu « Pas d’amalgame » à propos de la tentation de confondre islam et attentats. De grâce que les Français aient droit, eux aussi à « Pas d’amalgame » entre France et racisme. Par ailleurs, il faudrait arrêter le racisme anti-Africain et antimusulman parce que les Africains et les musulmans sont de bons footballeurs et qu’on est content qu’ils le soient. Les Africains et les musulmans sont bons à quantité de choses et pas simplement à marquer des buts au football. Qui plus est, ils sont bons même quand ils n’en marquent pas. Et même quand il leur arrive de perdre des matchs. Il faut arrêter le racisme parce que les Africains et les musulmans ont permis à la France de remporter la coupe du monde de football. Quelle ineptie là encore. D’autant plus que c’es dangereux.  Et si cela n’avait pas été le cas ? Et si, à la place de Griezmann,  un joueur Africain avait raté le penalty de la finalité  ou marqué contre son camp en faisant perdre la France ? Si l’on suit la logique du professeur canadien cela justifie le racisme.  Tu fais gagner la France ? Tu es un bon étranger. Tu la fais perdre ? Dehors. Les Africains, les musulmans ne sont ni mauvais ni bons par essence. Ils sont comme nous tous comme nous somme comme eux. En étant simple on évite de trop en faire. En évitant de trop en faire on favorise la paix, la rencontre entre les hommes, la considération, l’intelligence, l’amitié.

Eric Deschavannes : Petite devinette : qui est l'auteur du post, publié dimanche, dont est extraite cette phrase : "L'équipe de France multicolore, multiethnique, affronte cet après-midi une équipe croate drmatiquement uniforme." ? Pas de suspens, il émane de la LICRA et reflète l'esprit de ce nouvel antiracisme qui gagne du terrain en France depuis 20 ans : un antiracisme obsédé par la race et par les origines, assignant les individus (les joueurs français et croates en l'occurrence) à l'identité raciale qui est supposée les définir essentiellement (au point même, si l'on en croit le post de la LICRA, de déterminer le style de jeu des équipes nationales de football). Cet antiracisme obsédé par la race est depuis plus longtemps encore consubstantiel au "progressisme" des universitaires américains (de la plupart d'entre eux), lesquels haïssent la doctrine républicaine française de l'aveuglement à la race (ce qu'ils appellent le color-blindness). Il s'agit donc d'un antiracisme paradoxal, qui justifie le racisme ("anti-blancs" dans le cas de ces deux messages) et la xénophobie (anti-croate dans le cas du post antiraciste français, anti-française dans celui du tweet de l'universitaire américain). 

Cette manière de concevoir l'antiracisme est en réalité l'expression d'un racisme authentique, dont elle épouse toutes les caractéristiques : elle est à la fois essentialiste (elle assigne les individus à leur race), hiérarchique (il existe une race ou un "composé racial" supérieur) et déterministe (elle confond traits naturels, moraux et culturels, ce qui lui permet par exemple d'expliquer le style de jeu ainsi que la victoire ou la défaite des équipes de foot). Cet antiracisme raciste partage également le vocabulaire du racisme qu'il prétend combattre. On peut à cet égard comparer les messages pré-cités avec le tweet de Renaud Camus, publié la semaine dernière sur le même thème : "J'aime bien les Africains mais pour le match Afrique-Europe, dimanche, il ne m'en voudront pas de soutenir l'équipe de mon peuple, les Européens." 

Tous ces messages – par parenthèse – infligent un démenti cinglant aux députés français qui croyaient pouvoir établir un lien entre le racisme et l'usage du mot race. On peut fort bien, comme l'illustrent ces messages, avoir une pensée et un raisonnement racistes, militer en faveur d'une vision raciale de la société et ne jamais prononcer le mot "race" !  Tout le monde comprend implicitement ce que les mots "Africains" et "Européens" veulent dire ! On peut en revanche faire usage du mot race pour formuler le principe de l'indifférence à la race : par exemple à la manière de l'article premier de la Constitution française avant que nos députés aient l'idée saugrenue de le réviser : l'affirmation selon laquelle la République française assure l'égalité des citoyens devant la loi sans distinction de race exprimait (il convient malheureusement d'en parler au passé) cet humanisme républicain aveugle aux races qu'exècre l'universitaire américain que vous avez cité.

En supprimant le mot "race" de la Constitution, on n'a d'ailleurs pas supprimé le mot race : on n'a en réalité supprimé ni le mot, ni l'idée, ni la chose, ni l'obsession de la chose (laquelle peut s'exprimer par d'autres mots, comme en témoigne les messages dont il est question ici). Ce qu'on a en réalité supprimé, c'est la formulation du principe selon lequel la République française assure l'égalité des citoyens devant la loi sans distinction de race. On a en réalité supprimé un pilier de l'idéal républicain - le principe de l'aveuglement à la race, la condamnation solennellle du racisme par la Constitution. On a en réalité supprimé un texte dont l'origine n'était ni Arthur de Gobineau ni Adof Hitler mais la volonté, après le nazisme, de réaffirmer l'incompatibilité du racisme avec la République. L'initiative de nos députés n'est à cet égard pas seulement une aberration logique : il s'agit également d'un contresens historique et d'un impair philosophique, aussi phénoménal que le talent de Mbappé. Il n'y a sans doute pas d'intention maligne derrière l'initiative des parlementaires : juste une inculture crasse, une incompréhension totale de la nature du droit et de la science conduisant à les confondre dans un raisonnement scientiste qui ne ne pas la route sur le plan scientifique (comme l'a souligné Cédric Vilani lors de son intervention à l'Assemblée nationale).

En quoi ce type de raisonnement peut-il s'avérer dangereux pour la cohésion de la société ? Quel peuvent-être les risques d'une telle posture utilitariste de l'être humain dont la place n'est justifiée que s'il rapporte quelque chose à la société ?

Bertrand Vergely : Tout le raisonnement du professeur canadien est fondé sur une idée comptable «  Vous êtes contents, hein, vous les Français, quand les Africains et les musulmans vous font gagner la coupe du monde. Et bien maintenant il va falloir payer. Les Africains et les musulmans rapportent la coupe du monde à la France. Il est juste que la France rapporte quelque chose aux Africains et aux musulmans et qu’elle arrête immédiatement son racisme et son islamophobie. Donnant-donnant. Les Africains et les musulmans ont fait gagner quelque chose à la France. Ils ont droit à une récompense ». Idée absurde. La considération que l’on doit à l’Afrique et aux Africains comme à l’Islam et aux musulmans n’est et ne peut pas être  une récompense, ni le résultat d’un « deal » sur le mode « On te file la coupe du monde et tu arrêtes ton racisme en échange ». L’Afrique et les Africains  sont une grandeur comme l’Islam et les musulmans. C’est dans la grandeur que les peuples se rencontrent et pas dans des trafics de bas étage. La société comme l’humanité est une noblesse pas un trafic. Or, par son tweet le professeur canadien nous fait passer de la noblesse au trafic. Le « deal », ce n’est pas une façon de surmonter la violence. C’est la violence sous une autre forme, cette violence consistant à prendre quelqu’un à la gorge en lui disant «  File moi ton antiracisme ou tu vas voir ». C’est pour cela la plus mauvaise façon d’être antiraciste qui soit. Si l’on veut que le monde ne se réconcilie jamais, agissons le de la sorte. À chaque fois qu’un Africain ou qu’un musulman fera quelque chose de bien qu’il se mette à dire « Hep. Rien n’est gratuit. Ça se paie. Par ici la monnaie ». Elle va être chouette la société. Le professeur canadien s’est servi de la coupe du monde pour en faire un levier de justice. Il y a quelque chose d’indigne dans cette façon de récupérer cet événement. Cela se veut de l’antiracisme. Ce n’est pas de l’antiracisme. C’est de l’antiracisme pour les nuls. 

Eric DeschavannesL'immigration et la diversité culturelle favorisent la renaissance d'une pensée raciste (qui n'a nul besoin du mot "race", encore une fois, pour s'exprimer), associant traits culturels (ou moraux) et naturels. Cette pensée raciste accompagne la "tenaille identitaire" dans laquelle se trouve aujourd'hui pris l'idéal républicain que les députés viennent d'affaiblir. Cette pensée raciste s'exprime aussi bien à l'extrême-gauche (à travers un discours qui se prétend antiraciste) qu'à l'extrême-droite, contribuant ainsi à alimenter une "lutte des races" mettant aux prises les identités minoritaires à l'identité majoritaire, le racisme des minorités au racisme de la majorité. Le débat idéologique tend à devenir obsédé par le problème de la race (sans que le mot ait besoin d'être prononcé), jusque chez les républicains qui brandissent l'idéal du métissage ou confondent l'humanisme avec l'affirmation d'une identité biologique, en opposant le racisme de l'espèce au racisme de la race.

Quelle est selon vous la réalité de cette idée au sein de la société française ?

Bertrand Vergely : Dans la société française il y a beaucoup de gens qui raisonnent de façon simple pour ne pas dire simpliste. Il est certain qu’après la victoire de l’équipe de France ceux-ci verront les Africains et les musulmans d’un autre œil. Tant mieux. Si le football permet de rapprocher les peuples et d’éviter la violence et la haine on ne va pas d’en plaindre. Cela fait longtemps que les politiques ont eu l’idée d’utiliser le football à travers l’équipe de France black-blanc-beur afin de favoriser l’intégration et la paix sociale. Souvenons nous. C’était déjà, l’idée de François Mitterrand quand il avait nommé Bernard Tapie comme ministre de la ville. Cela dit restons calme. Il n’y a pas que les ballons de foot pour régler la question des banlieues. La route menant à une société diverse et pacifiée est encore longue. Certes, pour se rencontrer il faut jouer ensemble et aller dans des stades ensemble. Mais il faut aussi travailler ensemble, apprendre ensemble, savoir se recueillir ensemble. Le foot c’est bien. Mais c’est quand même la récré. À un moment il faut savoir siffler la fin de la récré et rentrer en cours.

Eric Deschavannes : La société française est travaillée par la tenaille identitaire mais son centre de gravité demeure républicain. L'identification populaire à l'équipe de France de football fournit l'illustration de la prégnance de l'idéal républicain hérité de l'Histoire. Globalement, cette identification fait abstraction de la race. Les joueurs sont identifiés comme Français, non par une appartenance raciale ou par une orgine. L'amour des Bleus, autrement dit, est aveugle à la race : comme l'égalité devant la loi, il ne distingue pas les joueurs par leur  oririgine, leur race ou leur religion. Il est d'autant plus regrettable que cet esprit républicain  - qui imprègne nos moeurs mais qui se trouve aujourd'hui attaqué par un néo-racisme, assumé ou dissimulé sous le masque de l'antiracisme – ne soit plus intellectuellement compris ni défendu, notamment par celles et ceux qui sont censés nous représenter et parler au nom de la République.

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