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Mais comment expliquer le profond différentiel de croissance 2018 entre les différents pays européens ?
©Capture écran France TV

Géométrie variable

Selon les dernières prévisions réalisées par la Commission européenne, la croissance française serait revue à la baisse, soit une anticipation de 1,7% (en baisse de 0,3 point). Il apparaît également que la France affiche un des taux de croissance les plus faibles du continent, notamment en comparaison de l’Irlande, des Pays Bas, de l’Espagne, du Portugal etc....

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Quelles sont les causes de cette révision à la baisse de la croissance française ? Quelles pourraient en être les conséquences ?

Michel Ruimy : Une partie de la révision du taux de croissance tient au ralentissement observé de la consommation des ménages, de l’investissement des entreprises et, dans une moindre mesure, des exportations.

La consommation des ménages, qui représente environ 60% du Produit intérieur brut, constitue une variable essentielle pour l’analyse économique de la demande. Le chiffre annoncé indique que les Français, dans leur globalité, ont dépensé moins d’argent pour leurs besoins quotidiens du fait notamment de la progression du prix du pétrole, passé de 48 euros le baril en 2017 à 62 euros en 2018, et de la hausse du prix du tabac au 1er janvier 2018. Ce ralentissement peut être attribué, en partie, également aux mesures fiscales entrées en vigueur en ce début d’année, comme la hausse de la CSG, qui a eu un impact négatif sur le pouvoir d'achat. Cependant, on peut s’attendre à une accélération du pouvoir d’achat au fil de l’année du fait des mesures fiscales qui, à l’inverse, soutiendront fortement le revenu des ménages fin 2018 et début 2019 (baisse de la taxe d’habitation et des taux de cotisations salariales notamment)

Autre élément à prendre en compte, la diminution de l’investissement. S’il a très légèrement progressé du côté des ménages, l’écart se voit surtout au niveau des entreprises. Dans ce contexte, la production totale de biens et services a nettement ralenti.

Enfin, l’économie française n’a pas pu compter sur ses exportations pour redonner de l’élan à la croissance, ce qui fait que le commerce extérieur n’a pas eu d’impact sur la croissance.

Quelles peuvent être les conséquences de ce contexte ?

Le gouvernement, dans son programme de stabilité budgétaire publié mi-avril, a dit parier sur une croissance de 2% cette année. Les derniers chiffres publiés montrent que les prévisions de l’exécutif pourraient bien être optimistes. Toutefois, la baisse observée aujourd’hui, dans le sillage de celle de la zone euro, n’a rien d’alarmant et avait déjà été pointée. Ce léger tassement confirme les interrogations concernant la capacité de rebond de l’économie française face à des contextes européen et mondial agités (incertitudes politiques en Italie, parité eurodollar défavorable, remontée des cours du pétrole, craintes liées à la politique commerciale des Etats-Unis…).

Il ne faut pas s’attendre à une reprise vigoureuse de la consommation car le regain d’inflation liée à la hausse des prix de l’énergie grignote le revenu disponible brut. Pour doper le pouvoir d’achat, une hausse des salaires due aux créations d’emplois peut être visée. Mais, là aussi, il faut s’attendre à un nombre inférieur à celui de l’an passé (340 000) en raison de la suppression des contrats aidés et d’un moindre recours à l’intérim. Dans ces conditions, le taux de chômage, après une forte baisse en 2017, se stabiliserait à un peu moins de 9% de la population active.

Devant les incertitudes, les foyers seraient plutôt enclins à épargner plus. Leur taux d’épargne pourrait atteindre 15%. Cette morosité se reflète aussi l’investissement des ménages (en particulier dans le logement) qui s’affaiblit et qui risque de ralentir sous l’effet du resserrement du crédit. Ce dernier point est préoccupant car le poids de la construction dans la reprise est important.

Mais surtout, si le PIB reste « robuste » le gouvernement risque de devoir couper dans les dépenses s’il veut tenir ses engagements européens de réduction du déficit public. Avec une moindre croissance, il repartirait forcément à la hausse. Contrairement aux prévisions du gouvernement (2,3% du PIB), il serait plutôt de 2,5% en 2018, ce qui, malgré tout, permettrait à la France d’éviter de replonger dans une situation de déficit excessif. Au‑delà de la bonne tenue des recettes due à la poursuite de l’expansion économique, un effort de maîtrise des dépenses publiques reste toutefois requis.

Faut-il considérer que le pays ne pourra pas atteindre des chiffres de croissance supérieurs à ceux qui ont été vus au cours de l’année 2017 ?

Je ne le pense pas qu’il faille s’inquiéter, pour l’instant, de ce ralentissement car l’année 2017 a été excellente pour la zone euro et pour la France qui a enregistré sa plus forte croissance depuis 2007. Il n’est pas aberrant qu’après une série de trimestres marqués par des hausses soutenues, il y ait un essoufflement de l’économie, un ralentissement ponctuel.

Par ailleurs, nous sommes en train d’assister sans doute à la fin d’une brève parenthèse enchantée, de ce qu’on avait appelé l’« alignement des planètes » (un euro faible, des taux d’intérêts bas, un pétrole bon marché). C’est pourquoi, je ne crois pas que la France pourra avoir un taux de croissance supérieur à l’an passé pour plusieurs raisons :

D’une part, la hausse du prix du baril de pétrole renchérit la facture des importations pétrolières et les coûts de production. En outre, cette augmentation induit souvent un mouvement similaire sur le gaz ou sur les autres matières premières (métaux, céréales). Au final, elle va peser sur le porte-monnaie des ménages et sur la balance commerciale française.

D’autre part, les États-Unis sont entrés dans une politique plus protectionniste qui vise à faire baisser le dollar (ce qui revient à faire monter l’euro). Notre production industrielle et nos exportations risquent d’en pâtir. Outre une guerre commerciale, c’est le spectre d’une guerre des changes entre les États-Unis et le Chine qui se profile, où l'Europe aurait tout à perdre.

Il faudra veiller aussi aux conséquences des évolutions de la politique monétaire européenne et de l’inflation ou encore les incertitudes politiques en Europe. La France a besoin de réformes structurelles (retraites, code du travail, allocations chômage) si elle veut être durablement un pays ayant une économie forte. Une moindre croissance complique leur mise en œuvre car il est plus facile de faire passer des réformes douloureuses quand on a une croissance solide que lorsqu’on a des consommateurs qui s'inquiètent.

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