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Fiers d’être Français : mais au fait, qu’est ce que ça signifie vraiment pour chacun de nous ? Petits éléments de réponse
©JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Le jour de gloire est arrivé !

« Il faut être fier d’être Français ». Dans un autre contexte, et prononcé par quelqu’un d’autre, cette déclaration aurait certainement déclenché une polémique.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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« Il faut être fier d’être Français », a déclaré Antoine Griezmann la veille de la finale. Dans un autre contexte, et prononcé par quelqu’un d’autre, cette déclaration aurait certainement déclenché une polémique. On attendait Zemmour ou Finkielkrautk, et c’est un jeune footballeur qui s’y colle. Sa déclaration a quelque chose d’amusant quand on songe que, quelques jours auparavant, Emmanuel Macron a affirmé que « la véritable frontière qui traverse l'Europe est celle qui sépare les progressistes des nationalistes ». Pour Emmanuel Macron, le nationalisme, c’est le mal (affirmation assez problématique aujourd’hui, soit-dit en passant, car dans quel camp range-t-il les islamistes ?). Mais pendant la coupe du Monde, la condamnation s’interrompt : on a le droit, et même le devoir, d’être nationaliste. C’est la magie du foot. On se doute bien que le président ne va pas s’en aller remonter les bretelles de Griezmann en l’accusant d’avoir déserté le noble camp des progressistes. Après tout, le président lui-même n’a-t-il pas manqué de s’enthousiasmer avec force démonstrative après le but contre la Belgique, puis pendant la finale, avec une exubérance qui ressemble furieusement à une bête réaction nationaliste ? 

En cette période de dénigrement du nationalisme, le foot est donc une exception. Cette levée de l’interdit est autorisée par le fait que, depuis 1998, l’équipe de France est devenue un baromètre de l’intégration. Elle est censée illustrer la réussite du creuset français, donc rassurer les esprits chagrins qui ont tendance à voir dans la composition de l’équipe de France, comme dans les comportements de ses joueurs, une manifestation de la profonde transformation de la société française sous le coup de l’immigration. Le problème est que le baromètre a des ratés. La victoire des Bleus en 1998, qui était censée clore définitivement le bec à tous ceux qui avaient des doutes sur la réussite de l’intégration, a été suivie par le fameux match amical France-Algérie en 2001 puis par les émeutes urbaines de 2005, sans oublier les lois sur le voile et la burqa, autant d’événements qui ont démontré que la réussite de l’équipe de France n’est pas forcément un bon indicateur de la situation réelle du pays. Parallèlement, les attaques islamiques contre la France ont forcé le gouvernement à réhabiliter les symboles nationaux : désormais, il est redevenu légitime de brandir le drapeau tricolore, de chanter la Marseillaise, de se dire fier d’être français, et même de s’engager dans les armées. 
La pression sur l’équipe de France reste pourtant très forte. Le journal Le Monde ne résiste pas au plaisir de souligner que la réussite d’un Mbappé, l’enfant de Bondy, renvoie Finkielkraut et Zemmour dans leurs buts. Pour que le message porte, des signes d’intégration nationale sont attendus de la part des joueurs, d’autant que les autres nations ne se privent pas pour affirmer leur fierté nationale, jusqu’à ces joueurs kosovars de l’équipe suisse qui ont lancé un bras d’honneur aux Serbes en faisant le symbole de l’aigle albanais. La fierté nationale des joueurs est supposée venir compenser l’extrême diversité des joueurs, surtout lorsque celle-ci suscite l’ironie de nos adversaires qui ne se privent pas de se demander quelle est vraiment la nationalité des Bleus,  contraignant Didier Deschamps à vanter la foi patriotique de ses joueurs : « L'équipe de France a des joueurs d'origines africaines ou d'Outre-Mer et c'est une richesse pour notre football. Ils sont tous fiers d'être français ». Du reste, chacun a pu noter que les joueurs mettent dorénavant plus de cœur pour chanter l’hymne national : pas question de donner prise à la critique. Visiblement, les déclarations et attitudes inconvenantes ont été évitées. Kylian Mbappé a volontiers confessé qu’au cours des dernières années, « un gros travail a été fait sur l’image ». Mais en même temps, il faut rester modéré. Pas question de trop en faire dans la ferveur nationaliste car on sait d’expérience que le retour de bâton peut être violent. Et puis, il n’est pas certain qu’un nationaliste trop prononcé suscite l’enthousiasme des banlieues : comme le note la journaliste Ariane Chemin, même à Trappes, la ville d’Anelka, l’équipe de France ne fait pas rêver.
C’est sans doute pour cela que la déclaration d’Antoine Griezmann sur sa fierté nationale a quelque chose de léger, d’enfantin presque. Voici exactement ce qu’il dit : "Il faut être fier d'être français. Voilà, on le dit très peu. On est bien en France, on mange bien. On a un beau pays, on a une belle équipe de France. On a des beaux Français, des beaux journalistes. Et voilà, il faut être fier d’être français. Et j’ai envie que les jeunes aussi, ils disent « Vive la France, vive la République ». Il faut être fier d’être français ». Certes, cette déclaration est loin d’être négligeable par les temps qui courent, avec la montée galopante du communautarisme et du séparatisme ethno-religieux. Elle a le mérite d’envoyer un message clair : en dehors de la nation, il n’y a pas de salut ; ceux qui veulent réussir doivent monter dans le train. Pour autant, la teneur du propos laisse sceptique. Dire qu’il faut être fier d’être français parce que les Français sont beaux, ou mieux : parce que les journalistes sont beaux, prête à sourire. Cela sonne un peu comme une déclaration téléguidée. Il n’est pas allé jusqu’à dire qu’on avait un beau président et une belle première dame, mais il aurait pu. Griezmann a-t-il été briefé ? On imagine la scène : « n’oublie pas de dire que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Il ne s’agit pas de lui contester sa déclaration d’amour pour son pays, qui était probablement sincère et spontanée, mais on notera qu’il n’est pas allé très loin dans la définition de cette fierté : il s’est bien gardé de dire, par exemple, qu’il faut être fier de l’histoire de France, de sa culture, de ses paysages, de ses mœurs, de ses valeurs. S’il l’avait fait, il serait entré dans un terrain miné. Il aurait dû s’expliquer : de quelle histoire parles-tu ? de quelle culture ? de quelles mœurs ? Griezmann n’a sans doute pas voulu lancer une nouvelle polémique après son « black face » de l’automne dernier, qui lui avait déjà valu quelques déboires sur les réseaux sociaux. Sous ses airs faussement naïfs, il a su trouver le bon dosage, le bon équilibre. Finalement, il est doué ce jeune, et pas seulement sur les terrains. 

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