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Ces réformes “attrape-polémiques” qu’on nous jette en pâture pour détourner notre attention de celles qui comptent vraiment
©CHARLES PLATIAU / POOL / AFP

Story telling (et discours au Congrès…?)

L'utilisation de méthodes de diversion médiatique pour faciliter l'action du gouvernement est bien connue. Le fonctionnement de la stratégie de communication d'Emmanuel Macron et de son gouvernement emprunterait-elle cette pente dangereuse ? Ne peut-on pas voir une volonté d'échapper aux questions de fond en saturant l'espace médiatique de questions relatives aux "valeurs" ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : A la façon de l’ancien conseiller de Tony Blair, Alastair Campbell, qui avait usé de méthodes de diversion médiatique pour faciliter l'action du gouvernement,  comment analyser le fonctionnement de la stratégie de communication d'Emmanuel Macron et de son gouvernement ? Ne peut-on pas voir une volonté d'échapper aux questions de fond en saturant l'espace médiatique de questions relatives aux "valeurs" ?

Christophe Bouillaud : Probablement, il y a effectivement une volonté de divertir l’attention, par exemple avec le parcours de l’équipe de France dans la coupe du monde de Football invoquée pour ne pas présenter tout de suite le « plan Pauvreté » du gouvernement, mais il peut aussi y avoir les stratégies narcissiques, toutes personnelles, menés par certains Ministres, par exemple Marlene Schiappa.
 Mais l’allusion aux « valeurs », qui correspond à certaines décisions médiatiques comme le déplacement des dépouilles mortelles de Simone Veil (avec un « V », n’est-ce pas, et pas un « W »…) et de son mari au Panthéon, correspond à la volonté de maintenir l’illusion d’un équilibre dans la position politique adoptée, le « en même temps » en acte. Cela se voit bien sur les questions d’immigration : au moment où les gouvernants français refusent d’accueillir dans un port français (dont bien sûr un port de l’ile de Corse…) l’Aquarius, le Président Macron parle de la « lèpre populiste » dans son discours de Quimper, et il participe quelques jours plus tard à la panthéonisation de S. Veil. Or il n’aura échappé à personne que le régime d’asile adopté en Europe dans les années 1950 tient au sort des Juifs persécutés dans les années 1930 et 1940. De même, ce gouvernement se gargarise d’égalité des chances, tout en mettant en place une sélection aussi généralisée que foireuse à l’entrée de l’enseignement supérieur, dont tout indique qu’elle va laisser sur le carreau une bonne part des étudiants possibles des quartiers les plus défavorisés ou obliger les recalés du secteur public à aller se payer des étude dans l’enseignement supérieur privé de seconde ou troisième catégorie. 
On dirait du coup que, plus ce gouvernement parle de « valeurs républicaines », plus il s’éloigne dans ses actes de leur appréhension ordinaire. Le Conseil constitutionnel lui-même vient d’ailleurs de censurer, à l’occasion d’une QPC, l’application d’une partie d’une loi votée par la majorité parlementaire « macroniste » au nom de la mise en œuvre du principe républicain de la « fraternité ». Je cite son communiqué de presse en date du 6 juillet 2018 : « Pour la première fois, le Conseil constitutionnel a jugé que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle. Pour ce faire, il a rappelé qu'aux termes de son article 2 : « La devise de la République est "Liberté, Égalité, Fraternité". La Constitution se réfère également, dans son préambule et dans son article 72-3, à l'« idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité ». Il découle de ce principe la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national. » Que le Conseil constitutionnel, qui n’est pourtant pas réputé pour faire œuvre de gauchisme ces dernières années et qui précise bien d’ailleurs que l’Etat peut légiférer en matière de lutte contre le séjour irrégulier des étrangers, en arrive là, signale bien le problème : le néo-libéralisme à tendance autoritaire et xénophobe, allant vers le darwinisme social des « premiers de cordée », peut-il longtemps se cacher derrière les « valeurs » de la République ? Pour mettre le fait en accord avec le droit, il faudrait alors que les « macronistes » songent, à l’occasion de la présente réforme constitutionnelle, à abolir la valeur constitutionnelle du  Préambule à la Constitution de 1946, tout comme la reconnaissance en 1975 par le Conseil Constitutionnel des « principes fondamentaux reconnus par les lois républicaines » d’avant 1914.  

Quelles sont les spécificités de la communication du gouvernement actuel et de la Présidence de la République ? En quoi cette stratégie est-elle réellement "nouvelle" ou particulière ?

Une linguiste, Cécile Alduy qui l’a étudiée en détail, y voit une forte tendance à l’usage de l’équilibre des formulations (« en même temps »), à celui  des anglicismes et du vocabulaire managérial, et surtout  à l’euphémisation. Typiquement,  pour prendre un exemple, « sécuriser le travail », c’est en fait faciliter les licenciements via la réforme des tribunaux de prud’homme. On se trouve parfois à la limite de la « novlangue » à la  G. Orwell. De fait, comme leurs prédécesseurs, les membres du gouvernement font un usage massif de la « langue de bois », telle que la décrit l’historien Christian Delporte dans son Histoire de la langue de bois, parue en 2009. Les réformes néo-libérales sont toujours présentées sous un jour favorable qui en dénie les aspects compétitifs. La « disruption » est mise en avant, mais on ne dit jamais que cela suppose des lourdes pertes non compensées chez certains.  On s’étonnera ensuite de la montée de la « lèpre populiste »… 
Il y aussi l’accentuation déjà cité de l’écart entre les « valeurs » et les actes. Pour prendre un autre exemple que celui déjà cité, quand on entend sur Facebook Live le Premier Ministre dire, au côté d’un Nicolas Hulot surpris, qu’il a lu Jared Diammond (Effondrement) et qu’il connait donc la « collapsologie » - la science de l’effondrement des civilisations- et que son gouvernement n’agit pourtant guère pour éviter une telle issue fatale pour notre propre civilisation, l’écart entre les paroles et les actes devient incommensurable. Nous voilà en tout cas en plein jésuitisme… 
Mais, au total, tout cela n’est donc pas très nouveau. Par contre, il me semble que la nouveauté vient de l’usage systématique de mensonges par le gouvernement quand cela l’arrange. Récemment, le cas le plus évident, c’est lorsque ses membres ont prétendu en chœur que le navire Aquarius se trouvait plus proche du port de Valence en Espagne que d’un port français, alors qu’il suffisait de regarder une carte de la Méditerranée pour se rendre compte que c’était complètement faux. Mentir fait bien sûr partie de l’arsenal du politicien depuis fort longtemps, mais le mensonge sur des évidences partagées et simples que tout le monde pourra aisément vérifier me parait être une nouveauté, tout au moins pour la France contemporaine. Il faut bien dire aussi que la loi sur les fake news semble témoigner de la conscience chez les « macronistes » du rôle stratégique en politique du mensonge sur l’évidence. En Italie, on moque les « partisans de la terre-plate » pour désigner ceux qui usent ainsi de gros mensonges, est-il devenu nécessaire d’acclimater le terme de ce côté-ci des Alpes ? 

Quels sont les risques posés par une telle stratégie ?

La radicalisation des opposants principalement. En fait, tous ceux qui sont directement concernés par les politiques publiques menées et qui sont confrontés à ces euphémisations, et maintenant à ces mensonges d’enfants,  ne peuvent que se sentir méprisés. De ce fait, ils se radicalisent, c’est déjà ce qu’enregistre notre collègue Bruno Cautrès dans son étude suivie de l’opinion publique depuis l’élection présidentielle. 
Par ailleurs, à mesure que différents secteurs de la population sont touchés par une euphémisation ou un gros mensonge, ils peuvent basculer dans l’opposition. C’est à mon avis le cas des retraités qui découvrent, à mesure que les mois passent,  que leurs retraites nettes sont bien plus impactées par la soi-disant petite hausse de la CSG que ce que le gouvernement leur avait dit au départ. La hausse des tarifs des mutuelles de santé, inévitable vu les décisions prises et pourtant niée par le gouvernement, aura sur eux le même effet. 
Enfin, en donnant l’impression de détacher les paroles des actes, il y a le risque que plus personne n’écoute vraiment ce qui est dit, même au moment où l’on se sera éventuellement décidé à mettre les actes en accord avec les valeurs. 

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