Ascenseur social en panne : pourquoi il faut faire attention aux fausses évidences qui pourraient produire des remèdes pires que le mal<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Ascenseur social en panne : pourquoi il faut faire attention aux fausses évidences qui pourraient produire des remèdes pires que le mal
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Solutions diverses

Une nouvelle étude de France Stratégie fait le constat d'un ascenseur social français en panne. Dans un contexte de stagnation économique qui a perduré pendant près de 10 ans, on peut craindre d’obtenir un effet de diffusion de l’angoisse aux classes moyennes et supérieures.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

Voir la bio »

Atlantico : Dans une nouvelle étude publiée ce 5 juillet, « Nés sous la même étoile ? Origine sociale et niveau de vie », France Stratégie fait une nouvelle fois le constat d’un ascenseur social français en panne. Quelles ont été, au plan historique, les périodes économiques qui ont pu conduire à une élévation des niveaux de vie de l’ensemble de la population, aussi bien par le biais de l’ascenseur social, que de l’élévation de niveau de vie de l’ensemble d’une ou de toutes les classes sociales ?

Michel Ruimy : La société française a traversé, de 1945 à nos jours, des périodes contrastées en termes de niveau de vie. Cette notion qualitative regroupe l’ensemble des biens et services (soins, éducation, Internet…) qu’un individu peut se procurer avec le revenu dont il dispose.

Après la Seconde guerre mondiale, le niveau de vie de la population a augmenté pendant près de 30 ans (« Trente Glorieuses »). Durant cette période, l’Etat-providence favorise la redistribution des richesses. Il y a une transformation du travail et du cadre de vie. De plus, les Français consomment beaucoup plus qu’auparavant. En effet, ils y sont incités avec l’apparition des grandes surfaces et par le développement du crédit. Les ménages consacrent une part plus importante de leurs revenus à l’achat de nouveaux produits représentatifs de l’évolution de l’industrie : voiture, télévision, appareils électroménagers. La voiture, achat phare de cette société de consommation, devient synonyme de réussite sociale et de liberté individuelle. D’un autre côté, l’agriculture connaît également un essor exceptionnel. La Politique agricole commune, initiée par la Communauté économique européenne, finance la modernisation de l’appareil productif, ce qui permet l’accroissement du volume de production, la baisse des coûts et des prix. Ainsi, entre 1945 et 1973, la population française, a connu une transformation sociale et profonde, caractérisée par une hausse généralisée du niveau de vie et un changement des modes de vie désormais majoritairement urbains.

Toutefois, le tableau s’assombrit après les « Trente Glorieuses ». A la suite des chocs pétroliers (1973, 1979), les indicateurs d’inégalité de niveau de vie sur longue période montrent des variationsnotables mais cependant limitées : après une baisse importante durant les années 1970 et 1980, puis une période destabilité dans les années 1990, les inégalités se sont accrues au cours des années 2000. Parce qu’elles affectent leur niveau de vie, lescaractéristiques sociodémographiques (âge, diplôme, statut d’activité...) des personnesont influé le niveau de l’inégalité.

Les inégalités de niveau de vie ont connu une quasi-stabilité en France sur la période 2008 - 2013 alors que les écarts se sont creusés en Europe. Mais, cette évolution recouvre deux phases distinctes : les 3 premières années ont été marquées par une accentuation des écarts, avec un repli plus marqué des revenus les plus modestes, qui ont été pénalisés par la hausse du chômage. Après cette date, les déséquilibres se sont réduits du fait d’une forte diminution du niveau de vie des ménages les plus aisés, les plus concernés par la hausse de la fiscalité entre 2011 et 2013.Même si cette tendance à l’accroissement des inégalités a été atténuée par les transferts fiscaux et sociaux (prestations sociales et assurance chômage), les écarts ont atteint, en 2011, le niveau le plus élevé observé sur la période 1996-2011.

Plus récemment, le niveau de vie des catégories fortunées a repris sa progression depuis 2013. Les revenus financiers notamment sont en hausse et les politiques fiscales leur sont redevenues plus favorables. En bas de l’échelle, la baisse du chômage a un effet favorable, qui se traduit par une diminution du nombre d’allocataires de minima sociaux. Mais les politiques de baisse des allocations logement ou de suppression des contrats aidés vont avoir un effet inverse très direct. Cette situation laisse présager le retour de fortes tensions autour du partage de la richesse dans un contexte de stagnation des revenus pour les couches moyennes.

Alors que cette question est régulièrement abordée sous l’angle politique de la redistribution, et ce dans un contexte de stagnation économique qui a perduré pendant près de 10 ans, ne peut-on pas craindre d’obtenir un effet de diffusion de l’angoisse aux classes moyennes et supérieures ? Le fait d’écarter la question de la croissance économique d’un tel débat ne conduit-il pas à opposer les populations pour le partage d’un « gâteau » dont la dimension aurait vocation à stagner ?

Ce sentiment de crainte dont vous faites allusion peut être appréhendé, dans une certaine mesure, par l’indice de confiance des ménagesdans la situation économique de la France. Cet indicateur, qui est calculé par l’INSEEsur la base de soldes d’opinion (différence entre proportions de réponses positives et négatives), est un élément essentiel pour évaluer le niveau à venir de la consommation et donc de la croissance économique.

Que nous dit-il ? Le moral des Français est resté grosso modo inchangé ces derniers mois, revenant à sa tendance de long terme. A y regarder de plus près, l’opinion des ménages sur le niveau de vie passé en France s’améliore légèrement tandis que celle sur le niveau de vie futur se dégrade quelque peu. Mais, il s’agit d’un calme relatif : alors que depuis la fin de l’automne dernier il avait progressé, cet indice a chuté en février. Les Français semblent déçus par les récentes réformes engagées par le gouvernement qui affectent, pour l’instant, leur niveau de vie même si les mesures qui devraient favoriser leur consommation vont intervenir plus tard dans l’année (taxe d’habitation, réforme de l’ISF…). Le pouvoir d’achat reste donc un caillou dans la chaussure du gouvernement.

Je crains de voir apparaître progressivement, pour certaines catégories d’individus,le sentiment diffus, non pas d’angoisse qui est un mot fort, mais celui d’être laissés au bord du chemin alors que les « minorités » recevraient, eux, différents avantages via une redistribution verticale. En effet, en période d’atonie économique, à défaut d’avoir un plus grand gâteau, on essaie de couper plus de parts. Autrement dit, en l’absence de solution pour relancer la croissance, on tente de réduire les profits. Mais, pour ne pas trop affecter et pénaliser les entreprises, l’État augmente les subventions publiques.A force d’être précarisées, les classes moyennes en général et, en particulier, supérieures ont une peur du déclassement. Un sentiment victimaire que nous pouvons juger absurde mais qui s’inscrit dans un contexte de déclassement social et économique réel.Cette crainte peut expliquer la tentation d’un vote en faveur pour des partis contestataires.

D’autant que la situation et le contexte actuels ne leur rassurent pas. La France a bénéficiéjusqu’à présent de l’embellie de l’économie mondiale, de l’impact des réformes des dernières années (Crédit d’impôt compétitivité emploi - CICE - et du pacte de responsabilité) et d’un sentiment de confiance plus grand (l’arrivée d’Emmanuel Macron a surtout suscité un regain d’optimisme chez les patrons, mais aussi chez les investisseurs étrangers). Toutefois, bien que le PIB ait enregistré, en 2017, sa plus forte progression depuis 2011, la reprise tricolore a été moins vigoureuse que dans l’ensemble de la zone euro.

Certes, il y a un débat politique sur le partage des fruits de la croissance et sur les inégalités, mais l’indicateur du salaire mensuel de base (la première ligne du bulletin de paye), lui, n’accélère pas vraiment. Il y a encore beaucoup de sous-emploi, ce qui accroît le vivier de travailleurs disponibles et exerce une pression à la baisse sur les rémunérations. De plus, l’actuelle sagesse des salaires signale aussi des transformations plus profondes sur le marché du travail. La numérisation de l’économie entraîne ainsi le développement de « petits boulots » à faibles rémunération et protection sociale. Pas de quoi donc alimenter une spirale positive sur les salaires.Enfin, la mondialisation a également changé la donne, en conduisant chaque pays à maîtriser les salaires afin de conserver sa compétitivité face à la concurrence internationale. Au point de faire basculer le rapport de force dans l’entreprise, au profit de l’employeuret des actionnaires comme le montre le dernier classement du magazine Challenges : il y a un creusement des inégalités avec une progression fulgurante des grandes fortunes et une stagnation des salaires.

Ne peut-on pas redouter un contexte où les stratégies déployées par les familles pour protéger le destin de leurs enfants sont pointées du doigt, alors même que de tels comportements peuvent être considérés comme naturels ? De tels discours ne sont-ils pas, au contraire de leurs objectifs initiaux, un terreau du populisme ?

Des études récentes ont montré et confirmé que près de la moitié des fils et filles de cadres supérieurs sont eux-mêmes cadres supérieurs contre un peu moins de 10% pour les enfants d’ouvriers. Seuls environ 20% des enfants d’agriculteurs restent dans le métier faute de débouchés et deviennent, dans un cas sur deux, employés ou ouvriers. Nous sommes bien là dans l’immobilité sociale.

Ce déterminisme renvoie au système éducatif. En d’autres termes, le système éducatif est une énorme machine à reproduction sociale : les filières élitistes sont socialement fermées et l’importance des revenus des parents sur la réussite scolaire s’accroît. La France est ainsi l’un des pays où le milieu social influe le plus sur le niveau scolaire, bien plus qu’en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Espagne.

Cette crainte du déclassement explique le rejet croissant de la classe politique traditionnelle : avant l’élection d’Emmanuel Macron, les Français percevaient la vie politique comme un théâtre d’ombres : la Droite et la Gauche, une fois au pouvoir, menait, par la suite, une politique proche, à quelques mesures symboliques près.Ils ont aussi peur d’être déclassés par rapport à d’autres groupes dans la société. A force de vivre dans une société dite « multiculturelle » où la diversité ethnique, religieuse et culturelle est de plus en plus présente et où l’on se définit de plus en plus par rapport à ce type d’identités, ces personnes pensent voir diminuer le poids relatif et l’espace de leur culture.Ce phénomène illustre nos points aveugles.« Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit ». Cette phrase de Charles Péguy résume le dilemme de tout observateur.

Or, les populistes enchaînent les succès électoraux en Europe, comme dernièrement en Italie. Ils se nourrissent de l’impuissance des vieux partis et de l’Europe face aux crises économique et migratoire.Si l’on veut éviter l’arrivée au pouvoir du populisme qui se nourrit du sentiment d’injustice, il est indispensable de promouvoir un effort universel, partagé entre tous.Si nombre de maux affecte encore la France, il faut écarter les solutions « hors-système » et chercher des solutionspour rendre la croissance plus inclusive. En effet, le printemps de l’économie -et l’automne du populisme - n’arrivera que par une réduction des inégalités. Ceci nécessite un objectif entêtant : la recherche d’une croissance créatrice d’emplois.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !