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Prisonnière d’une idéologie dépassée par la réalité, l’Europe est-elle en pleine soviétisation  ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Doctrine politique

Le Conseil européen s'achevait ce 29 juin sur fond d'intenses négociations sur la question de l'immigration et celle de la zone euro, les premières réactions font état d'accords en deçà des enjeux réels auxquels l'Union européenne est confrontée. L'UE est-elle en train de se perdre en s'enfermant parfois dans sa propre idéologie, ou en présentant parfois des accords mineurs comme "historiques" dans un processus qui peut ressembler à ce qui est advenu en URSS ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que le Conseil européen s'achevait ce 29 juin sur fond d'intenses négociations sur la question de l'immigration et celle de la zone euro, les premières réactions font état d'accords en deçà des enjeux réels auxquels l'Union européenne est confrontée. En quoi l'UE  est-elle en train de se perdre, entre déni de réalités, en s'enfermant parfois dans sa propre idéologie, ou en présentant parfois des accords mineurs comme "historiques" dans un processus qui peut ressembler à ce qui est advenu en URSS ? 

Edouard Husson : L’Union Européenne est largement une construction datant d’avant la révolution de l’information. Rêvée dans les années 1920, conçue dans les années 1950, elle apparaît clairement dépassée dès le début des années 1990. Rappelez-vous comment un seul spéculateur, George Soros, fut capable, en 1992, de jouer la livre et la lire à la baisse et d’y gagner des milliards en quelques jours. Grâce à la révolution de l’information, les marchés financiers étaient dès cette époque infiniment plus performants que les Etats du Système Monétaire Européen. Or c’est le moment choisi pour aller encore plus loin dans la centralisation monétaire. A rebours des nécessités de l’économie. La révolution fondamentale des quarante dernières années, c’est la multiplication exponentielle de la quantité d’informations à disposition. La création du crédit devrait donc se faire au plus près de l’entrepreneur et du consommateur. Il est absurde d’avoir le même taux d’intérêt pour dix-neuf pays aussi différents les uns des autres. Le paradoxe de la révolution de l’information, comme l’a très bien montré Jean-Jacques Rosa, c’est qu’elle réhabilite non seulement l’entreprise de petite taille mais aussi la nation comme entité viable. Aujourd’hui, la surveillance des frontières nationales serait beaucoup plus efficace que l’Espace Schengen. Le risque, pour l’UE, c’est effectivement de finir comme l’URSS, devenue moins efficace que chacune des nations qui la composaient. 

Ce 30 juin, Emmanuel Macron rencontrera les présidents de la République Tchèque et de la Slovaquie, à l'occasion du centenaire de la création de la nation Tchécoslovaque en 1918. En quoi ce cas d'espèce peut également être l'occasion de tirer les leçons de la résilience des nations, face à un ensemble politique ? 

C’est un des épisodes les plus curieux de l’immédiat après-guerre-froide: la séparation pacifique de la République tchèque et de la Slovaquie. Tous les observateurs de l’époque ont voulu voir dans les guerres de Yougoslavie la preuve que les nations c’était le mal et la violence. Et ils ont minoré ou passé sous silence l’expérience réussie de la séparation de la Tchéquie et de la Slovaquie. Quand on réfléchit bien à la révolution de l’information, on comprend que la République tchèque et la Slovaquie sont des Etats viables malgré leur petite taille. L’éclatement de la Yougoslavie ne fut pas dû d’abord aux nations renaissantes mais aux interférences externes: innombrables problèmes créés par la « fédéralisation » de cet ensemble par Tito, le plus grand imposteur politique du XXè siècle; prêts du FMI; ingérence allemande puis américaine. La Yougoslavie ou la Tchécoslovaquie pouvaient faire du sens dans le régime d’information rare et coûteuse à obtenir du premier XXè siècle. Mais la révolution de l’information a conduit naturellement, au-delà des événements géopolitiques, à la multiplication des Etats-nations. Regardez la capacité à se réformer des petites nations (pensons au Danemark ou aux Pays-Bas dans l’UE, beaucoup plus efficaces que la France ou l’Allemagne de ce point de vue). 

Au regard de l'histoire de la fin de l'URSS, quelles sont les leçons que les européens doivent tirer pour permettre d'éviter une dislocation de l'ensemble politique européen ? 

La fin de l’URSS nous rappelle que les hommes maîtrisent rarement les forces profondes. Angela Merkel est dépassée par la poussée de l’immigration qu’elle avait au départ encouragée. De même la solidarité du nord et du sud de l’Italie s’est affirmée contre tous les facteurs de dislocation. Il apparaît donc évident que le mieux à faire, de la part des dirigeants européens, c’est de ne pas s’opposer aux peuples ni aux lames de fond du suffrage populaire mais d’essayer de le canaliser. Il s’agit de substituer une Europe des réalités à une Europe des illusions. La coopération entre nations européennes se réaffiirmera dans tous les cas, comme on voit renaître aujourd’hui un dialogue des nations qui constituaient l’ancienne URSS. Mais le retour au réalisme va être dur. Les dirigeants français et allemands vont-ils enfin accepter le fait que la politique de Mario Draghi, bien que n’étant pas sans mérites, est en-dessous de ce qu’il faudrait pour ramener durablement la croissance dans la zone euro? Ont-ils conscience du fait que le renouvellement des sancions contre la Russie se fait au détriment de l’unité européenne? Se rendent-ils compte que le sommet des 28 et 29 juin a accouché de plusieurs souris: un début de démantèlement des accords de Schengen; une discussion très en-deça des ambitions d’Emmanuel Macron sur la réforme de la zone euro. Et pendant ce temps Xi Jiping investit dans la Nouvelle Route de la Soie; Singapour devient une ville de plus en plus « intelligente », les universités asiatiques ne cessent de monter dans les classements internationaux, Israël est devenue la nation la plus innovante du monde, Trump s’occupe à reconstituer les forces d’une grande nation usée par la domination impériale, la Russie est devenue qualitativement la première puissance militaire du monde.....

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