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Tokyo, Chongqing, Guangzhou... mais quelle est la plus grande ville du monde ?
©Pixabay / csliaw

Mégapole

La majorité des listes des villes les plus peuplées du monde continuent de mettre en tête l’agglomération de Tokyo avec plus de 30 millions d’habitants. Pourtant, deux villes chinoises seraient désormais plus peuplées selon certains classements.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : Au cours de ces dernières années, à la faveur de flux migratoires en provenance des campagnes chinoises vers les métropoles, le statut de la première ville du monde en termes de population est parfois contesté à Tokyo, et attribué selon les cas à Chongqing, Guangzhou. Comment permettre une comparaison entre ces villes, quels sont les critères à retenir ?

Laurent  Chalard : Effectivement, si la majorité des listes des villes les plus peuplées du monde, à commencer par celle de l’ONU, continuent de mettre en tête l’agglomération de Tokyo avec plus de 30 millions d’habitants, une position qu’elle occupe de manière incontestée depuis plusieurs décennies, d’autres classements laisseraient entendre que deux villes chinoises seraient désormais plus peuplées, soit Chongqing au cœur de la Chine dans le bassin du Sichuan, avec aussi une population de 30 millions d’habitants, soit Canton (Guangzhou), au sud de la Chine, dans le delta de la Rivière des Perles, qui compterait jusqu’à 45 millions d’habitants selon le site de référence citypopulation.de !

Cependant, ces comparaisons sont biaisées car elles ne reposent pas sur des critères identiques. En effet, selon les critères utilisés les résultats sont différents.

Le premier critère utilisé par ceux qui affirment que Chongqing est la plus grande ville du monde est le périmètre administratif, c’est-à-dire la municipalité de Chongqing. Or, cela conduit à une interprétation erronée car il s’avère, bien souvent, que les périmètres administratifs ne correspondent nullement à la zone urbanisée. En règle générale, ils lui sont inférieurs, ce qui est le cas pour la municipalité de Tokyo (seulement 13,5 millions d’habitants), mais parfois, c’est le contraire, ils leurs sont très supérieurs, ce qui est le cas de Chongqing. Pour cette dernière, la « municipalité » correspond en fait à une « région » de la taille de la Nouvelle Aquitaine, qui comprend une grande métropole, Chongqing à proprement parler, des villes moyennes et petites (Fengjie ou Kaizhou) ainsi que des zones rurales. Dans les faits, Chongqing ne compterait que 14 millions d’habitants en 2018, ce qui est déjà beaucoup pour une agglomération inconnue du grand public !

Pour déterminer de manière pertinente la taille démographique d’une métropole, il faut en fait utiliser le critère de l’agglomération, c’est-à-dire de continuité du bâti dense entre les zones urbanisées (le centre-ville plus les banlieues). Or, pour Canton, il donne un constat différent, la continuité du bâti entre Canton et les autres agglomérations de la rivière du delta des Perles (Dongguan, Foshan ou Shenzhen) n’étant pas dense, l’inclusion de ces métropoles dans la population totale de la mégapole la gonfle artificiellement. Manifestement, il y a une confusion entre « mégapole » et « mégalopole », cette dernière se définissant comme plusieurs agglomérations coalescentes reliées par de (très) minces liserés d’urbanisation. Le delta de la Rivière des Perles constitue une mégalopole comme la côte Est des Etats-Unis entre Boston et Washington, mais pas une mégapole !

En outre, un dernier critère entre en jeu, la problématique de la qualité des données des recensements, qui se pose grandement en Chine, la population nationale étant, selon certains experts, surestimée et les données historiques des populations des grandes villes n’étant pas très fiables, sans évoquer la question sensible de la population « flottante », non enregistrée dans la population résidente des grandes villes.

Sur cette base, quelle est véritablement la plus grande ville du monde ?

Etant donné les doutes importants sur la fiabilité des données chinoises et si l’on se base sur la continuité du bâti dense, Tokyo demeure la plus grande ville du monde, pour laquelle le chiffre d’au moins 30 millions d’habitants n’apparaît pas usurpé, en rappelant que cette agglomération comprend plusieurs noyaux très peuplés, dont Yokohama et Chiba. D’ailleurs, les classements internationaux les plus sérieux continuent de la positionner en tête des agglomérations les plus peuplées de la planète. Ni Canton, ni Chongqing n’approchent de Tokyo, étant toutes les deux sous la barre des 20 millions d’habitants, mais progressant, il est vrai, rapidement. A l’heure actuelle, seule l’agglomération de Delhi en Inde, que l’ONU classe au second rang mondial, dépasserait les 25 millions d’habitants.

Selon les données actuelles et les tendances en cours, quelles sont les projections pouvant être faites dans le moyen terme ? Quelles sont les villes qui pourraient se disputer ce titre dans les années à venir ?

Les projections démographiques à l’échelle locale sont toujours à prendre avec précaution car elles sont très dépendantes des hypothèses migratoires, qui peuvent varier fortement dans le temps, et de la qualité des recensements, très inégale selon les Etats. Il convient de garder en tête l’exemple de Mexico qui était présentée dans les années 1990 comme devant devenir la plus grande ville du monde autour de l’an 2000 avec 30 millions d’habitants et, qui, finalement n’en compte guère plus de 20 millions en 2015, se situant au septième rang mondial selon l’ONU. En effet, son solde migratoire est devenu négatif et les recensements des années 1980 avaient surestimé la croissance de la ville, à l’origine de projections démographiques exagérées.   

Seule certitude, la plus grande ville du monde dans les prochaines décennies devrait rester asiatique puisque la majorité des mégapoles de plus de 20 millions d’habitants se situent, à l’heure actuelle, sur ce continent et que le taux d’urbanisation est appelé à y progresser fortement. En effet, en Amérique, deuxième continent pour le nombre de mégapoles, les taux d’urbanisation étant très élevés, les perspectives de croissance démographique des grandes villes sont limitées. En Afrique, les perspectives de croissance demeurent très importantes, mais, pour l’instant, les mégapoles y sont peu nombreuses, dans un contexte de moindre densité de la population. C’est seulement potentiellement à long terme qu’une mégapole africaine pourrait éventuellement ravir la première place à une métropole asiatique, sous réserve du maintien d’une fécondité plus élevée que dans le reste du monde.

Parmi les mégapoles asiatiques, outre Tokyo, plusieurs candidates pourraient lui subtiliser la première place, plus probablement dans le sous-continent indien, très peuplé, au taux d’urbanisation faible et à la croissance démographique encore relativement soutenue. Delhi, deuxième plus grande ville du monde selon l’ONU et plus grande ville d’Inde, est la meilleure candidate. Selon les projections de l’ONU, sa population pourrait approcher celle de Tokyo à l’horizon 2030. A plus long terme, Dacca au Bangladesh est une autre candidate sérieuse, étant donné les densités de population très importantes du pays et son bas taux d’urbanisation. Il est à noter cependant que se pose l’énigme de Jakarta, plus grande agglomération de l’Indonésie, située sur l’île de Java, qui affiche les densités parmi les plus élevées de la planète, et dont les données de population sont contradictoires selon les experts. Elle pourrait constituer la « surprise » démographique des prochaines décennies.

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