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Que faut-il faire pour inverser le ralentissement que connaît la France ?
©BERTRAND GUAY / AFP

Déclic

La France connaît un ralentissement et ne continue pas sur sa forte reprise observée au début de la fin de l'année 2017. Mais quelques raisons d'espérer existent.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Evidemment, il n’y a pas de potion magique. La France va moins vite, un peu parce que le monde va moins vite, secoué par la remontée du prix du pétrole et les foucades de Donald Trump. Inutile d’attendre que l’un baisse et que l’autre se calme ! Regardons autour de nous, où la zone euro ralentit et surtout chez nous, où la productivité du travail ralentit. Car c’est la source majeure de notre problème : la croissance, c’est la hausse de la productivité plus de la population active. Donc, pour aller plus vite, il faut surtout soutenir la productivité, même si c’est moins fun, l’emploi suivra.  

D’abord un fait : cette économie française qui va moins vite était (malheureusement) prévisible ! Plus exactement, elle ne continue pas sur sa forte reprise de fin 2017. Après les enquêtes privées d’opinion sur les ménages et les entrepreneurs qui avaient averti de l’inflexion, l’Insee et la Banque de France viennent de la confirmer. « Le climat des affaires en France est ainsi passé de 112 en décembre 2017 à 106 en mai 2018, en baissant de façon continue… La production manufacturière, particulièrement allante en fin d’année 2017, s’est contractée au premier trimestre (–1,0 % après +1,3 %). Elle progresserait moins rapidement qu’en 2017 au cours des trois trimestres suivants. » Bref, après ce +0,2% du PIB au premier trimestre 2018 qui avait signalé la rupture (en partie par la hausse de la CSG qui a fait baisser le revenu et par la baisse des exports), ce seraient 0,3 % au deuxième, puis +0,4 % aux troisième et quatrième trimestres. Au total, la croissance de l’économie française serait de +1,7 % en 2018 après +2,3 % en 2017 (qui était le record sur dix ans).

Ensuite un bémol : moins vite était prévisible, mais c’est quand même plus vite (heureusement) que la croissance potentielle française, recalculée à 1,25% par la Banque de France ! Mais quand même : à 1,25 %, la France va plus lentement que l’Allemagne à 1,9 %, qui n’a pas la même démographie ! Le problème est donc la productivité. Il pèse depuis des années en France et va continuer. Depuis la crise de 2008 en effet, la France n’a pas recouvré sa pente de productivité de long terme : +1,3% l’an par tête. Pire, elle ne s’est pas inscrite depuis sur un niveau certes inférieur mais parallèle, ce qui ferait penser (seulement) à une encoche : sa pente a l’air plus faible. Comme si l’encoche augmentait ! 

Ajoutons un bon point : certes la France mène enfin des réformes, lentes et compliquées, avec notamment plus de liberté et de souplesse aux entreprises petites et moyennes. Elle ouvre plus d’espace à la négociation dans l’entreprise, et à l’intéressement. En même temps, elle renforce la formation et l’apprentissage. Mais il faut du temps pour que les réformes se manifestent.  « L'expérience de nos voisins montre qu'elles prennent deux à trois ans pour produire leurs effets » dit le Gouverneur de la Banque de France. Disons trois ans, au moins ! 

Mais quel est donc l’objectif ? Celui dont on ne parle pas : réduire le déficit du commerce extérieur. Entre 2014 et 2017 en effet, la croissance cumulée du PIB en France a été inférieure de 2,4 points à celle de la zone euro. Cet écart négatif ne tient pas à la demande intérieure, solide, mais presque exclusivement à la composante extérieure. C’est le déficit extérieur, notamment avec la zone euro, qui explique notre perte de croissance dans les années récentes ! Notamment avec la zone euro, disons-nous, ce qui prouve que l’euro n’est pas en cause, mais la compétitivité avec nos voisins. Cette compétitivité est d’abord la compétitivité-coût, avec un écart qui se résorbe très lentement par la « modération salariale », ensuite et surtout la compétitivité hors-coût (qualité, gamme, délais…). 

La modération salariale est la base de notre reprise de la croissance, en passant par l’extérieur et, disons-le, par les ventes à l’Allemagne. Or rien n’est acquis. En 2000, le coût salarial horaire en France était inférieur de 15,7% au coût allemand dans le manufacturier, douze ans plus tard, cet écart avait disparu, mangé par la modération salariale… en Allemagne, et la progression des salaires et des charges… en France ! Il a donc fallu tout refaire, surtout côté baisse des charges (autrement dit hausse du déficit budgétaire), avec le CICE et le Pacte de Responsabilité. Aujourd’hui, selon Rexecode, le coût de l’heure de travail dans le manufacturier est de 39,1 euros en France contre 42 en Allemagne, mais de 23 en Espagne et de 34 en zone euro. Plus inquiétant, si l’on prend le coût du travail total pour l’économie, il est de 37,8 euros en France contre 36,3 en Allemagne, se décomposant en 28,3 euros de salaires et 8,1 euros de charges en Allemagne, contre 26 et 11,8 en France. Au niveau global, on doit ainsi dire que la modération salariale doit continuer en France et surtout que la baisse des charges doit l’escorter. Or cette baisse creuse le déficit budgétaire, ce qui implique des économies dans la dépense publique, des redéploiements et des innovations pour la financer.

Et la hausse de la productivité vient ici à la rescousse ! Elle n’est pas synonyme de modération salariale, elle s’y ajoute ! C’est là une autre démarche qu’il faut entreprendre, pour corriger la grave décélération actuelle. Les analyses pleuvent sur le sujet, au-delà de la mauvaise qualité de la mesure de la croissance, par sa difficulté à mesurer les apports des innovations (des « analyses » qui n’aident pas). Les analyses utiles mettent en avant deux phénomènes : notre manque d’investissement en machine et en formation, et notre mauvaise allocation des ressources, des capacités restant trop dans des entreprises peu efficaces, privées ou… publiques (zombies ?). Investir plus et former plus !

La montée en qualité et en gamme est alors possible. Décisive, elle ne s’improvise pas. Elle dépend des formations initiale et permanente, d’une meilleure réponse aux besoins de main d’œuvre des entreprises et d’une montée des qualifications. Or 25% des PME françaises citent le manque de main-d’œuvre qualifiée comme leur plus importante difficulté actuelle, contre 18% pour « trouver des consommateurs »  et 13% pour « la concurrence ». Et si 74% des diplômés du supérieur long ont bénéficié d’une formation dans l’année précédente (enquête Insee de 2016), ils ne sont que 22% pour les détenteurs d’un certificat d’études ou les non diplômés !

Avoir plus de croissance en France, c’est augmenter la croissance potentielle, donc la productivité, donc l’investissement physique et humain, les mobilités et les capacités humaines, donc les marges pour financer. Ce n’est pas rapide mais sûr. Mais c’est l’inverse d’une forte hausse du SMIC, remède pour avoir plus de licenciements dans les PME, plus de chômage et plus de déficits budgétaire et extérieur ! L’économie française digère avec difficulté la révolution technologique en cours, mais elle s’y met ! Mais quel talent, quand même, pour nous critiquer et susciter des obstacles aux changements ! Au fond, la croissance française sera plus forte quand on essaiera de moins la freiner !

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