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Prière de peu plaider ? Ce que l’architecture du nouveau Palais de justice suggère de la place désormais "laissée" aux avocats
©Zakaria ABDELKAFI / AFP

Billet d'humeur d'un avocat ayant mauvais esprit

Maître Cube livre sa vision du nouveau Palais de justice de Paris, situé dorénavant au Tribunal des Batignolles.

Le Tribunal des Batignolles a été conçu comme un palais post-moderne. Dans une société vouant aux gémonies le passé, les traditions, l'histoire… ressentis comme aliénant et trop déterminant pour l’individu, le nouveau palais de justice devait perdre toute solennité, toute volonté affirmée de grandeur. L'heure n'est plus à la verticalité mais à une conception plus démocratique.

Renzo Piano son concepteur a voulu une justice à "hauteur d’hommes" et, paradoxe étrange, a créé une tour immense baptisée d’un acronyme qui claque : IGH (pour immeuble de grande hauteur).
Dorénavant la justice devra réparer, soigner et ne plus punir comme Dieu déclenchant la foudre divine. Foin de ces anciens palais conçus comme des temples religieux à colonnades, frontons et coupoles consacrés à la justice avec un grand J.
Le parti pris architectural sensé traduire cette vision est celui de l’ouverture, de la clarté, de la transparence qui libèrent. 
Voilà pour les intentions de départ. 
Hélas à l'arrivée le compte n'y est pas. 
De la justice « Care » imaginée on ne ressent au final qu’un vague sentiment de déambuler dans une clinique qui aurait été conçue comme un "mall" commercial. 
La lumière naturelle est absente des salles d’audience comme si l’extérieur était démonisé comme facteur potentiel de trouble ou d’inattention. En son cœur le palais se referme sur lui-même dans une triste et sinistre introspection de murs blancs. Puisque on n’a pas voulu de décorum on a oublié tout décor et reste un ensemble froid, distant et impersonnel dans lequel on privilégie l’efficacité, le pratique, tout ce qui est de nature à améliorer le rendement. Nous sommes bien dans l’ère macronienne. La technologie présente partout (écrans, micros, connectique…)  rapprochera le justiciable de l’institution, comprenant que cette vieille dame ne peut pas être mauvaise puisqu’elle est, au choix, en marche ou en ordre de marche. 
Dans ce subtil discours dorénavant instauré directement avec le justiciable on a le sentiment que la présence des avocats est du coup moins nécessaire. L’auxiliaire de justice jadis nécessaire pour faire le lien entre le public et l’institution serait en voie de disparition ou à tout le moins cantonné dans un rôle moindre. D’où une marginalisation physique de sa place au sein du bâtiment (locaux ordinaux réduits à leur portion congrue) et une volonté claire et revendiquée de l’éloigner des magistrats. Pour ne prendre qu’un exemple de cette curieuse conception (mais ô combien révélateur), les sas de sécurité mis en œuvre dans les étages de l’instruction contraignant l’avocat à se plier à un parcours du combattant pour avoir accès à ses juges. Il ne suffit pas d’avoir badgé avec sa carte professionnelle en bas de la tour, il lui faut solliciter à nouveau l’autorisation de pénétrer dans le saint des saints, en sonnant à un interphone ; générant au passage plus de contraintes pour les greffiers ou les personnels administratifs….
Dire qu’il n’est plus bienvenu est un euphémisme. Le système semble ériger une défiance entre acteurs de la "chose judiciaire" comme si la proximité (dans l’esprit de certains entendre la promiscuité) était un risque… 
A l’occasion d’un échange sans langue de bois avec un magistrat, ce dernier a reconnu que la démarche qui a présidé aux choix pratiques du nouveau palais était teintée de paranoïa…. Voire.
Au 21ème siècle ayant enfin compris que la faiblesse de la justice est d’être rendue par les hommes, faiblesse que l’ostentation architecturale ne supprimait pas, on a imaginé une justice dans laquelle les interactions humaines seraient évitées au maximum. Bienvenue à Gattaca...
Chacun à sa place : les justiciables réclamant leurs droits, les avocats défendant et les juges jugeant, le tout sans passion dans une clarté aveuglante et glaciale qui lèvera toutes éventuelles zones d’ombre et évitera toutes suspicions. 
Pour cela a été créé le lieu idoine, ce puit de lumière avant-garde de la justice prédictive qui bientôt préfèrera confier les jugements à des algorithmes plutôt qu’à des hommes.
Les salles d’audience tristes comme des salles de réveil post-opératoire n’auront bientôt plus aucune utilité et moi, et nous, avec elles... 
Je ne le verrai sans doute pas mais je sens confusément que tout se met en place dès aujourd’hui.
Le vilain sigle PPP (pour désigner le financement via le partenariat public privé) pourrait valoir à ce beau bâtiment un nouveau surnom « Prière de Peu Plaider »

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