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"Théodore Poussin : Le dernier voyage de l’Amok" : Savoir se faire attendre, désirer...
©Reuters

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13 ans après, Théodore Poussin refait surface, toujours aussi quelconque, atypique et imprévisible. Grande interrogation métaphysique: quand reviendra-t-il ?

Dominique  Clausse pour Culture Tops

Dominique Clausse pour Culture Tops

Dominique Clausse est chroniqueur pour Culture Tops

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BD

Le dernier voyage de l’Amok, Théodore POUSSIN, Tome 13
Dessins & Scénario : Frank Le Gall
Editions Dupuis
64 pages
14,50 €

RECOMMANDATION

EXCELLENT

THEME

Difficile de décrire Théodore Poussin, personnage au départ un peu insignifiant, devenu marin au long cours et aventurier intrépide. Le terrain de jeu de ses aventures se situe majoritairement dans l’Extrême-Orient du début du XXème siècle, un Extrême-Orient très fantasmé par Frank Le Gall. Il balade son héros dans cet univers, au gré de son imagination et sans trop se soucier du fil narratif, d’un album à l’autre.

Héros quelconque et histoires invraisemblables, c’est, paradoxalement, en évitant soigneusement tous les ingrédients du succès que Le Gall a obtenu, avec Théodore Poussin, une vraie reconnaissance. En effet, toute une génération de lecteurs s’est prise d’affection pour ce héros atypique, dont on découvre, avec ce 13ème tome, la suite des aventures entamées dans le précédent, « les Jalousies ».

L’intrigue est d’ailleurs un bel exemple de l’incohérence évoquée ci-dessus : Théodore Poussin retrouve un vieil ennemi, le capitaine Crabb mort dans le tome 3, et ressurgi de nulle part, pour l’affronter dans un combat sans merci. L’enjeu apparent est dérisoire : une île sans grande valeur de l’archipel de Riau Islands, entre la Malaisie et Singapour. Le tome 12 se terminait par la victoire du capitaine Crabb, mais la lutte reprend de plus belle dans ce tome 13, au titre évocateur : « le dernier voyage de l’Amok ». L’Amok est le nom du bateau avec lequel Poussin va repartir au combat, mais l’Amok, c’est aussi un mot malais, qui décrit le désir de vengeance d’un homme seul, assouvi par une violence meurtrière.

POINTS FORTS

Le graphisme de ce dernier opus est très étonnant, car il marque une vraie rupture dans le travail de Le Gall sur son héros. En effet, en dehors des quelques premières pages hésitantes, dans le tome 1, et d’une variation sur l’utilisation des couleurs dans « la vallée des roses » (le tome 7, qui est une très jolie évocation de la jeunesse du héros), le graphisme de Théodore Poussin est toujours resté très stable. Le tome 13 rompt cette continuité, par une modernisation du trait, qui, miraculeusement, ne nuit pas à l’ambiance de la série. On retrouve avec plaisir les personnages récurrents, dont l’étrange Barthélémy Novembre, qui suit Poussin depuis sa première aventure et qui personnalise son destin. Frank Le Gall le fait mourir et ressusciter à plusieurs reprises, et donne l’impression que, plus la série avance, plus Novembre, entre ses vies et ses morts, devient le symbole des hésitations de son créateur : continuer ou pas ces aventures ?

POINTS FAIBLES

Avec cette dernière aventure, le goût de Le Gall pour les récits décousus ne se dément pas. Une nuit d’amour entre le pourtant peu séduisant Théodore et une improbable aventurière est le symbole de ces passages invraisemblables qu’il apprécie tant. Il ajoute une dose d’homosexualité, là aussi surgie de nulle part, dans la relation entre Crabb et Poussin. Il met également en scène un équipage de l’Amok tout droit sorti d’un film de Tod Browning, ambiance Freak garantie. Bref une bonne dose d’invraisemblable, mais qui est, répétons-le, l’ADN de cette série. On aime ou on n’aime pas.

EN DEUX MOTS

Le plaisir inattendu de retrouver Théodore Poussin digéré, une question vient rapidement titiller nos neurones. Faut-il ou non continuer ces aventures ? La Bande Dessinée fourmille d’exemples de l’ « album de trop » et on a le sentiment que Frank le Gall n’arrive pas à trouver la réponse, qu’il est pourtant le seul à pouvoir apporter.

Le rythme des parutions des aventures de Théodore Poussin illustre ce sentiment d’hésitation : Les 10 premiers numéros sont parus entre 1987 et 1997, soit un par an en moyenne, rythme qui se dégrade progressivement, 3 ans entre le T10 et le T11, puis 5 ans entre le T11 et le T12, jusqu’à ces 13 ans pour le tome 13. Comment expliquer ce ralentissement : les difficultés à trouver l’inspiration ou une forme d’addiction de l’auteur pour son personnage, qui contrebalancerait son envie d’arrêter ? La réponse est sûrement un mélange des deux.

Cet album, dans ses forces comme dans ses faiblesses, illustre ce dilemme. Il est beau, il est dans l’esprit de la série, mais il nous laisse également un peu sur notre faim (ou notre fin ?).

UN EXTRAIT

« Vous n’auriez jamais dû me chasser Crabb. Je suis venu reprendre ce que vous ne pouvez pas me rendre. »

L’AUTEUR 

(à partir de sa biographie de BD Gest)

Né Le 23 septembre 1959 à Rouen, Frank Le Gall commence à 16 ans à travailler pour le magazine écolo PISTIL sur une série humoristique : "Pouce de plein vent". Avec le scénariste Alain Clément, il crée ensuite le saxophoniste de jazz "Valry Bonpain" pour des histoires courtes et policières publiées dans SPIROU. C'est en 1984 que naît un nouveau personnage : "Théodore Poussin", présenté dans SPIROU et hôte ultérieurement de la collection "Repérages Dupuis". "Le fait de choisir l'Asie des années vingt, c'était plus pour pouvoir mentir à mon aise que pour autre chose, souligne l'auteur. Je ne cherche pas à être véridique, je cherche seulement à être crédible ». Il commence en 1985 une nouvelle brève série pour Glénat, avec la complicité de Yann au scénario : "Yoyo". Parallèlement, il illustre des textes classiques dans JE BOUQUINE. En 1989, "Marie Vérité", le troisième volume de "Théodore Poussin", écrit avec Yann, obtient le Prix du Meilleur Album à Angoulême.

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