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Comment la France se retrouve de plus en plus isolée en Europe
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Alone in the dark

Le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, a maintenu son rendez-vous vendredi avec Emmanuel Macron, malgré une importante brouille diplomatique. Mais l'évolution de la situation politique dans différents pays a pu révéler un certain isolement du président français en Europe.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Alors que le conseil européen des 28 et 29 juin prochains sera l'occasion pour les européens de se prononcer sur le projet de refondation de l'Union d'Emmanuel Macron, l'évolution de la situation politique dans différents pays, que cela soit en Allemagne ou en Italie, a pu parfois révéler un certain isolement du président français. Dans quelle mesure Emmanuel Macron est-il isolé sur la scène européenne ?

Christophe Bouillaud : Bien sûr, tout le monde parle avec les autorités françaises, et en ce sens, Emmanuel Macron n’est pas isolé. Par contre, beaucoup d’indices laissent à penser que les projets d’Emmanuel Macron en matière européenne, en particulier de réforme de la zone Euro, ne reçoivent pas vraiment un soutien unanime.

Il y a d’abord les opposants officiels, les huit pays menés par le Premier Ministre néerlandais, Marc Rutte, qui disent non à presque tout. Il y a ensuite l’Allemagne d’Angela Merkel, qui cultive l’ambiguïté et le flou. Cette ambigüité et ce flou consistent à laisser ouverte l’idée d’une réforme de la zone Euro, tout en la faisant porter uniquement sur les points qui correspondent à un approfondissement des tendances ordo-libérales déjà présentes. Par exemple, le « Fonds monétaire européen », évoqué du côté allemand, qui prendrait la suite du MES (Mécanisme européen de stabilité) serait ainsi toujours détaché du mécanisme communautaire, donc dominé par une gestion intergouvernementale, et il pourrait même enlever des prérogatives de surveillance économique à la Commission européenne – qui, elle, est responsable devant le Parlement européen. C’est donc sur ce point précis l’inverse de l’idée de démocratisation de la zone Euro, prôné par Emmanuel Macron en 2017.

Enfin, il y a les deux grands pays méditerranéens – Espagne et Italie - qui pourraient venir appuyer les propositions françaises. Il faudra toutefois que les proches d’Emmanuel Macron ne réitèrent pas les propos tenus à l’occasion de la crise de l’Aquarius sur l’attitude italienne en matière migratoire. Le sommet franco-italien de demain vendredi 15 juin a failli être annulé pour cette raison. Avant de mettre l’Italie de son côté, E. Macron devra déjà faire des concessions aux nouveaux gouvernants italiens sur d’autres points, dont la question migratoire. Quant à l’Espagne, l’arrivée inopinée au pouvoir d’un socialiste constitue pour E. Macron une bonne nouvelle. Par contre, du moment où la France se met à la tête d’un front des pays méditerranéens pour revoir le fonctionnement de la zone Euro, il ne faudra pas s’étonner d’un refroidissement encore plus marqué du côté de Berlin.

Comment expliquer cette situation et quelles ont été les erreurs commises dans ce cadre par Emmanuel Macron ?

La première explication à évoquer est la double divergence des intérêts nationaux et de l’interprétation de la situation. On reste en 2018 dans une opposition entre Etats « créditeurs » et Etats « débiteurs » - comme viennent de le montrer les réactions européennes à la formation du nouveau gouvernement italien, où seul le niveau de la dette italienne a été évoqué. Mais on reste aussi dans une opposition sur l’interprétation de la situation – la crise économique européenne est-elle déjà  finie, ou est-elle interminable ? - et des raisons de cette dernière – est-ce le succès des recettes ordo-libérales de sortie de crise, ou l’échec de ces dernières ? De ce point de vue, Emmanuel Macron est lui-même sur une position médiane : à la fois, il entend imposer à la France une cure d’ordo-libéralisme et d’austérité, il prétend faire des réformes à foison, ses homeworks, comme disent les dirigeants français et allemands en jargon européen, donc il croit à la solution ordo-libérale au niveau national – ou alors ce serait absurde d’imposer ce genre de réformes aux Français -, tout en soutenant par ailleurs que la pérennité de la zone Euro demande plus que cela. En effet, puisqu’il demande une réforme de la zone Euro, il soutient donc qu’il ne suffirait pas que tous les pays de la zone Euro soient gérés à l’allemande pour que cette dernière se sorte vraiment d’affaire. En arrière-plan, il y a la nécessité structurelle d’un fédéralisme budgétaire. Pour les Allemands, si tout le monde les imitait, tout irait bien, et il n’y a donc pas une grande nécessité de réformer l’ensemble de l’architecture de la zone Euro.

Partant de cette situation, la grande erreur – ou faiblesse imposée par la situation ? – d’Emmanuel Macron est de ne pas avoir conçu dès le départ sa stratégie réformiste avec des alliés sûrs. Historiquement, dans les années 1950 –signature des premiers traités – et dans les années 1980 – relance européenne -, c’est toujours un groupe d’Etats, ou plutôt de dirigeants bien placés dans des Etats clés qui font avancer l’intégration européenne. Il y a même, vu par les eurosceptiques, un côté complot dans ces épisodes, au sens qu’il a fallu d’abord se coordonner en privé avant d’avancer en public des propositions. Or, là, Emmanuel Macron prend la voie gaullienne façon Plan Fouché. La France propose un plan grandiose de réformes, mais sans en avoir testé la validité auprès des autres partenaires, ni avoir bâti une coalition. On finit par le paradoxe que les anti sont déjà regroupés en un groupe de huit pays autour de Marc Rutte et pas les pour.

A la décharge du Président français, il faut souligner que l’instabilité politique des partenaires possibles pour une telle avancée dans l’intégration ne l’a pas aidé. En 2017, en Italie, il était face à un gouvernement Gentiloni en bout de course à la fin d’une mandature, après un référendum perdu en décembre 2016 par Matteo Renzi. En Allemagne, on sait les difficultés d’Angela Merkel à former un nouveau gouvernement suite aux élections de septembre 2017. Quant à l’Espagne, le problème catalan mobilisait toute l’attention des dirigeants madrilènes. Il ne restait plus que les dirigeants grecs et portugais sur lesquels s’appuyer…  De fait, une coalition stable de dirigeants à orientation fédéraliste dans les grands pays est désormais presque impossible à bâtir. 

De ce fait, Emmanuel Macron n’avait guère d’autre choix pour accélérer le mouvement que de partir seul à la bataille en espérant trouver des alliés en chemin.

Quelles sont encore les chances de voir Emmanuel Macron obtenir un résultat substantiel au cours de ce Conseil européen ? Le projet de refondation est-il simplement mort-né, ou est-ce qu'une issue favorable reste encore d'actualité ?

En considérant les positions des uns et des autres, les chances sont a priori réduites. De fait, on voit mal comment une majorité de gouvernements à orientation de droite libérale ou nationaliste peut arriver à accoucher d’un saut en direction du fédéralisme budgétaire. Il faut ajouter à cela la situation politique allemande : visiblement, A. Merkel se trouve de plus en plus affaiblie au sein du camp conservateur. Elle a bien dit d’ailleurs qu’elle refusera donc tout ce qui s’apparenterait à une « Union de transferts ». Elle peut donc dire oui à des réformes de la zone Euro, tant que ces dernières restent vraiment techniques et limitées.

Après, face à ces avancées minimes, Emmanuel Macron pourrait jouer la crise, en instrumentalisant le cas italien par exemple. Il pourrait refuser ces petites propositions allemandes, dénoncer la nullité de tous les autres dirigeants sans aucune vision d’avenir, et en appeler au peuple européen, consulté justement l’an prochain. En même temps, aucun dirigeant français n’a osé aller vraiment à l’affrontement public avec les dirigeants allemands depuis des lustres. Emmanuel Macron préférera sans doute prendre ses quelques gains et présenter tout cela aux électeurs français comme une immense avancée. Ces derniers risquent de ne pas être dupes. Et surtout, il reste que la zone Euro demeurera un édifice structurellement fragile que la prochaine crise économique peut emporter.

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