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Pourquoi l’étrange attirance de Philippe de Villiers pour Macron est symptomatique du mal qui ronge la droite
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Bromance

Mercredi soir, le chef de l'Etat a rencontré - une nouvelle fois - l'ex-président du Conseil général de Vendée lors d'une réunion avec des chefs d'entreprises et des élus du département. Une "attirance" qui pose question.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Au cours de son déplacement en Vendée ce 13 juin, Emmanuel Macron a pu rencontrer une nouvelle fois Philippe De Villiers à l'occasion de la visite d'une entreprise. Alors que l'intérêt d'Emmanuel Macron a pu surprendre et est régulièrement commenté, l'intérêt que porte Philippe de Villiers pour Emmanuel Macron pourrait apparaître tout aussi surprenant. Comment expliquer, sur le fond mais également sur la forme, l'intérêt porté par Philippe de Villiers à Emmanuel Macron ?

Christophe Boutin : On a effectivement plus glosé sur le surprenant intérêt d’Emmanuel Macron pour Philippe de Villiers que sur l’inverse, qui l’est pourtant tout autant. Sur le fond en effet, rien ou presque ne rapproche les deux hommes. L’un est un europhile convaincu, partisan de la relance de l’intégration européenne, soucieux de donner des compétences accrues à l’Union, l’autre est un souverainiste assumé, qui lutte depuis toujours pour, au contraire, rester dans une très gaullienne Europe des nations. L’un veut mettre en place un Islam de France, l’autre souhaite entendre la voix des clochers. L’un envisage sans broncher les manipulations génétiques et techniques de « l’homme augmenté », l’autre veut que les exigences bioéthiques encadrent ces développements. L’un laisse perdurer le phénomène migratoire, l’autre entend y mettre un terme. Si Villiers pense héritage, transmission et famille, Macron mène une politique qui porte atteinte aux trois, et l’on pourrait résumer les choses en disant qu’après l’ENA l’un est parti dans la banque et ses intérêts mondialisés, l’autre dans la préfectorale et son implication territoriale…

Alors, intérêt bien compris de la part du Vendéen ? On pourrait évoquer sans doute le plaisir rencontré par Villiers de revenir, grâce à Macron, sur le devant de la scène médiatique, d’être, comme il le dit lui-même, pour la première fois vraiment proche d’un Président de la république – plus proche certainement qu’il a pu l’être d’un Jacques Chirac ! Villiers reste un politique, il aime être vu et reconnu, et il a trop souffert d’avoir été ostracisé pendant toute sa vie politique ou presque par d’autres politiques de droite, médiocres et inféodés au politiquement corrects. La presse mainstream, qui le trouvait vraiment infréquentable ; doit maintenant elle-même en rabattre, puisque même Bruno Roger-Petit en dit du bien ! L’intérêt bien compris peut être aussi pour ce gestionnaire qu’est Villiers : si Le Puy du Fou est internationalement reconnu et n’a effectivement pas besoin du passage de Macron et des caméras qui le suivent, ses intermittents bénévoles peuvent, eux, bénéficier de cette proximité présidentielle.

Ce serait donc la rencontre de deux machiavélismes : celui de Macron qui brouille ainsi les cartes à droite, et celui de Villiers qui tiendrait sa vengeance. Pour autant, il serait sans doute erroné de s’en tenir à cette approche. Il est en effet permis de penser qu’il y a une vraie sympathie, sinon une amitié entre les deux hommes, sympathie qui tient non au fond, à leurs programmes ou à leurs choix, mais à la forme. D’abord, ils ont tous deux l’esprit vif, passent d’un problème à l’autre, comprennent à demi-mot ; ils sont cultivés et peuvent échanger des références culturelles qui ajoutent au charme de la conversation ; ils sont tous deux volontiers ironiques et mordants, incapables de résister à la tentation de la pique et de la pointe. Ils ont ensuite clairement conscience de faire partie d’une élite et n’en tirent aucune honte. Ils entendent tous deux à la fois respecter les codes, incarner leurs fonctions, mais « en même temps » dirait-on, ne pas être dupes de ce jeu théâtral. Un théâtre dont ils ont tous les deux le goût, goût de la posture, de la mise en scène, du geste qui frappe. On comprend donc que les deux hommes disent, quand on les interroge, bien s’amuser ensemble. Ils ne sont sans doute dupes de rien, savent quelles sont leurs divergences et qu’elles sont irréconciliables, mais trouvent, de temps en temps, fort agréable de badiner autour d’une table ou dans une tribune de foot. En cela, ils représentent tous deux un certain « esprit français » : on est ennemis, mais on se salue, on se respecte, on se reçoit, on joue de l’esprit à fleuret moucheté. Soyons clair : quand on connaît le milieu politique de droite comme de gauche, on comprend combien ce bol d’air puisse être agréable. Et c’est sans doute une grande part de cet intérêt porté par Villiers à Macron.

En quoi cet intérêt pourrait être symptomatique de la crise que connaît la droite aujourd’hui ? En quoi les questions de recherche de verticalité et d'attachement à une forme de libéralisme peuvent-ils illustrer le trouble existant à droite aujourd’hui, tout comme ce lien qui unit les deux hommes ?

Les deux éléments que vous citez sont intéressants en ce que ce sont les deux seuls éléments de rencontre entre les deux hommes portant sur le fond et non sur la forme. La demande de verticalité d’abord, dont Villiers aurait fait mention lors de la première visite de Macron en Vendée, en 2016, en lui disant que le nouveau président devrait « habiter le corps du roi ». Après le néant chiraquien, l’agitation sarkozienne et le ridicule hollandesque, il était temps en effet restaurer l’image d’un Chef de l’État qui reste la « clef de voute » des institutions de notre Cinquième république. Quand, au soir de son élection, Emmanuel Macron a lentement traversé la cour du Louvres, on a immédiatement compris qu’un ton nouveau était donné, et que l’on retrouvait cette dimension dans la forme au moins  – mais on aura garde d’oublier le poids du symbole en politique. De la même manière, on pourrait s’amuser à voir en quoi le mode de fonctionnement politique macronien, avec son Chef de l’État appuyé sur la haute fonction publique bien plus que sur les hommes politiques, retrouve le De Gaulle des débuts de la Cinquième, ou même, pourquoi pas, le Roi de France et ses légistes. Autant d’éléments qui, quand bien même ne seraient-ils que pose, sont en totale adéquation avec l’approche de Villiers, quand les politiques français, de gauche, mais aussi de droite, et c’est là que l’intérêt du Vendéen pour Macron est symptomatique, font depuis des années profession de fausse proximité et, confondant vulgarité et humilité, se rendent ridicules à force de vouloir « faire peuple ».

Deuxième élément, l’attachement à une forme de libéralisme, mais encore faudrait-il définir laquelle. Effectivement, Villiers est non seulement l’homme du Puy du Fou mais aussi, et surtout, un dirigeant local qui a fait de la Vendée une terre d’opportunités entrepreneuriales. C’est là son point commun avec Macron – comme peut-être aussi avec un certain Sarkozy : permettre à ceux qui veulent s’en donner la peine de réussir. Mais Emmanuel Macron reste ici très ambigu, car son tropisme vers une autre forme de libéralisme, le libéralisme financier mondialisé, n’est pas toujours compatible avec le premier. Là encore, cette division vaut pour la droite : une partie d’entre elle, disons actuellement celle qui est facilement souverainiste, avec des précautions, plutôt sur la ligne de Laurent Wauquiez, relève du capitalisme entrepreneurial, quand une autre partie, volontiers europhile quand elle n’est pas mondialiste, penche elle pour « l’ultra-libéralisme » mondialisé.

Quelles sont les leçons que la droite peut tirer de cette situation ? Quelles sont les faiblesses révélées ?

D’abord, comprendre que la forme est indispensable, et que les Français attendent que soit restaurée une image du pouvoir autant que soient menées des politiques qui la confirment. C’est sans doute sur cette adéquation entre forme et action que le bât blessera pour Emmanuel Macron : on ne peut être le Roi si l’on n’est pas maître chez soi. Les « grandes compagnies » ne peuvent continuer à désoler le « doulx païs », et le Président devrait se souvenir que cette Jeanne, qu’il aime tant à évoquer devant les caméras, contribua à bouter l’Anglois hors de France. Restaurer l’image a eu et aura un effet, mais cela ne peut être suffisant sur le long terme, et c’est là un angle d’attaque clair pour une droite qui s’assume.

Quant aux faiblesses de la droite, elles viennent à la fois justement de ce refus de s’assumer, de ce manque de confiance en elle, du sans doute à ces années passées à courber l’échine devant le moindre folliculaire, comme de la difficulté qu’elle a à trouver quelqu’un qui incarne ses valeurs en même temps qu’il les renouvelle. Emmanuel Macron a su brillamment incarner un élan, une nouvelle manière de faire de la politique. La question n’est pas ici de savoir si la réalité correspond à l’image, et si, en fait, il ne fait pas la même politique que celle de toujours, avec des formes différentes. Elle est celle de l’attente qui semble persister d’une semblable incarnation à droite, celle du Condé de Rocroi ou du Bonaparte d’Arcole qui mènerait la charge.

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