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Profits records : les multinationales n’ont jamais gagné autant d’argent et voilà pourquoi
©DAMIEN MEYER / AFP

Dividendes

Jamais les grandes compagnies internationales superstars n’ont autant gagné d’argent. Jamais elles n’en ont autant distribué dans les pays développés, surtout aux États-Unis. Pourquoi ? Et jusqu’à quand ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Le FMI n’en revient pas : dans une étude à paraître sur 74 pays, les grandes entreprises mondiales cotées, dans les pays développés, gagnent de plus en plus d’argent ! L’écart entre les prix de vente de leurs produits et ce que leur coûte une unité supplémentaire pour le faire (taux de mark up) ne cesse de se creuser, à la différence des pays moins développés. Depuis 1990 en effet, ce taux de marge a augmenté de 40% pour les pays « riches », contre 5% pour les grandes entreprises des pays émergents et en développement, autrement dit des « pays émergents et pauvres ». 35% d’écart en 25 ans !

Pourquoi cette montée, et pourquoi cet écart ? Deux raisons : d’abord la montée du taux de marge vient de la révolution technologique. Elle a permis à son début les prises de risques et les investissements, aux États-Unis surtout, avec des échecs certes, puis d’éclatantes réussites (les GAFA). Ensuite, elle a créé une véritable monopolisation du monde, en quelques années. Ces superstars attirent ainsi de plus en plus de ressources pour financer leurs logiciels, qui écrasent les autres, pour étendre leurs réseaux, qui asphyxient les autres, pour acheter des start-ups prometteuses, qui tuent dans l’œuf tout risque de concurrence. Tout va de plus en plus à quelques vainqueurs, peu ou pas aux autres, et la part des salaires dans la valeur ajoutée baisse.

Combien ? 1 358 milliards de dollars de dividendes ont été distribués en 2018 selon Janus Henderson (société spécialisée dans ce calcul) : le record ! Les dividendes mondiaux devraient même augmenter de 8,5% en 2018. La croissance mondiale joue dans cela un rôle majeur bien sûr, avec la révolution technologique en cours, plus les politiques monétaires qui font baisser les taux d’intérêt, plus les politiques fiscales qui font baisser les taux d’impôt, notamment américains. Mais 113 milliards de dollars de dividendes viennent des seuls États-Unis ce premier trimestre !

Et en France ? 93 milliards d’euros de bénéfices en 2017 pour le Cac 40, dont 51 en dividendes, c’est aussi le record, selon Oxfam. Mais cette ONG ne le salue pas ! Pour elle, les entreprises du Cac 40 « ont restauré leur niveau de rentabilité préalable à la crise financière avec des bénéfices qui ont augmenté de plus de 60% depuis 2009 ». Mais « ces gigantesques richesses créées ne sont pas équitablement partagées avec celles et ceux qui la créent : elles ont surtout bénéficié aux actionnaires et aux dirigeants de ces entreprises, plutôt qu’aux salariés ou aux contribuables ». Oxfam note que « de 2009 à 2016, sur 100 euros de bénéfices, les entreprises du CAC 40 ont en moyenne reversé 67,4 euros de dividendes aux actionnaires, ne laissant plus que 27,3 euros pour le réinvestissement et 5,3 euros de primes pour les salariés. »

On saisit l’opposition politique entre Janus Henderson et Oxfam ! Pour répondre à Oxfam, on peut ajouter, si on a fait un peu de comptabilité, que la dotation aux amortissements, antérieure au calcul du résultat, est faite pour aider à financer le réinvestissement en compensant (comptablement) l’usure des équipements, que les salaires sont faits pour rémunérer les salariés, avant le calcul des dividendes bien sûr, et que les impôts ont déjà été payés !

Mais l’opposition entre pro et anti-dividendes passe à côté de l’essentiel, dont ni Janus Henderson ni même Oxfam ne parlent : pourquoi donc tant de dividendes et quels risques portent ces écarts ? D’abord, cet argent qui sort de l’entreprise l’affaiblit ! Pourquoi le remettre aux actionnaires ? Pourquoi ne pas le garder ?

Les raisons abondent, nous garderons la nôtre pour la fin. D’abord parce que l’entreprise n’aurait plus d’idées pour investir de façon profitable ? Si elle continue, elle ferait baisser la valeur de l’entreprise : mieux vaut donc rendre l’argent ! Triste ! Ensuite parce que l’entreprise pense avoir fait les meilleurs choix de croissance et n’a pas tout dépensé. Elle laisse ses actionnaires libres de faire ce qu’ils veulent du solde. C’est mieux qu’un paiement, même plus généreux, en action, sachant qu’ils peuvent en acheter… avec le dividende ! Mieux mais quand même… Ou bien l’entreprise envoie-t-elle le message qu’elle va toujours bien, sinon mieux, que la Grande crise est derrière. Donc ses actionnaires peuvent rester et réinvestir leur dividende ! Mieux encore, c’est une belle promesse : le taux de distribution du résultat en dividende, plus de 50% désormais, engage l’entreprise par rapport à ses actionnaires. Qu’ils le sachent : les résultats prévus seront élevés et le taux de partage maintenu ! Sympa !

Ou bien nous entrons dans la politique. L’entreprise veut montrer que la baisse des impôts sur les sociétés est le meilleur soutien à la conjoncture. Immédiatement recyclé en revenu pour les actionnaires, il soutient les cours boursiers, donc les patrimoines, la bonne humeur de tous et in fine la croissance. Baisser les impôts sur les sociétés creuse temporairement le déficit budgétaire, mais, dans la durée, il n’y a pas mieux que ce multiplicateur fiscal des dividendes. Position contestée par de nombreux experts, position intéressée de la part des sociétés certes, mais c’est de bonne guerre !

Ou bien nous entrons plus encore dans la politique, avec la vraie raison de cette montée des profits. Elle vient bien sûr de la révolution technologique, du calme salarial lié aux problèmes de déqualification qu’elle crée, de la baisse des taux d’intérêt. Mais surtout, grâce en plus à la baisse des impôts, si les dividendes étaient le meilleur outil pour attirer l’épargne mondiale dans un pays ? Elle est partout pléthorique et désespérée des maigres rendements des obligations publiques : alors elle « lit » avec passion ces hausses de rendement des actions ! Elle se rapproche d’États qui la comprennent en baissant leurs impôts. Et si les syndicats de salariés avaient alors du mal à s’opposer à ces politiques de participation aux résultats ?

Et si la baisse des impôts sur les sociétés, plus la flat tax sur les résultats financiers, étaient la nouvelle concurrence mondiale, à côté des « vieilles » : flexibilité du travail et simplification administrative ? Et si, dans cette remontée mondiale du profit et dans cette défense du capitalisme, les États-Unis voulaient en devenir le paradis absolu ?

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