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Les historiens du futur 
se serviront-ils de Twitter ?
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Et si Twitter devenait le nouveau Wikipedia ? C'est le débat qu'a lancé Benoît Raphael, ex co-fondateur du site Le Post. Le Printemps arabe, l'opposition en Russie, autant de faits actuels qui montrent l'importance des réseaux sociaux. Au point de devenir une source d'informations pour les historiens ?

Marc Ferro

Marc Ferro

Marc Ferro est un historien français, spécialiste de la Russie et l'URSS. Il est co-directeur des Annales et directeur d'Études à l'EHESS.

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Atlantico : Les réseaux sociaux, et notamment Twitter, peuvent-ils être une base solide et documentée pour les historiens du futur ?

Marc Ferro : C’est en effet une nouvelle source très abondante pour les problèmes contemporains. Prenez par exemple l’ouvrage qui vient de paraître sur les révolutions du monde arabe de Jean-Pierre Filiu : il est essentiellement fondé sur des informations issues de Twitter. Autre exemple, la Russie actuelle. C’est un pays qui n’a pas de réseaux de publication semblables à ceux des démocraties occidentales, à cause du régime en place. Regardez l'article de Myriam Désert sur l’idée de Nation dans la Russie nouvelle : il est fondé aux 9/10e sur Twitter ou d'autres supports du même type. J’ai lu il y a 6 mois un article sur l’ultra-droite ex-stalino-nazifiante, qui a toujours existé en Russie mais qui a grandi depuis les difficultés de ces dernières années, et qui était entièrement fondé sur des messages venant d’Internet. Voilà autant d'exemples qui démontrent cette nouveauté.

Néanmoins, il s’agit ici d’informations sur le présent. Ce sont des informations nouvelles. Les faits déjà enracinés dans le passé sont consultables dans les bibliothèques, il n’y a donc pas intérêt à ce qu’ils soient repris par les réseaux sociaux.

Twitter peut raconter la période actuelle. Si ça remonte plus loin, il existe des sources connues, identifiables et identifiées, donc on ne perd pas son temps sur les réseaux sociaux ou sur Internet. En outre, les sources sur Internet ne sont pas toujours fiables. Un tri doit être opéré.

De quelle façon un tweet, très court par définition, peut-il servir d’information utile à un historien ?

Ce n’est pas son contenu seul, mais l’ensemble qu’il recèle. Quand 30 ou 40 messages de ce type sont publiés et vont tous dans le même sens, par exemple pour dire que « la nation n’est pas celle qui est incarnée mais celle qu’on ressent », cela a un sens. Cela peut être une information sur le type de sentiment national qui règne en Russie actuellement, par exemple. 

Mais les personnes qui s'expriment sur Twitter sont-elles représentatives de l'ensemble d'un peuple ?

Non, pas forcément. En outre ce n’est pas parce qu’on est éduqué qu’on est lucide, on le constate avec nos dirigeants.

Ces nouvelles technologies permettent-elles vraiment de dégager l’esprit du temps ?

Exactement, mais seulement 

Internet changera-t-il, dans l’avenir, le métier d’historien ?

Le métier va en être changé, dans le sens où Internet apporte des sources nouvelles. C’est un phénomène qu’on retrouve dans l’Histoire. Personnellement j’ai ajouté à l’analyse historique l’apport du cinéma, qui n’existait pas auparavant, même au 20ème siècle. Les documentaires, et même les fictions, apportent énormément d’informations sur les sociétés du 20ème siècle, et il y a 40 ans personne ne le faisait. A chaque strate de l’Histoire de nouveaux médias apportent de nouveaux documents ou même de nouveaux regards.

Mais n’est-ce pas dangereux cette façon de documenter l’Histoire à partir de tweets peu identifiables ?

Ce n’est pas plus dangereux qu’à travers des discours qui propagent des contre-vérités, bien qu’ils soient enregistrés. On doit faire une critique historique de tout. Ce ne sera pas la même critique selon qu’on étudie des archives bancaires, des discours politiques, des images d’actualité, un documentaire ou Internet. On doit adapter les techniques de contrôle au support qu’on étudie.

La communauté des historiens est-elle plutôt ouverte à ces technologies et réseaux sociaux ?

Elle est plutôt ouverte à ces nouveaux supports, plus qu’elle ne l’était au cinéma. Les historiens étaient rétifs envers le cinéma, parce qu’ils ne savaient pas analyser les images. Tandis que ces messages sont du texte : les historiens sont mieux formés à étudier un texte, bien qu’il soit d’une nature nouvelle. Par conséquent je suis étonné que les deux écrits que nous avons cités précédemment, tirent une bonne partie de leurs informations de ces nouveaux procédés. Cela dit, ceux qui les ont écrits ne se servent pas que de Twitter, ils ont toute une base préalable. C’est à partir de ce socle émanant d’autres foyers de connaissances (guides, journaux, cinéma…) que ces bribes nouvelles sont utilisables. C’est une source supplémentaire qui complète les autres et peut combler des trous lorsqu’il manque un ensemble cohérent d’informations. C’est notamment le cas dans les pays du Monde arabe. Ces informations sont alors une énorme valeur ajoutée.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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