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Projet de loi Fake News : le gouvernement balance entre vacuité et menace pour la liberté d’expression
©Pixabay

En France on n’a ni pétrole ni (bonnes) idées

Les récents amendements déposés dans le cadre du projet de loi de lutte contre les fake-news suscitent beaucoup d’interrogations voire de craintes : un amendement définit la fausse information, dont la diffusion sera passible de prison, comme une "allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable".

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Les récents amendements déposés dans le cadre du projet de loi de lutte contre les fake-news suscitent beaucoup d’interrogations voire de craintes : un amendement définit la fausse information, dont la diffusion sera passible de prison, comme une "allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable". Et un autre oblige les plateformes et moteurs de recherche à "promouvoir les contenus d'information produits par les entreprises de presse". Comment expliquer des formulations aussi désastreuses, qui nous interrogent sur les intentions ou la compétence des législateurs ?

François-Bernard Huygue : Il y a plein de problèmes derrière tout cela. Le motif de cette loi, c’est à la fois ce que j’appelle la « grandeur » des fake news, c’est-à-dire que les médias, les élites dirigeantes et les experts ont largement attribué le Brexit, l’élection de Donald Trump et même le référendum catalan à une cause quasi diabolique de désinformation orchestrée en grande partie par les Russes et en grande partie par l’alt-right américaine - et toutes les « sphères ». C’est un débat important qui n’est pas celui qui nous occupe aujourd’hui, mais je pense que cette thèse est fausse. En sociologie des médias, ce n’est pas parce qu’il y a X millions de personnes qui ont vu une fausse nouvelle que cela a plus d’effet que les X millions qui en auront vu une vraie. Cette effet de panique a été largement repris - sincèrement ou pas - par Emmanuel Macron. Qu’est-ce que je veut dire quand je parle de sincérité ? Il est tout à fait possible qu’il ait été sincèrement choqué qu’on lui attribue un compte au Bahamas, ou des moeurs sexuelles qui ne sont pas les siennes etc - encore que la même chose a été entendu sur Balladur ou Marine Le Pen et sur bien d’autres hommes politiques. 
Je crois quand même qu’il y a eu une grand habileté qui a consisté à se montrer comme une victime des rumeurs calomnieuses de l’extrême-droite et des Russes. Cela par avance a désarmé toute rumeur et tout bruit le visant. C’était une manoeuvre très habile, car cela l’autorisait à incriminer sous le terme de fake news toute information qui le gênait, à commencer par le cas des « Macron Leaks » (un piratage des comptes de son parti) dont l’impact a été dès lors nul. 
Dès lors, on comprend bien la démarche de Macron : au nom de ce contexte, il a décidé de proposer une loi contre le mensonge et pour la vérité, ce que tout le monde ne peut, théoriquement, que saluer. Et c’est dans cette perspective qu’ils se retrouvent à encourager des amendements pour poursuivre ce projet de lutte total contre les fake-news.

Qui va juger dès lors de ce qui est une "allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable" ou de ce qui ne l’est pas ?

Cette loi pose un problème pratique : doit-on confier l’affaire à un juge - car comment peut-il faire le travail d’un journaliste ? Cette loi est en fait ambiguë. Elle reconnait le pouvoir des GAFA en leur demandant de retirer encore plus vite les contenus jugés comme étant des Fake News. Et de reconnaître la mission qu’a reconnu Zuckerberg avant-hier quand il a déclaré vouloir une « technologie pour le bien » - l’idée étant que les GAFA veulent éviter à notre cerveau d’être atteint par des fausses nouvelles, tout comme par des discours extrémistes ou djihadistes par exemple. On demande en fait aux GAFA d’exercer, dans un cadre légal, leur véritable pouvoir. Si on demande plus de transparence en période électorale sur les contenus politiques, cela ne me choque pas. Cet article de la loi est après tout plutôt intelligent. Je suis content de savoir qui a financé telle ou telle annonce. Mais le problème du projet de loi est qu’il se dote en même temps du pouvoir d’agir ou de faire retirer des médias étrangers. Cette loi a cédé à la tentation de sanctionner des opinions opposés. Car reste dès lors la vraie question : qu’est-ce qu’une fake news ? La notion de manipulation d’information est vague. On ne manipule pas une information, mais des gens. Car si on juge la manipulation d’information, tout est manipulation, à commencer par moi qui vous réponds et tente de vous convaincre - et ce tout en tentant de briller devant vos lecteurs pour vendre beaucoup de livres. Suis-je pour autant en train de vous manipuler ? Et quand à une allégation d’un fait dépourvu d’éléments vérifiable, que dire quand j’affirme que Dieu existe ? S’agit-il d’une fake-news parce que je ne peux pas vous le prouver, et ce d’autant plus si je le rends « vraisemblable » de par une certain habileté rhétorique ? Cet énoncé est vraiment gênant. Cette notion de faux est donc à manipuler avec une extraordinaire précaution, car on risque sinon de permettre, comme c’est le cas dans cet énoncé, une sorte de contrôle idéologique. Au Vietnam, ils on mis 10.000 contrôleurs sur internet pour corriger les « visions erronées ». Sous Brejnev, on considérait les opposants comme des fous qui n’étaient mentalement pas capable de comprendre les bienfaits du paradis socialiste. Il y a une tentation donc dans ce genre de contrôle d’exclure celui qui ne pense pas comme soi du débat démocratique. 

Qu’aurait-il été préférable de faire ?

Je pense qu’il aurait été préférable de se concentrer sur la preuve d’un faux. Dans toute rumeur et fausse nouvelle, il y a faussaire initial, celui qui a falsifié au départ, par exemple en bidouillant une photo sur photoshop. Cette question de la falsification me semble centrale. Elle est plus sérieuse que celle de vérifiabilité d’un fait. Et sur ce point, on a la la loi de 1880 qui a déjà définit le délit de forgerie d’une fausse information ou celui sur la diffamation. En perdant ces notions centrales, le gouvernement affiche une certaine légereté. 

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