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Contrecoup du choc italien :  ce qu’Emmanuel Macron pourrait faire pour (vraiment) endosser les habits de sauveur de l’Europe
©LUDOVIC MARIN / AFP

Super-Macron

Emmanuel Macron pourrait tirer profit de l'arrivée au pouvoir, en Italie, de la coalition entre la Ligue du Nord et M5S. Une percée de l'extrême droite et du populisme qui pourrait lui offrir une oreille plus attentive de Berlin, notamment dans le cadre de sa négociation pour son projet de refondation européenne, auquel il tient tant.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que la perspective d'un gouvernement issu de l'alliance entre Ligue du Nord et M5S se précise en Italie, ce qui ne manquera pas de poser une nouvelle pierre dans le jardin des européens à la veille d'un conseil européen qui s'annoncer décisif pour les réformes souhaitées par Emmanuel Macron, il pourrait être possible de considérer qu'un tel contexte serait paradoxalement favorable au président français dans sa négociation avec Berlin. Dans un tel scénario, et au regard du contexte, quel pourrait être le projet de refondation européenne que pourrait produire Emmanuel Macron ? 

Edouard Husson : Le gouvernement italien n’est pas encore en place à l’heure où nous échangeons. Le président italien, Sergio Mattarella, est placé sous une considérable pression. D’un côté, il aura fallu deux mois et demi aux partis issus des élections italiennes pour s’entendre sur une plateforme de gouvernement - alors que les partis allemands ont eu besoin de six mois, récemment. Il serait difficilement compréhensible de ne pas confier le gouvernement à deux partis qui expriment clairement la volonté populaire, le rejet du malthusianisme monétaire au moment où il y a d’énormes besoins de sécurité, d’intégration des étrangers, d’éducation, de renouvellement des infrastructures etc.... De l’autre, le président italien est soumis à bien des voix contraires: une partie des milieux d’affaires, Bruxelles, Francfort et certains autres gouvernements européens, qui sont attachés au statu quo, même s’ils voient la société italienne s’enfoncer dans le chômage de masse, le vieillissement, l’appauvrissement. Il est probable qu’il va sortir des tractations d’aujourd’hui un improbable compromis: un gouvernement qui jurera ses grands dieux qu’il soumet tous ses objectifs au respect des engagements économiques et monétaires européens - et qui sapera lentement et sûrement la politique du statu quo. On aurait tort, cependant, de ne pas prendre au sérieux ce qui se passe en Italie. Que le pays autrefois le plus convaincu des vertus de l’Europe fédérale soit prêt à mettre en place un gouvernement eurosceptique ne fait que confirmer combien les opinions ont changé d’avis sur l’Union Européenne et la zone euro. L’Allemagne ne semble pas l’entendre. Emmanuel Macron voudra-t-il utiliser la situation italienne comme un levier pour amener Madame Merkel à reconnaître que l’Union Européenne ne peut survivre qu’à condition d’un changement de ligne? Même les réformes proposées par le président français sont timides par rapport à l’enjeu de relance de l’économie européenne. Mais un ralliement allemand à l’intégralité de son projet serait psychologiquement favorable à l’ensemble de l’Union. 

Quel serait le processus imaginable pour voir une telle refondation voir le jour ? Comment imaginer, au regard de ce qu'est l'Europe aujourd'hui, entre institutions supranationales et relations intergouvernementales, un tel processus ? Comment Emmanuel Macron pourrait-t-il tirer profit de son image favorable auprès des médias européens dans un tel but ?

Je ne suis pas sûr que la vision et la pratique de l’Europe qu’a le président français soient suffisantes pour stabiliser la situation - encore moins pour refonder l’Europe. En effet, le président français a une approche très supranationale de l’Europe. Il est frappant de constater comme il a abandonné les négociations sur le Brexit à Michel Barnier. Alors qu’il avait une occasion de se poser, au sein du Conseil européen, en médiateur entre la Grande-Bretagne et l’UE. De même avec l’Italie: le suffrage universel a parlé. Emmanuel Macron pourrait se poser en grand modérateur, qui à la fois rappelle le socle des principes européens mais en même temps aide à trouver une voie politique de compromis. Il devrait d’autant plus le faire que l’Italie est une société extraordinaire, où le talent entrepreneurial, le goût de l’avenir, le sens de l’international sont plus répandus qu’en France ! Malheureusement, je crains bien que le en même temps ne soit plus d’actualité quand on touche aux dogmes que l’Inspection des Finances, qui a formé Emmanuel Macron, partage avec la Bundesbank. Et pourtant on ne voit pas comment le président de la République pourra survivre politiquement s’il ne trouve pas le moyen d’écouter la voix des électeurs, de plus en plus nombreux, qui veulent une autre Europe que celle concoctée par la Commission et la Chancellerie de la République Fédérale d’Allemagne. cela est vrai en France. Cela est non moins vrai hors de France: Emmanuel Macron ne dépassera le succès d’estime que lui vaut son engagement pour l’Europe que s’il sait parler au coeur des opinions européennes. Et de son succès européen dépend son succès national. Il faut, dans tous les cas, pour commencer, résolument revigorer le Conseil européen, lui redonner la priorité au sein des institutions européennes.

Quel pourrait être l'objectif final d'une telle refondation européenne ?

Pendant longtemps, la construction européenne a bénéficié aux sociétés qui la portent. Mais on n’a pas pris la mesure des transformations qui ont suivi la chute du Mur de Berlin. La concertation monétaire européenne a été transformée en union, théoriquement irréversible. Au moment où l’on privait l’Europe latine - j’y mets la France - de l’arme de la flexibilité monétaire, on faisait entrer de nouveaux concurrents, aussi bien en matière agricole qu’industrielle, les pays du centre de l’Europe. Certains mettront en valeur la plus grande efficacité économiques des nouveaux entrants, plus résolument libéraux; et, d’une manière générale, la vertu de la fourmi Europe du Nord par rapport à la cigale Europe du Sud. Mais c’est sans voir qu’en pleine révolution de l’information, le gros des forces scientifiques de l’Europe se trouvait à l’ouest du continent; que l’on a largement privée, par l’absurde pacte de stabilité européen, de la possibilité d’investir, massivement, dans l’économie de la connaissance; il y a eu un petit effort dans les années 2000 mais il y a été mis un terme au moment de la crise. Vous pouvez dire ce que vous vous voulez sur les qualités de la politique économique menée au sein du Groupe de Visegrad mais ils n’ont pas plus, depuis trente ans, créé des champions académiques que l’Europe de l’Ouest n’investissait dans les siens. L’Europe a un terrible retard dans la compétition internationale pour l’industrie 4.0. Emmanuel Macron saura-t-il se faire intransigeant sur la nécessité d’une nouvelle vague d’investissements dans l’éducation et la recherche, à tous les niveaux, dans l’ensemble de l’Europe? D’une manière générale, l’Europe a besoin d’investir massivement dans l’avenir: non seulement dans l’éducation mais dans les infrastructures, dans la défense, dans la santé etc....Quand on le regarde attentivement, le besoin d’investissements est l’une des lignes directrices du programme proposé par la Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Etoiles. Cette coalition improbable et que l’on qualifie de populiste regarde certainement beaucoup plus vers l’avenir que les hauts fonctionnaires parisiens, bruxellois ou berlinois. Ce qui va se jouer, c’est une bataille pour gagner l’opinion. La politique proposée par le futur gouvernement italien, mélange de baisse des impôts et de relance par l’investissment privé et public, devrait attirer massivement les capitaux qui cherchent à s’employer aux Etats-Unis, en Europe ou en Asie. Mais, contrairement à ce qu’on croit, les marchés sont très routiniers: ils se peut qu’ils continuent à faire plus confiance à la technocratie de l’Union Européenne et au cartel des banques qu’à un gouvernement entrepreneurial. Le combat sera moins asymétrique qu’en Grèce à l’été 2015 mais, pour l’instant, l’avantage reste aux pouvoirs en place. Nous saurons que nous avons refondé l’Europe lorsque les valeurs entrepreneuriales y prévaudront. 

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