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De leader du monde libre à géant égoïste et toxique : comment l’image de l’Allemagne est en train de basculer radicalement dans les médias anglo-saxons
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

La bête noire de la presse

Au cours de ces dernières semaines, et de ces derniers jours, plusieurs articles provenant avant tout du monde anglo-saxon ont pu s'attaquer de façon assez virulente à l'Allemagne.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Au cours de ces dernières semaines, et de ces derniers jours, plusieurs articles provenant avant tout du monde anglo-saxon ont pu s'attaquer de façon assez virulente à l'Allemagne. Austérité, crise des migrants, Brexit, égoïsme etc...les critiques sont nombreuses, notamment dans un article publié par le New York Times qui évoque "La fin de l'Empire allemand", écrit par l'éditorialiste Ross Douthat. Comment expliquer ce qui ressemble à une nouvelle vision anglo-saxonne de Berlin ? 

Edouard Husson : Cette vision n’est pas nouvelle. Elle remonte au moins aux années 1970, lorsque Jimmy Carter reprochait à Helmut Schmidt de mener une politique économique monétariste et de ne pas consommer suffisamment, mettant un frein aux exportations américaines. La même critique est revenue régulièrement, avec une intensité inégale car la réunification de l’Allemagne a été une période de relance de l’économie allemande par la consommation. Ce qui se passe, c’est que l’euro a non seulement figé le monétarisme allemand mais il a étendu le système à des économies qui ne l’ont pas supporté: toute la façade méditerranéenne de l’Europe et même la France. Le caractère idéologique du monétarisme allemand est devenu parfaitement visible; mais aussi le caractère pervers d’une organisation « impériale »: l’Allemagne n’aurait jamais résisté comme elle l’a fait à la mondialisation si elle n’avait pas eu sa zone d’exportation protégée par l’absence de variation du taux de change, l’Euroland, ni la possibilité d’utiliser la main d’oeuvre à bas coût de l’Europe centrale et orientale. Seulement voilà: pour maintenir durant la crise la confiance des marchés dans l’euro, clé de voûte du système, il a fallu faire appliquer une discipline de fer dans l’Europe méditerranéenne. La « schäublisation » de l’Europe du Sud a été terrible. La France ne s’en est sortie apparemment que par un gonflement des dépenses publiques et en profitant de taux d’intérêt historiquement bas. L’opinion libérale anglo-saxonne est inquiète car elle avait misé sur une Allemagne et une Union Européenne fortes face à la politique de Trump. Or elle doit constater que la politique allemande a profondément affaibli l’Europe. 

Quelles peuvent être les conséquences d'une tel traitement médiatique de l'Allemagne dans la presse anglo-saxonne ? La pression exercée peut-elle conduire à un assouplissement de Berlin sur les positions qui lui sont reprochées ? 

Le grand intérêt de l’argumentation de Douthat dans le New York Times, c’est qu’elle dénote un lent retour à la réalité de la part de l’opinion libérale anglo-américaine. Il n’est pas encore possible de concéder qu’Hillary Clinton a été l’un des pires candidats que le parti démocrate ait jamais présentés; ni que Trump est brutal mais en aucun cas cinglé. Mais l’Allemagne offre un miroir utile des échecs du libéralisme. Angela Merkel a réalisé une politique d’immigration qui a d’abord fait rêver la gauche américaine; mais à présent il apparaît que l’exagération merkelienne a rendu impossible même une politique modérée d’ouverture des frontières. Angela Merkel est désormais vue comme la principale responsable du Brexit: elle n’a jamais cru que la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE fût possible. Le plus étonnant dans le point de vue de Douthat, c’est le reproche fait à l’Allemagne de mener une politique impériale - avec une allusion à peine voilée au libéralisme impérial américain. Il est difficile de dire quel impact vont avoir ces critiques. Au fond, elles apportent de l’eau au moulin de Donald Trump. Mais cela correspond sans doute à un réflexe de survie de l’économie occidentale qui constate ne plus pouvoir compter sur la consommation européenne - civile ou militaire. 

Comment peut se situer la France en général, et Emmanuel Macron en particulier dans ce qui apparaît comme une redéfinition du bloc occidental ? 

Emmanuel Macron détient l’une des clés de ce qui va se passer. Il est en train de monter en intensité dans la critique de l’Allemagne, à laquelle il reproche, à juste titre, de ne pas prendre au sérieux son plan de relance de l’Europe. Le défi, pour le président français, c’est qu’il doit disposer d’une position de repli, d’un plan B. C’est d’autant plus nécessaire qu’on ne voit pas, sauf imprévu, comment l’Allemagne va bouger dans le sens espéré par le gouvernement français. La Grande Coalition est éminemment fragile. Le FDP et l’AfD sont en embuscade, et il est pobable que les chrétiens-sociaux bavarois finiraient par les rejoindre dans un front uni contre Paris et l’Europe latine. Emmanuel Macron n’a donc pas d’autre choix que de se tourner vers les Etats-Unis. Maintenant que les libéraux américains joignent leur voix à celle de Trump pour critiquer l’Allemagne, tout devient possible. Evidemment, même si le discours à venir de Macron devait ressembler à celui de la gauche américaine, l’action devrait s’appuyer, au moins partiellement, sur la politique de Trump en matière économique, monétaire, commerciale - retour aux intérêts strictement occidentaux; perspective de rapprochement avec la Russie; politique anti-chinoise; protectionnisme ciblé; investissement redoublé dans le secteur de la défense. Le président français est-il prêt à aller jusque-là aux côtés des USA et au besoin contre l’Allemagne? 

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