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La guerre de Sept Ans serait à l'origine de la Révolution
©Flickr

Bonnes feuilles

Bien souvent, les nations se souviennent des victoires militaires qui ont fait la grandeur de leur pays, et occultent les défaites. Pourtant, les débâcles militaires ont, elles aussi, fait la France. Extrait de "Veni, Vedi, … ces grandes défaites militaires qui ont fait la France" de Carl Aderhold, publié chez First. (2/2)

Carl Aderhold

Carl Aderhold

Historien de formation, Carl Aderhold a été éditeur - il a cofondé Vendémiaire, maison d'édition spécialisée en Histoire - avant de se consacre à l’écriture. Il est l’auteur de plusieurs romans, dont très remarqués, Mort aux cons (Hachette Littératures), Les poissons ne connaissent pas l’adultère, Fermeture éclair (tous deux parus chez JC Lattès). Il a également publié Avant/Après, en collaboration avec Vincent Brocvielle. Aux Editions First, il a publié l'essei Droit d'inventaire avant l'élection (2017).

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Cependant, la guerre de Sept Ans accélère une évolution qui a commencé à se dessiner dans les années précédentes : le renforcement d’un espace public où les élites au sens large prennent l’habitude de débattre de questions politiques, philosophiques ou bien encore économiques. L’opinion publique fait en effet ses premières armes, en partie grâce au pouvoir, qui tente de mobiliser les Français en faveur de cette guerre. Choiseul en particulier consacre beaucoup d’effort et d’argent à la propagande, finançant des journaux, des libelles en faveur de la monarchie. La guerre se gagne aussi dans l’opinion, qui est désormais un enjeu, y compris en politique intérieure. Les parlementaires ne se font pas faute d’alerter la population des menaces que font peser les mesures fiscales sur le royaume, criant à la tyrannie. Ils justifient aussi leur opposition en se présentant comme les défenseurs de la nation contre la corruption et le luxe de la cour.

Le soutien recherché de l’opinion a pour conséquence l’apparition d’un patriotisme d’un nouveau genre, qui s’attache moins à la personne du roi qu’à la nation. Ce nouveau patriotisme s’affiche notamment dans de nombreuses publications où apparaissent, outre le mot de « patriotisme », importé de l’anglais vers 1750, ceux de « citoyen », « patriote », « nation »… L’historien Edmond Dziembowski, dans son ouvrage La Guerre de Sept Ans (2015), évoque même une flambée patriotique, citant l’exemple de Ponce-Denis Écouchard Le Brun qui écrit en 1762 une ode aux Français : « Français, ressaisissez le char de la victoire ; / Aux armes Citoyens ! Il faut tenter le sort. / Il n’est que deux sentiers dans les champs de la gloire : / Le triomphe ou la Mort. »

De tels accents ne sont pas sans faire penser à La Marseillaise et aux chants révolutionnaires. Car ce patriotisme renvoie de plus en plus à l’exemple antique, celui du républicanisme grec ou romain. Moins de deux décennies plus tard, ce sera au tour des artistes, notamment le peintre David, de mettre au goût du jour cet esprit civique et républicain des Anciens avec un tableau comme Le Serment des Horaces. Bientôt, ce républicanisme à la saveur antique se muera en radicalisme politique…

L’anglomanie qui se développe à l’issue de la guerre contribue également à la remise en cause de la monarchie. Désireuses de tirer les leçons de la défaite, les élites cherchent du côté du vainqueur les raisons de son succès. La Constitution anglaise qui impose des limites au pouvoir de la monarchie est souvent mise en avant comme une source d’unité et d’attachement du peuple à la nation. Bientôt, avec la victoire des colons américains contre la Grande-Bretagne, lors de la guerre d’Indépendance (1776- 1779), la république et la révolution deviendront des idées à la mode, ou du moins agiteront les débats en France. Cette profonde évolution se heurte aux blocages de la société française dont la guerre de Sept Ans a révélé la force. La défaite militaire qui a affaibli le prestige de la monarchie, le choix du repli sur soi et de l’immobilisme accélèrent le mouvement de déclin.

La cristallisation des tensions

Chez les historiens qui tentent de retracer l’origine de la Révolution, la plupart voient dans les années 1750 le début de la fin. Soit ils insistent sur l’onde de choc de la parution de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, privilégiant les origines culturelles, philosophiques de la Révolution. Soit ils préfèrent mettre l’accent sur la montée des oppositions avec les conflits entre la royauté et les parlements, selon une vision plus politique des causes de la Révolution.

Tout cela est sans aucun doute vrai, mais le moment où se cristallise la montée des oppositions, des résistances à tout changement, a lieu durant la guerre de Sept Ans. Les décennies suivantes ne font finalement que confirmer ce double mouvement de dissociation entre le tiers état, qui se voit comme la nation, et l’ensemble des privilégiés de l’Ancien Régime, avec à leur tête le roi. Sans tomber dans un mécanisme réducteur, on peut considérer que l’évolution du royaume dans les décennies 1770-1780 reproduit le cycle initié par la guerre de Sept Ans, jusqu’à la crise finale. Ainsi de la crise financière. Elle a pris, on l’a vu, une tournure inquiétante lors de la guerre. Même si elle connaît un répit momentané dans les années 1765-1775, le soutien de la France aux insurgés américains à partir de 1776 porte un coup fatal au Trésor royal. Certes la France prend alors une revanche éphémère sur la Grande-Bretagne, en soutenant les colons américains. Ces mêmes colons qui lors de la guerre de Sept Ans avaient aidé les Anglais à chasser les Français de leurs possessions canadiennes… Mais le prix à payer est trop lourd, entraînant la quasi-faillite de l’État.

De plus, l’instauration de la république américaine suscite l’enthousiasme des opposants les plus déterminés de la monarchie, en présentant un modèle qui jette concrètement les bases d’une société reposant sur la citoyenneté et une Constitution débarrassée du principe monarchique. Le raidissement des élites sur leurs positions fera le reste. Refusant toute réforme de la fiscalité qui les toucherait, la noblesse et le clergé, les élites – notamment les parlementaires – creusent eux-mêmes leur tombe. Leur intransigeance entraîne la convocation des états généraux en 1789, prélude à la Révolution. Comme l’écrit Marc Ferro dans son Histoire de France (2001), « c’est la réaction des privilégiés qui déclenche la révolution ».

L’ère des révolutions

Ainsi, à la différence d’Alésia et d’Azincourt, la guerre de Sept Ans ne présente pas le visage d’un désastre. La perte de l’empire colonial américain, le repliement sur le royaume ont pu sembler aux contemporains des conséquences mineures. Une vision trop centrée sur l’Europe et plus encore sur la France les empêche de voir le changement de paradigme. L’horizon s’est élargi, le conflit avec les Habsbourg autrichiens, qui a occupé la royauté pendant près de deux siècles, appartient au passé. Le centre de gravité s’est déplacé. L’émergence de la Prusse modifie la donne sur le continent européen, et plus encore la montée en puissance de la Grande-Bretagne, qui se constitue un empire de dimension mondiale, met un terme à la primauté française. Il n’y a guère que l’économiste chargé d’un rapport pour le ministère en 1762, Buchet Du Pavillon, pour soutenir que « la découverte de l’Amérique a changé les intérêts de l’Europe », avant d’ajouter : « Cette partie du monde met aujourd’hui un poids si prépondérant dans la balance des pouvoirs politiques qu’il semble que l’Europe ne doive être bientôt elle-même qu’un accessoire de ce nouveau monde. » L’ensemble des élites françaises à l’inverse n’accorde qu’une importance secondaire à l’Amérique, au mieux témoignage du prestige de la monarchie, au pis colonies sans réel intérêt.

Plus grave, la guerre de Sept Ans met au jour la crise profonde de la royauté. La monarchie française cesse d’être le modèle européen. Cela se traduit par une perte d’influence sensible en Europe. Pis encore, aux yeux de la population, cette désillusion s’étend à l’ensemble des élites, car les grands perdants de cette guerre, ce sont avant tout les nobles incapables de conduire les opérations militaires, les parlementaires plus préoccupés à revendiquer un pouvoir grandissant qu’à participer à l’effort de guerre, les corps constitués impuissants à diriger le pays, à tenir leurs rôles – ce que les patriotes leur reprocheront au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Un désastre donc souterrain, pourrait-on dire, qui n’a pas l’éclat d’Alésia ou d’Azincourt, mais un désastre certain, aussi important que les deux précédents. Les conséquences, comme le redressement, n’en sont pas immédiates, mais ainsi que le souligne Edmond Dziembowski, « c’est avec la guerre de Sept Ans que commence l’ère des révolutions appelées à mettre un terme à l’ordre ancien ».

Extrait de "Veni, Vedi, … ces grandes défaites qui ont fait la France" de Carl Aderhold, publié chez First

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