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Jumeaux sondagiers : Trump, Macron, ces présidents de la parole
©LUDOVIC MARIN / AFP

Si différents, si proches

Bien que très différents sous de nombreux aspects, il est possible de trouver des points communs entre les deux présidents. L’un comme l’autre ainsi ne sont pas de purs politiques et ont directement connu le monde des affaires.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Selon un sondage SSRS publié par CNN, 57% des Américains considèrent que le pays « va bien », soit le score le plus élevé depuis 2007. Alors que Donald Trump et Emmanuel Macron pourraient être comparés par le volontarisme qu'ils cherchent à afficher, par une forme de mise en scène de leur propre détermination, pourrait-on en conclure que cette stratégie est payante au niveau de l'électorat, et ce, malgré des choix politiques et des valeurs très différentes concernant les deux hommes ?

Christophe Boutin : Précisons d’abord que les Français n’ont pas la même approche que les Américains de l’évolution de leur pays. Selon le dernier sondage Ipsos en effet, 37% des Français pensent que la situation est stable et que la France « ne va ni mieux ni plus mal » depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, mais 36% considèrent eux que « la France va plus mal », et il n’en reste que 27% pour considérer que « la France va mieux » (17% seulement pensant que c’est grâce à la politique menée, et 10% considérant que c’est sans lien avec cette politique). On est donc très loin donc des 57% d’Américains que vous citez, même si la formulation de la question est légèrement différente, et on ne sera pas surpris que 64% des Français, dans le même sondage Ipsos, se disent déçus par l’action de notre Président, quand seulement 36% en sont satisfaits. Autrement dit, si la politique menée par Donald Trump paye dans les sondages, celle d’Emmanuel Macron est loin d’y parvenir.

Pourtant, et vous avez raison de le signaler, on pourrait, même si cela ferait sans doute dresser les cheveux sur la tête des communicants du Château, trouver des points communs entre les deux hommes. L’un comme l’autre ainsi ne sont pas de purs politiques et ont directement connu le monde des affaires, Trump dans l’immobilier, Macron dans la finance. Les deux hommes sont par ailleurs des acteurs confirmés : Trump l’a prouvé dans un show télévisé, Macron sur les planches de son lycée. Tous deux ne sont pas directement issus de l’establishment, sans pour autant en être totalement coupés, et ce de manière presque inversée : Trump malgré son passé et son style, a réussi une OPA sur un des deux grands partis américains lors des primaires, Macron, passé par l’ENA et les fonctions ministérielles, a cassé le système politique français pour s’imposer.

Par ailleurs, les deux présidents prétendent faire ce qu’ils disent, et l’un comme l’autre s’appliquent en effet à mettre en œuvre leur programme. De l’accord sur le climat à celui sur le nucléaire iranien pour Trump, des réformes fiscales à celle de la SNCF pour Macron, il y a une fidélité par rapport aux engagements de campagne à laquelle nous n’étions plus habitués. Enfin et surtout, on trouve chez les deux Chefs d’États une même volonté d’imposer une image de leader, qui s’adapte bien sûr aux différents contextes culturel et médiatique des deux pays. Donald Trump semble ainsi plus « brut de coffrage » qu’Emmanuel Macron dans ses diverses manifestations, mais il ne faut pas oublier, d’une part, que le public américain n’est pas le français, et, d’autre part, que, les médias américains ne tressant guère de couronnes à leur président, il doit bien le faire lui-même dans ses tweets. Pourtant, au-delà de ces différences, les egos sont les mêmes et ce n’est pas un hasard par exemple si les deux hommes aiment à poser en majesté lorsqu’ils signent un nouveau texte.

D’où vient alors que Trump séduit plus que Macron ? Sans doute essentiellement du fait que les choix du premier correspondent aux attentes de la grande majorité de ses concitoyens, quand ceux de Macron semblent incapables de répondre à celles des siens. C’est pour le premier « America first », le refus de la submersion migratoire, la défense des entreprises nationales par tous les moyens – même légaux -, et le rejet d’un prétendu « ordre international » dès que ses principes portent atteinte aux intérêts des USA. On peut bien sûr discuter le bien-fondé de ces choix, mais il n’en reste pas moins que les citoyens américains veulent voir restaurée et défendue la souveraineté de leur nation dans tous les domaines. Or les Français aimeraient sans doute que des choix identiques soient faits, quand Emmanuel Macron, et c’est évident par le terme même de « start up nation » qu’il prétend donner comme mot d’ordre à la France, fait rigoureusement l’inverse : aucune politique véritable n’est mise en oeuvre pour tenter d’endiguer le déferlement migratoire ; nos entreprises nationales sont bradées à l’étranger, y compris lorsqu’elles sont des instruments de notre souveraineté ; notre système de santé, nos services publics ou notre droit sont démantelés sous la pression d’institutions internationales et, bien sûr, d’une Union européenne dont Emmanuel Macron souhaiterait augmenter encore les pouvoirs.

 Si donc les deux hommes, effectivement, mettent en scène la même détermination, l’un, de manière brouillonne, excessive, la met au service des intérêts nationaux, l’autre, de manière certes beaucoup plus policée, la met au service d’intérêts supranationaux. Or dans les périodes de troubles comme celle que nous connaissons, les peuples ont besoin de retrouver une sécurité qui passe par leur cohérence et leur souveraineté, une sécurité qui replace au centre du débat la notion de nation.

Que peut révéler une telle stratégie du discours qui semble dominer celle de la réalisation politique ? Si une telle stratégie « fonctionne » auprès de la population, faut-il y voir un signe du niveau de trouble de la part des électeurs dans la situation actuelle ?

 Toute politique est portée d’abord par un discours, destiné à fédérer derrière son promoteur, et cela quelle que soit l’époque et le régime. Indispensable, indissociable de l’action politique, le discours la précède, l’explique et la valide. Mais, bien évidemment, la réponse à la question de savoir si le discours peut suffire à faire une politique est négative, et ce moins encore quand les temps sont durs. Car, comme le disait le regretté Jacques Chirac dans une de ses boutades favorites, dont il aurait gagné à s’inspirer lors de ses deux mandats : « un chef est fait pour cheffer ».

En période de troubles en effet, et nous sommes dans une telle période, non à cause des quelques amusements estudiantins mais de la guerre qui est menée sur notre territoire, les citoyens réclament un chef, et même un chef qui puisse s’affranchir du trop strict respect de normes conçues pour le temps de paix. C’est la tradition romaine du dictateur, sauvant la République lors de circonstances exceptionnelles, avant de retourner, tel Cincinnatus, à sa charrue. Tous les sondages qui traitent de cette question en France depuis des années disent ce désir d’un pouvoir fort, souvent composé d’experts, capable de réaliser les réformes nécessaires (cf. par exemple le sondage Atlantico de 2015).

 Reste que dans ce cadre l’arrivée au pouvoir de démagogues talentueux est un risque d’autant plus grand que leur alliance avec la presse et la justice, dans un même conformisme idéologique, peut détruire oppositions et contre-pouvoirs. C’est alors qu’ils privilégieront le discours, tentant de faire oublier, dans un flatus vocis décérébrant aussi convenu qu’hagiographique, la faiblesse de leurs réalisations… ou le sens réel de celles-ci.

Quels sont les risques à plus long terme de telles stratégies qui reposeraient avant tout sur le discours que sur les actes ?

 L’un des risques majeurs de la « stratégie du discours » est de finir par persuader les citoyens que la politique se réduit à un art oratoire et à des manipulations médiatiques, leur faisant perdre confiance dans le système lui-même et dans sa capacité à changer les choses. Car même avec le bourrage de crâne permanent auquel sont soumis les citoyens des États modernes, qu’il s’agisse de démocraties libérales ou « illibérales », de « démocratures » ou de dictatures, il n’est pas certain que l’on puisse empêcher chez eux la prise de conscience de l’absence de réalisation de certains projets… ou de la mise en œuvre de décisions allant rebours de leurs attentes.

Une fois réalisée cette prise de conscience, les conséquences en sont différentes selon les citoyens et les époques. Certains choisissent de ne plus participer à de pseudo-choix qui sont sans autres conséquences que de changer les titulaires de sinécures. C’est par exemple la progression de l’abstention et du vote blanc à laquelle nous assistons depuis des décennies en France. D’autres choisissent d’agir autrement, par le biais d’associations par exemple, trouvant qu’ainsi leurs revendications sont plus et mieux entendues que par le vote, et l’on multiplie alors les lobbies en favorisant les puissances d’argent.

 Mais il s’agit là de solutions possibles dans des périodes de calme relatif. Le dernier risque est en effet, dans les périodes plus troublées, de voir les citoyens préférer l’action directe à l’action politique. On l’a souvent dit, la politique est une sorte de guerre civile ritualisée, et si la forme ritualisée n’est plus suffisante pour garantir la survie du groupe, rompant alors le contrat social comme le rappelle Hobbes, on en reviendra nécessairement à l’autre forme. Une politique peut ne pas répondre aux attentes d’une population sur des domaines mineurs, mais menacer non seulement l’équilibre mais l’existence même du groupe social auquel elle s’applique est gros de toutes les violences. Et cela, aucune « stratégie du discours » ne saura l’empêcher.

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