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Souffrez-vous du syndrome 5 étoiles Uber ? Ne souriez pas, les dérives de l’économie de la réputation sont bien plus sérieuses qu’il n’y paraît
©PAU BARRENA / AFP

Question de crédibilité

Dans une étude intitulée "Reputation Inflation", des chercheurs soulignent qu'en 2017 à Chicago, 90% des chauffeurs Uber pouvaient se targuer d'afficher 5 étoiles dans leur description donnée par la plateforme. Il est pourtant permis de douter que 90% de ces derniers proposent un service à la hauteur des notes reçues.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : Dans une étude intitulée "Reputation Inflation" menée par les chercheurs Apostolos Filippas, John J. Horton et Joseph M. Golden mettent en avant qu'en 2017 à Chicago, 90% des chauffeurs Uber pouvaient se targuer d'afficher 5 étoiles dans leur description donnée par la plateforme. Pourtant, l'on peut douter que 90% de ces derniers proposent un service à la hauteur des notes reçues. Comment expliquer selon vous cette différence entre les notes données et la qualité des services pratiqués ?

Pascal Neveu : Cette étude est fort intéressante car elle nous renvoie à notre rapport aux systèmes de notation pratiqués depuis une dizaine d’année dans tous les secteurs (hôtellerie, médical, restauration, services aux personnes…).Une étude a démontré que 80% des utilisateurs d’Uber répondent au questionnaire en ligne, mais avec des résultats surprenants.

En effet, dès les premiers jours de l’ouverture de la plate-forme en 2007, le score moyen des travailleurs était « assez bien », en moyenne à 3,74 étoiles (sur une échelle allant de 1 à 5). Mais au fil du temps cela a changé. Le score moyen a augmenté de 0,53 étoiles au cours de 2007. En mai 2016, il avait grimpé à 4,85 étoiles !

Il a donc été mis en place un questionnaire papier « privé » qui révélait des notes moins bonnes. Mais en interrogeant les utilisateurs, tous révélaient vouloir être francs mais ne pas vouloir que leur commentaire soit préjudiciable à l’employé noté.

Seuls 4% donnaient une note de 3 étoiles ou moins. En effet, ces notations sont disqualifiantes et amènent à mettre un terme au contrat entre Uber et les chauffeurs indépendants.
De fait, peu d’utilisateurs vont reprocher une voiture sale, un accueil peu chaleureux.

Est-ce positif ou négatif ? Tout n’est ni blanc ou noir. Mais en revanche nous questionne sur plusieurs aspects :

- notre propension à la culpabilité

- notre limite à la franchise

- notre capacité identificatoire

Psychologiquement, quel phénomène s'opère ici ? Est-ce uniquement par gentillesse que les utilisateurs laissent cinq étoiles à leur chauffeur ou cela permet-il aussi de s'éviter une dose de culpabilité ? Est-ce que cela ne mènerait pas également à une baisse des standards des clients in fine ? 

L’effet final est bien évidemment l’annulation de la notation par perte de crédibilité. Car ce système n’est pas fiable et reste culturel. En France le bouche à oreille reste le standard de réputation. Si nous reprenons les 3 critères qui me semblent être en jeu, ce n’est pas la gentillesse qui l’emporte mais l’empathie liée au système identificatoire : la capacité psychique à se mettre à la place d’autrui.

La conjugaison du tryptique « culpabilité/franchise/identification » est sous tendue par les émotions. La culpabilité se vit chez toute personne qui est persuadée, selon ses propres perceptions et croyances morales, avoir mal agi. La culpabilité « existentielle «  reste celle basée sur les blessures infligées aux autres.

Ceci fait de nous des êtres non psychopathes ou sociopathes ! Freud élabore d’ailleurs à ce sujet toute une relation entre culpabilité et dette à l’égard de la personne que nous sommes capables « d’assassiner » psychologiquement, tel le père que nous acceptions ou non de dépasser et faire mieux.

Cette culpabilité n’est pas que négative, car, comme je l’écrivais elle développe l’empathie et la notion de bien et de mal, et fixe donc des limites. D’ailleurs, quel rapport avons-nous aux notes, depuis l’école ? Sauf qu’elle vient corrompre notre capacité à la sincérité, la vérité et la franchise.

Le mensonge est vecteur de stabilité collective, d’évitement de guerre émotionnelle. Et c’est par notre capacité à nous mettre à la place de…, que nous sommes sensés apporter un jugement vrai. Or, il suffit de penser à une scène de Tribunal d’assises où les jurés ne peuvent que rester sensibles à leurs ressentis et l’identification tant de la victime que de l’agresseur.

Bien évidemment nous sommes là dans de l’humain pratique éphémère qui nous fait vivre un épisode de vie sans conséquence sur notre quotidien. La notation d’un Uber occasionnel de courte durée n’a aucun impact sur notre vie de « confort ». Il en serait tout autre des notations d’un hôtel réservé plusieurs jours, d’une location d’une villa, bref du confort et de l’existence.

Cette culpabilité ne pourrait-elle pas être étendue à la plateforme qui, lorsqu'elle se sépare d'un chauffeur ne fait que "qu'appliquer les consignes des clients"? Ne pourrait-on pas qualifier cela de transfert de culpabilité ?

Selon moi ce système de notation est mort-né car comme nous l’observons déjà dans les commentaires internet : la passion et les émotions nous poussent à appuyer sur un bouton. On pourrait m’opposer une contradiction. Mais non, dans tout commentaire/notation, ce ne sont que les extrêmes qui s’expriment.

Qui plus est, le « content » parce qu’il est content et satisfait, ne prend pas le temps de répondre. Seuls l’aigri, le frustré, ou le vrai mécontent (il ne faut pas le négliger, et au contraire l’entendre prennent voire perdent du temps.L a demande de notation est présente partout : aéroports, toilettes, hôtels, enseignants…

Lors d’un dernier vol, en sortant de l’aéroport, on me demandait d’appuyer sur un bouton se déclinant d’un visage rouge furieux à vert enjoué concernant l’accueil, sans oublier le questionnaire adressé par mail le lendemain, quand il ne s’agit pas d’un questionnaire demandant le suivi complet du trajet depuis l’arrivée à l’aéroport.

Lors de mon dernier contact téléphonique avec un conseiller technique, celui-ci me précisant que j’allais recevoir un avis et qu’il ne gagnerait une prime que si je donnais la meilleure note… j’ai reçu ce questionnaire.

Bien évidemment que notre « bonne » conscience face à des professions de services nous renvoie aux humains que nous sommes. Et face à la situation économique actuelle, par identification et extrapolation quant à détruire une vie, nous allons bien évidemment donner la meilleure note.

C’est en ce sens où nous pouvons nous-même nous donner la meilleure note. Car nous restons humains ! La plateforme de contrôle d’Uber s’est totalement corrompue dans son système d’évaluation, oubliant l’humain et les sentiments. Et c’est bien là la plus grande critique qui « juge » Uber comme un symbole du post-humanisme.

La reconnaissance ne passe pas par une note. En jouant sur les mots et les notes… pensons à ces mots de Chopin :

“La simplicité est la réussite absolue. Après avoir joué une grande quantité de notes, toujours plus de notes, c'est la simplicité qui émerge comme une récompense venant couronner l'art.”

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