Bandung du Nord
Bandung du Nord : pourquoi il faut prendre au sérieux la conférence internationale des racisé(e)s - et des non-blancs - à Paris (mais pas leurs revendications)
Le comité du "Bandung du Nord" ouvrira une conférence internationale à Paris du 5 au 7 mai. Elle visera à faire débattre les minorités racisées des pays du Nord autour de problématiques sociales, notamment l'idée de décolonisation.
Edouard Husson
Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli.
Atlantico : Du 5 au 7 mai 2018, le comité du « Bandung du Nord » organisera une conférence internationale à Paris, s'inscrivant dans l'esprit de la conférence de Bandung de 1955. Il s'agit de la première conférence internationale de personnes de couleur vivant dans les pays du Nord, abordant des problématiques communes.
Edouard Husson : Ce qui est fascinant, c’est la simultanéité entre cet événement et les autres manifestations de l’extrême gauche qui ont eu lieu cette semaine. Les combats politiques sont en train de se redéployer selon des lignes nouvelles. Il n’y a pas que dans la « France d’en haut » que les clivages politiques sont bouleversés depuis l’élection de Macron. Dans la mouvance des semi-intellectuels qui constituent l’extrême gauche militante, ça bouge aussi beaucoup. Le « Bandung du Nord » fait partie des symptômes de cette mutation. Il ne faut pas se laisser abuser par la référence au sommet de Bandung de 1955. Au-delà de quelques intellectuels du continent américain qui sont présents, il s’agit essentiellement d’un événement marqué par les luttes politiques et sociales en France (et en Europe) des quinze dernières années. Ce n’est pas simplement un symbole que la discussion se déroule à Saint-Denis. Il s’agit de se placer au coeur des « quartiers populaires », entendez des banlieues des grandes villes françaises où se déroulerait une nouvelle lutte, dont le point de départ ont été les émeutes de 2005.
Le Bandung du Nord a pour objectif de proposer l'idée d'une "Internationale Décoloniale qui scellerait une alliance politique entre les mouvements décoloniaux d'Occident". Quels sont les causes de cette démarche? Quels sont les mécanismes à l'œuvre dans la volonté de "reprendre en main son destin"?
Le plus frappant dans l’actuel air du temps, c’est le fait que le marxisme ait perdu pied. C’est symbolisé par la manière dont Jean-Luc Mélenchon court après les événements. L’économie n’est plus au centre des discours de lutte contre l’oppression. Il s’agit de lutter contre une oppression « civilisationnelle », de dénoncer le racisme, le sexisme etc....L’idéologie du genre représente un bon point de repère en analysant les relations hommes/femmes et le développement de l’individu en termes de contruction sociale. La race aussi devient un concept construit, dans lequel les dominants veulent enfermer les dominés des quartiers etc..... Vous remarquerez aussi comme le discours républicain français traditionnel est dépassé. Nous sommes face à des individus dont les constructions intellectuelles se situent en dehors des constructions classiques sur la citoyenneté, la laïcité etc.....Je rapprocherais cela du slogan tagué cette semaine par des militants d’extrême gauche dans un couloir de la Rue d’Ulm : « Pour un jihad social ». L’anarchisme récupérant l’islamisme....
A l'inverse, comment expliquer les mécanismes d'enfermement ou de "prison mentale" qui empêchent de s'affranchir d'une domination sociale et politique? Ce processus est-il nécessairement long?
Attention ! Ce n’est pas la situation sociale, malgré le caractère évident de la crise politique et sociale fraçaise, des pannes de la machine à assimiler, à intégrer, qui informe les discours tenus à Saint-Denis. La situation sociale n’est qu’un prétexte à construire des discours fondés sur la haine, le ressentiment, l’exclusion. On dénonce des exclusions pour en suggérer d’autres. C’est classique. Le marxisme fonctionne déjà comme cela même s’il apparaît comme ,un dinosaure. Peut-être saura-t-il se recycler d’ailleurs vu les autres dinosaures qui se promènent à Saint-Denis. Black Panthers, féministes, décoloniaux, antisémites, islamistes cohabitent le temps d’un « Bandung du Nord ». A côté d’universitaires issus des « gender » ou « cultural studies », on trouve des conspirationnistes invétérés. Tout cela est à suivre de près. Dans quelle mesure ces ebullitions d’idées vont-elles pénétrer dans les département de sciences sociales des universités du nord de Paris (Saint-Denis, Nanterre, Villetaneuse) ? Dans quelle mesure les enseignants du secondaire vont-ils être touchés ?
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