Fête à Macron et risques de dérapages : la charge du ministère de l'Intérieur est-elle devenue trop lourde pour Gérard Collomb ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Fête à Macron et risques de dérapages : la charge du ministère de l'Intérieur est-elle devenue trop lourde pour Gérard Collomb ?
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Dur labeur

Les tensions sociales restent vives en France et la manifestation de la "Fête à Macron" ce samedi fait craindre de nouvelles violences comme lors du 1er mai. Cette actualité pose notamment la question de l’efficacité de l’actuel ministre de l’Intérieur.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

Voir la bio »

Atlantico : Comment expliquer l'émeute du 1e mai, quand les individus des "Black Blocks" sont identifiés par les polices de France et d'Europe ? Quelle(s) faille(s) y a-t-il eu ?Quelles conclusions en tirer ?

Xavier Raufer : "Black Blocks" et anarchistes adjacents sont des gosses de riches en révolte pubertaire. Gauchistes à 17 ans, ils "combattent" futilement la police - et à 40 ans, dirigent les agences de com' ou médias du système. Ni M. Hollande, ni M. Macron n'ont à craindre de ces révoltés fictifs - et le savent. Mais un cran en dessous, la police travaille ; d'abord à Paris et alentours (92, 93, 94) la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP, ex-renseignements généraux de la PP), l'entité de renseignement civile la plus ancienne de France - et sur son territoire, la plus affutée.

L'auteur est formel : la DRPP connaît un par un, depuis belle lurette les deux ou trois cents anars et "black blocks" les plus agités et peut aisément, sur instruction, en cueillir la plupart chez eux avant émeute (dans les beaux quartiers ou divers squats...) et les isoler quelques heures. Les codes en vigueur le permettent, sans atteinte à l'état de droit. En prime, ces milieux anarchistes grouillent séculairement d'indicateurs. Songez aux toxicomanes et délinquants parmi eux, "tenus en laisse" pour une sale affaire et balançant leurs camarades... En Ile-de-France, la PP connaît ainsi en détails les préparatifs d'une émeute.

De plus, l'Europe du renseignement existe. L'auteur affirme que, quand trente émeutiers allemands (les plus aguerris), belges ou italiens, partent pour Paris se joindre à la "fête", un signalement souvent nominal arrive à Paris. Ces notes d'alerte donnent aussi l'immatriculation des véhicules, des itinéraire, etc. (les "indics", toujours...). Pour les Allemands, un barrage filtrant règle le problème.

Ainsi, tout gouvernement français récent peut à volonté neutraliser une émeute - du moins, en limiter les dégâts à 90%. Exemple: le 17 avril 2017, avant l'élection présidentielle, les Black blocks voulaient ravager le secteur du Zénith, lors d'une réunion du Front national. Prévenue (comme d'usage), la police, a agi et l'affaire s'est bornée à de "brefs heurts". Or cela, elle le peut toujours - 1e mai inclus.

Pour une manifestation type Premier mai, comment le maintien de l'ordre est-il prévu en termes techniques ? Qui fait quoi, qui est responsable de quoi ?

L'auteur a déjà écrit ici que l'Elysée s'inquiétait de ce que l'Intérieur "patine" sous l'ère Collomb. Machine lourde et complexe, tout dans ce ministère procède du sommet - l'image du chef d'orchestre est ici valide. Main ferme, santé de fer - ce poste ministériel est éreintant - sont cruciaux pour animer l'Intérieur en souplesse.

Là, l'émeute du 1e mai interroge. Des mois auparavant, un délicat ballet débute entre l'Elysée (qui demande ce qui est prévu), les services du Premier ministre, l'Intérieur et la (fort autonome) Préfecture de police de Paris. Première police du monde moderne, la PP descend directement de la "Lieutenance de Police" fondée sous Louis XIV (1667) par Gabriel de la Reynie - bien antérieure au ministère de l'Intérieur lui même ("Ministère de la maison du roi" devenu "de l'Intérieur" en 1789).

En pareil cas, le renseignement (recueilli à la DGSI, voire à l'UCLAT si risque terroriste) converge à la DRPP. Pour les mesures de terrain (périmètre... interdictions... cortèges...), c'est la Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC). Nul ne peut interdire une manifestation en France sans recours, mais des périmètres de sécurité peuvent être imposés, des individus dangereux tenus à distance, etc. Voilà (en simplifiant) la machine prévue pour une manifestation à risque. Clairement, le dispositif à échoué à prévenir l'émeute - que le Premier ministre ait dû faire un numéro genre "tout va bien" le prouve. Pourquoi l'échec, faute à qui ? Au gouvernement de s'interroger et d'en tirer les leçons.

Peut-on redouter que le scénario se répète lors de la "Fête à Macron" ?

Sur l'aspect risible des précautions tardives, un proverbe texan dit "fermer l'écurie à clé quand le cheval a été volé". Nous y voilà : Paris à feu et à sang le 1e mai, le ministère de l'Intérieur se réveille le 2 mai - ou, secoué par une autorité supérieure, déploie des moyens et agite ses réseaux d'information, ce qu'il fallait faire fin avril. Ce n'est pas glorieux - même, démontre que l'Intérieur n'a toujours nulle capacité d'anticiper les crises et vit toujours dans la paisible culture flicarde-Maigret, la trilogie : commission d'une infraction - enquête - traduction en justice. Donc sauf extraordinaire côté émeutiers, la "Fête à Macron" sera mieux contrôlée - ce ne sera pas vraiment un exploit.

Plus largement, la vraie révolution, au ministère de l'Intérieur - venue du chef, forcément dans un ministère régalien - sera d'adopter les doctrines et normes du décèlement précoce des dangers et menaces. Voici quinze ans que les criminologues - l'auteur en tête - disent que cette pratique est cruciale dans un monde numérisé, désormais sans profondeur stratégique ni distance protectrice : le "choc stratégique" est sur vous à la seconde, il faut l'anticiper - ou subir. L'Amérique du 11 septembre 2001, la France du 1e mai 2018 (moins gravement) n'ont su anticiper. Pour la France, c'est un avertissement sans (trop de) frais. Le gouvernement le comprendra-t-il ? L'enjeu est là.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !