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Nouveau leader de FO : la bonne nouvelle pour Emmanuel Macron qui se cache derrière la mauvaise
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Changement

Le congrès de FO (Force Ouvrière) a tourné à la bataille rangée entre réformistes et contestataires. Au-delà du joli spectacle de boxe offert par les intervenants sur la scène, l’élection de Pascal Pavageau à la tête de cette confédération hybride ne devrait rien changer à sa ligne « historique ». Rétrospectivement, c’est l’échec de la réforme de la représentativité syndicale de 2008, largement tiédie à la demande du MEDEF de Laurence Parisot qui est marqué ici: le syndicalisme français reste morcelé, corporatiste… et politique!

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Les raisons pour lesquelles le congrès de FO a tourné à la bataille rangée n’ont pas forcément été clairement dites. Mais elles sont revenues en filigrane tout au long du congrès. Elles illustrent tous les maux du syndicalisme français, que la réforme de 2008 voulue par Nicolas Sarkozy n’est pas parvenue à éradiquer.

Les tabous du congrès de FO

La violence qui s’est déchaînée contre Jean-Claude Mailly, secrétaire général sortant, est allée au-delà de ce que ses soutiens avaient imaginé. Le déléguée syndicale de Doux n’a par exemple pas hésité à l’accuser d’avoir « vendu la classe ouvrière à Macron et au MEDEF ». Du coup, le rapport moral du secrétaire général sortant a reçu une approbation à peine majoritaire en franchissant péniblement le cap des 50%, quand les congrès précédents avaient tourné au plébiscite systématique. 

Les militants ont largement sanctionné l’indulgence de Jean-Claude Mailly vis-à-vis de la macronie. Le secrétaire général de FO avait justifié ce réformisme soudain, qui tranchait avec la ligne dure qu’il avait suivie contre la loi El-Khomri, par le besoin de protéger les salariés contre le pire. Cette explication a peu convaincu. 

En réalité, beaucoup ont soupçonné leur secrétaire général de mener une aventure personnelle en les prenant en otage. Durant l’été, des rumeurs de recasage au BIT avaient filtré. Finalement, ce poste à la main du gouvernement a bénéficié à Nicole Notat. Jean-Claude Mailly ira, pour sa part, au Comité Économique et Social Européen, autre poste dépendant du gouvernement.

Que cette perspective de recasage ait pesé ou non sur la posture personnelle du secrétaire général Mailly depuis un an (et nous n’avons guère d’avis sur le sujet), il est difficile d’empêcher un certain nombre de militants d’opérer un raccourci et de nourrir du ressentiment plus ou moins discret contre les conditions dans lesquelles la négociation sur les ordonnances a été menée.

Le syndicalisme français malade de sa bureaucratie

Cette question du « recasage » syndical pose la question quasi-historique de la carrière des syndicalistes et de la bureaucratie qui tient les grandes centrales françaises.  

On ne compte plus le nombre de dirigeants syndicaux qui, d’une façon ou d’une autre, dépendent du gouvernement pour la suite de leur carrière. Ces dernières années, l’inspection générale des affaires sociales a ainsi accueilli François Chérèque, de la CFDT, et Stéphane Lardy, qui avait un temps caressé l’idée de succéder à Jean-Claude Mailly à la tête de FO. D’une manière générale, le pouvoir exécutif est attentif à la carrière des leaders avec qui il est amené (ou contraint) de négocier régulièrement. 

On peut évidemment imaginer que cette relative dépendance personnelle des grands leaders syndicaux vis-à-vis du pouvoir en place n’est pas étrangère aux stratégies revendicatives. On se rappellera par exemple de la mise au placard de l’ancienne présidente de la CGC, Carole Couvert, à l’issue de son mandat. L’intéressée avait voulu jouer à plusieurs reprises le rapport de force avec le gouvernement. Issue de l’industrie électrique et gazière, sa fédération n’a pas soutenu la reconduction de son mandat et il ne lui est guère resté que son siège au Conseil Économique et Social pour éviter le retour à la base. L’exemple illustre les heurts et malheurs de ces dirigeants syndicaux appelés à des fonctions atypiques, loin des salariés qu’ils sont supposés représenter.

Dans le cas de Jean-Claude Mailly, le bad buzz sur son hébergementdans un hôtel cinq étoiles de Lille durant le Congrès en dit long sur le sentiment de rupture entre la base et la direction du syndicat. D’un côté, Nadine Hermant, déléguée de Doux qui vient, les larmes aux yeux, parler de la condition ouvrière à la tribune après une nuit dans un hôtel basique. De l’autre, le secrétaire général qui sort de son cinq étoiles prestigieux pour l’écouter. La collision entre les deux icônes est parlante, excessive à bien des égards, mais emblématique d’un ressenti collectif.

Tout le sujet de cette rupture tient largement à la difficulté de faire carrière « naturellement » pour un délégué syndical. Les confédérations syndicales traitent d’une multitude de sujets étrangers à la vie des entreprises où travaillent leurs adhérents ou leurs militants. Un bon syndicaliste n’est donc pas forcément un bon délégué syndical. Il doit être un bon connaisseur du droit du travail, mais aussi de la protection sociale et d’une multitude d’organismes paritaires dont les missions sont complètement étrangères à la vie de l’entreprise. 

Sans surprise, ce système favorise des carrières d’apparatchiks. C’était le cas de Stéphane Lardy et de Jean-Claude Mailly lui-même à FO. C’est le cas de Laurent Berger à la CFDT.

Comment la démocratie sociale génère sa bureaucratie syndicale

Le divorce prononcé entre la base d’une confédération syndicale et son sommet sont largement inhérents à ce qu’en France, par l’un des nombreux abus de langage contemporains, on appelle la « démocratie sociale » et qu’on devrait plutôt appeler la « dictature anti-sociale ». Le débat sur les ordonnances Macron le rappelle très opportunément.

Au sortir de la guerre, en effet, et face à la toute-puissance d’une CGT en ligne directe avec Moscou, un consensus (entre le pouvoir politique et le monde patronal) a existé pour jouer la carte de la division syndicale et du paritarisme de gestion. Il fallait à tout prix affaiblir la CGT et attirer les syndicats les plus influents dans des fonctions les plus éloignées possible du militantisme dans l’entreprise. La doctrine en vigueur, encore prégnante dans de nombreux discours syndicaux, était que l’entreprise était forcément un lieu d’affrontement et ne pouvait surtout pas devenir un lieu de négociation. La paix sociale devait se construire ailleurs, dans des structures reposant sur les branches professionnelles ou sur le niveau « interprofessionnel ».

Le syndicat Force Ouvrière lui-même est l’une des résultantes de cette stratégie. Lors de sa création en 1947 à l’issue d’une scission avec la CGT, il devient le troisième syndicat national français, rompant le huis clos de la CFTC avec la CGT. La CFDT et la CGC n’apparaîtront que dans les années 60.

Sans surprise, le fond de commerce de FO repose d’ailleurs sur l’éloge du paritarisme de gestion, que ce soit à la sécurité sociale ou dans les branches professionnelles. Il repose aussi sur l’immobilisme des statuts et régimes spéciaux en tous genres. Ces idées-là sont à l’origine de la scission avec la CGT. On a ici trop souvent oublié que la CGT revendiquait, au sortir de la guerre, une grande convention collective commune à toutes les professions et permettant de préparer la dictature du prolétariat.

Éviter un rapport social unique entre les salariés et le patronat, multiplier les particularismes, les originalités statutaires faisait aussi partie d’une stratégie destinée à briser les reins d’un mouvement social interprofessionnel. Emmener le syndicalisme le plus loin possible de l’entreprise, occuper les syndicalistes les plus ambitieux et les plus remuants avec des mandats pompeux et des perspectives de carrière inespérées fait partie, depuis soixante-dix ans, de l’arsenal utilisé pour stabiliser le « système ».

Sa conséquence (délibérée, consciente) est d’avoir créé une bureaucratie syndicale en grande partie dissociée des préoccupations exprimées par les salariés dans l’entreprise. 

Bureaucratie et représentativité syndicale

On déplore souvent que le syndicalisme français soit peu représentatif des salariés. Avec des taux d’adhésion globale inférieurs à 10%, nos confédérations réussissent l’exploit d’être parmi les moins représentatives du monde industrialisé. À titre d’exemple, le taux de syndicalisation en Grande-Bretagne se situe aux alentours de 25%. Cette différence pourrait d’ailleurs faire réfléchir tous ceux qui vantent le mérite du « modèle social français » et qui dénoncent sans relâche les méfaits du capitalisme à l’anglo-saxonne: il n’en demeure pas moins que le fait syndical français est l’un des plus faibles du monde. 

On l’a vu, cette situation procède d’un choix tactique opéré dans la foulée de la guerre. Pour les organisations syndicales, les circonstances qui ont entouré ce choix induisent une référence quasi-rituelle à l’âge d’or du Conseil National de la Résistance. Toute la question est de savoir si oui ou non cette tradition mérite d’être changée.

Ses inconvénients sont nombreux. Le syndicalisme français est en effet dominé par les fédérations de la fonction publique et se sont souvent des fonctionnaires, emprunts d’un esprit du « statut », qui négocient des accords interprofessionnels applicables au secteur privé. Au passage, Pascal Pavageau, qui succède à Jean-Claude Mailly, est lui-même fonctionnaire. Tout ce petit monde est souvent campé sur des lignes dures, très éloignées de la réalité de l’entreprise. 

Là aussi, on notera que les fédérations qui ont soutenu Jean-Claude Mailly durant le congrès de Lille étaient toutes du secteur privé, fédération de la métallurgie en tête. Celles qui l’ont le plus accablé relevaient du secteur public. C’est un signe qui ne trompe pas: la parole syndicale est, par choix historique propre à la France, largement confisquée par des gens très éloignés de l’entreprise.

Autre inconvénient de la « démocratie sociale »: son extrême politisation. À la différence de l’Allemagne, les syndicats français, consultés sur une myriade de sujets, interviennent volontiers sur des questions hors champ social, ou n’hésitent pas à déposer des préavis de grève contre des mesures qui ne relèvent pas du champ direct des entreprises (comme des protestations sur la gouvernance de la sécurité sociale, par exemple). 

L’échec de la réforme de la représentativité de 2008

En 2008, conformément au programme de Nicolas Sarkozy, les partenaires sociaux avaient mené une « délibération sociale » pour réformer les règles de la représentativité syndicale. L’objectif plus ou moins avoué était d’en finir avec la dispersion syndicale, et de favoriser l’émergence de deux grandes centrales: l’une, réformiste (la CFDT), l’autre, contestataire (la CGT). L’Allemagne servait alors de modèle à une restructuration qui devait légitimer, entreprise par entreprise, une inversion de la hiérarchie des normes. 

Dans la pratique, les résistances patronales, mal gérées par la présidente du MEDEF de l’époque, ont neutralisé les effets de cette réforme. Au lieu d’imposer un seuil, pour la représentativité interprofessionnelle, identique à celui des entreprises, le MEDEF a finalement consenti à des règles différenciées. Ainsi, la règle en entreprise pour être représentatif est de passer la barre des 10% des voix. Dans les branches et au niveau interprofessionnel, le seuil fut abaissé à 8%, avec une exception pour les syndicats catégoriels. 

Cette modulation de dernière minute, permettait à la bande des 5 de l’époque de garder les privilèges obtenus au bon vieux temps de la présomption irréfragable de la représentativité, alors qu’un « passage à la trappe » de la CGC et de la CFTC étaient immédiatement possibles. Tout fut ensuite organisé pour limiter les effets de restructuration que la réforme risquait de produire dans le landerneau syndical.

Le moment de la réforme était passé. La porte qui s’était ouverte pour une restructuration syndicale en profondeur se refermait. 

Le monde syndical attend toujours son onde de choc

Reste donc, un immense gâchis et un immense statu quo. Il a fallu attendre dix ans pour qu’un inversion partielle de la hiérarchie des normes soit admise, par le truchement des ordonnances Macron. Le même système de bureaucratie syndicale continue de fonctionner, de s’exprimer sur de nombreux sujets très éloignés de la vie des entreprises. 

La France n’a toujours pas tourné la page de l’après-guerre. Et les mêmes postures mensongères continuent d’être répétées à l’envi.

Ainsi, dans son discours d’investiture, Pascal Pavageau a dénoncé « l’individualisation, une vision quasi philosophique du chacun pour soi », dans le droit du travail. Mais, le même Pavageau, a aussi défendu « le retrait du projet de loi <sur la SNCF>, le maintien du statut particulier des cheminots ainsi que le maintien du service public ferroviaire ». On est contre l’individualisation, mais on est aussi pour les statuts particuliers et les différences de traitement. Comme si les statuts particuliers et les régimes spéciaux ne procédaient pas de cette logique d’individualisation que le nouveau secrétaire général de FO prétend combattre.

Sur cette intervention, Jean-Claude Mailly, qui en connaît un bout sur le sujet, a produit le tweet qu’il fallait:

Discours du nouveau secrétaire général de FO: hypocrisie et duplicité.

On ne pouvait pas mieux résumer la nature même de la « démocratie sociale » en France, qui repose sur la forgerie d’une bureaucratie syndicale loin des entreprises, et tout entière occupée à dénoncer un système qu’elle s’emploie à faire fonctionner au jour le jour.

Pour que la France devienne un pays moderne, il reste un onde de choc à produire sur le monde syndical. 

Article publié initialement sur Entreprise.news

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