Ce que le salon de l'Auto de Pékin signifie pour le futur des constructeurs européens… et français<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Ce que le salon de l'Auto de Pékin signifie pour le futur des constructeurs européens… et français
©AFP

Vroum

Le Salon automobile de Pékin ouvrait ses portes le mercredi 25 avril dernier, dans un pays qui représente 30% des ventes mondiales du secteur.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

Voir la bio »

Atlantico : La Chine représente désormais près d'un tiers des ventes mondiales d'automobiles. Face à ce bouleversement du marché mondial, comment envisager l'avenir des constructeurs européens ? 

Jean-Pierre Corniou : Le monde de l’automobile a connu un de ses plus sévères crises en 2009 et a mis plusieurs années à s’en relever. Ainsi 2017 a été en Europe une année exceptionnelle avec le retour aux volumes d’avant-crise. Mais cette euphorie risque de ne pas durer.  Le premier trimestre 2018 marque un net fléchissement de la demande (-6%) en Europe, notamment en Grande-Bretagne. Les États-Unis ont également atteint leur plafond de demande et de production et même la Chine subit un tassement significatif de la demande. Mais de façon plus structurelle, le paysage automobile mondial n’est désormais plus le même car l’avenir de l’automobile mondiale se joue en Asie. 

Parce qu’elle n’est pas visible dans nos rues européennes, l’automobile chinoise est une abstraction pour le grand public. Mais quand on suit attentivement la progression régulière sur leur marché domestique des constructeurs chinois, on mesure à quel point l’industrie automobile chinoise peut devenir une menace réelle pour les constructeurs automobiles des grands pays producteurs que sont les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. Adeptes du jeu de go, les Chinois sont des stratèges aussi implacables que patients. Si leur progression a été spectaculaire dans la plupart des créneaux de l’industrie, d’abord comme producteurs, puis comme concepteurs, ils font preuve dans l’industrie automobile d’une grande prudence. Ils ont en effet mesuré, certainement mieux qu’Elon Musk, que l’industrie automobile est une industrie exigeante. Industrie de volume, elle exige une maîtrise parfaite de toute la chaîne de valeur. Et pour devenir leader, ils se donnent le temps et les moyens d’apprendre.

La marche en avant des constructeurs chinois est engagée depuis trente ans. Naguère marginale, l’industrie chinoise grignote ce qui est devenu le premier marché automobile du monde avec 28,7 millions de véhicules en 2017. Les constructeurs chinois y représentent 44% de part de marché avec des marques totalement inconnues en dehors de Chine. Mais ils ne sont pas absents de l’autre moitié du marché. Grâce aux co-entreprises, imposées par le gouvernement les constructeurs chinois sont partenaires de tous les grands constructeurs mondiaux. Et avec eux ils ont appris patiemment à maîtriser la complexité du monde automobile grâce aux transferts de technologie.

Peu de gens se souviennent que le « suédois » Volvo est passé sous le contrôle du constructeur privé chinois Geely en 2010. Plus encore, Geely, qui n’a été créé qu’en 1986, vient de prendre une participation de 9,69% au capital du constructeur emblématique de l’industrie automobile allemande, Daimler, pour 7,2 milliards €.

Le Salon automobile de Pékin, qui a ouvert le 25 avril, démontre à quel point l’industrie chinoise se renforce et commence à montrer sa force. Représentant, en 2000, 1% de la production mondiale, l’industrie chinoise en a réalisé 29% en 2017. Elle dispose désormais des moyens de production modernes, de l’écosystème de fournisseurs et d’une capacité nouvelle à produire des véhicules de qualité identique aux autres pays producteurs, ceci avec des coûts inférieurs de 30% en moyenne.

C’est au moment où l’industrie chinoise prend son envol sur le marché intérieur que le gouvernement a décidé de mettre un terme progressif à l’obligation imposée en 1994 pour les constructeurs étrangers de constituer des co-entreprises avec des partenaires chinois à 50%. 

Est-ce pour autant la marque d’une libéralisation du marché ? Les choses sont plus subtiles qu’elles peuvent paraitre. La fin des co-entreprises obligatoires ne sera effective fin 2018 que pour la production de véhicules électriques. Ce n’est qu’en 2022 que les productions de véhicules thermiques classiques seront concernées. Il s’agit en effet pour le gouvernement chinois d’accélérer la migration du parc automobile vers l’électrique pour lutter contre la pollution qui affecte durablement les villes chinoises. Plus encore, aucune licence ne sera attribuée pour la construction de véhicules thermiques en Chine et des quotas de véhicules électriques vont être imposés à tous les constructeurs, alors que les constructeurs chinois seront subventionnés pour migrer vers l’électrique. La Chine représente déjà la moitié du marché mondial de véhicules électriques et la Chine a les moyens politiques d’en accélérer le développement, et par là, d’alimenter son leadership sur ces véhicules où les barrières techniques sont plus faciles à lever. C’est donc un changement structurel majeur que le gouvernement impose sous couvert de cette libéralisation qui risque de rester très théorique, les constructeurs occidentaux n’ayant pas d’intérêt immédiat à rompre leurs alliances qui leur offrent d’importantes possibilités de négocier avec les toutes puissantes administrations locales et régionales. Simultanément, le gouvernement annonce une réduction des droits de douane, actuellement à 25%, pour l’importation de véhicules. 

Cette montée en puissance de la Chine comme producteur n’inquiète pas pour l’instant les constructeurs européens qui voient d’abord en Chine un gigantesque marché. Les constructeurs allemands y réalisent la moitié de leur production mondiale. Les Français y ont beaucoup moins de succès, même quand ils y sont implantés depuis longtemps comme Citroën. 

Tous les plans d’investissement des constructeurs chinois avec ou sans leurs alliés nippons et occidentaux tendent à construire un gigantesque complexe industriel qui pourrait dépasser en 2020 une capacité de production annuelle de 35 millions de véhicules. Compte tenu du taux de motorisation actuel de la Chine, cette situation de premier pays constructeur mondial est définitivement acquise, ce qui n’exclut nullement des risques de surcapacité si la demande intérieure se ralentit. C’est donc en Chine que les constructeurs mondiaux s’affrontent et jouent leur avenir. Ils y sont tous. Les chinois Dong Feng, désormais présent chez PSA,  mais aussi partenaire de Renault, comme de Nissan, Honda ou Kia, et SAIC, partenaire de General Motors, comme FAW, sont bien placés pour être au cœur de l’inévitable restructuration de l’industrie chinoise aujourd’hui très éclatée avec ses 80 constructeurs et 7000 équipementiers, présents dans 27 des 31 régions. Les constructeurs chinois font de leur internationalisation un axe clef de développement. C’est la clef de leur respectabilité en matière de fiabilité et d’innovation. Et c’est lorsqu’ils auront atteint cette crédibilité qu’ils deviendront capables d’ébranler les positions établies à l’exportation.

Des menaces de restriction commerciales qui pèsent sur l'Europe concernant le marché américain, au fort développement de l'électrique  par la Chine, quelles sont les principales menaces qui pèsent sur les européens, et notamment sur les Français ? 

Le marché de l’automobile est cyclique. Nous sommes à la veille d’un retournement mondial de cycle après une période de demande très forte correspondant à une remise à niveau du parc. Et quand la demande se dérobe, les marges s’effondrent. Et les pays producteurs cherchent à se protéger. Il faut donc s’attendre dans les prochaines années à un durcissement de la concurrence qui profitera aux entreprises qui maitriseront le mieux leurs prix de revient et l’attractivité de leurs marques. On peut imaginer, comme lors de la crise de 2008,  une contraction du nombre de marques. Par ailleurs l’innovation est coûteuse et le changement de modèle industriel, du tout thermique à l’hybride/électrique, et le changement de modèle commercial, de la pleine propriété au paiement à l’usage, apportent des changements structurels qui bouleversent une industrie conservatrice habituée aux progrès incrémentaux. La taille restera donc un facteur capital de résilience. Les constructeurs français devront poursuivre leur intégration mondiale, ce qui tsr programmé pour Renault mais reste encore incertain pour PSA/Opel.

Toutefois, ces bouleversements annoncés restent encore très timides. L’électrique ne représente que 1% du marché mondial et les hybrides 5%. En France en 2017, il s’est vendu 24904 voitures électriques, pour 20 modèles, sur un volume de ventes total de 2142704, soit 1,16% contre 1,08% en 2016. La seule Renault Zoe représente 61% des ventes. Ces chiffres ne progressent que très peu car l’offre reste marginale et peu soutenue par les réseaux. On voit plus de concepts cars que de véhicules attractifs pouvant déclencher une intention d’achat récurrente et générer un marché de l’occasion sain. Cela ne changera que si les prix des véhicules électriques baissent et l’autonomie augmente. Or ceci baisse par des investissements massifs, et un changement drastique de la réglementation, qui ne peuvent aujourd’hui venir que de la Chine.

La principale menace ne vient pas aujourd’hui des constructeurs lointains, mais de la transformation des usages, la voiture n’étant plus pour la majorité des utilisateurs urbains un sujet majeur d’intérêt affectif, mais un centre de coût, alors qu’elle reste indispensable pour les utilisateurs ruraux et péri-urbains. Mais il faut regarder ces mutations avec prudence, elle se font lentement et au rythme des décisions individuelles de renouvellement.

Concernant le marché européen, les constructeurs Français ont-ils encore les moyens de faire face aux géants allemands ?

La compétition entre constructeurs est mondiale. Leur stratégie commerciale et industrielle ne peut être que mondiale et la Chine se trouve à l’épicentre de cette lutte. Les deux constructeurs français l’ont compris et s’attachent depuis vingt ans à trouver des solutions à l’exiguïté du marché européen où ils se sont développés. PSA est allé très tôt en Chine avec Citroën et dispose d’une capacité de production de 1,2 million de véhicules mais n’en a vendu que 387000 en 2017 contre 742000 en 2014. Renault a d’abord misé sur le low-cost en développant avec succès sa marque d’entrée de gamme Dacia, et a trouvé grâce à  l’Alliance avec Nissan les moyens de développer une stratégie internationale globale. On peut dire que Renault a brillamment réussi en 2017, année où l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi s’est hissé en tête du palmarès mondial sans avoir encore l’outil industriel intégré nécessaire pour tirer durablement parti de ce succès. Les résultats de Renault en Chine sont encore faibles, son implantation industrielle ne datant que de 2016. Les résultats de PSA, en amélioration forte en 2017, restent bridés par son positionnement géographique trop européen que ne corrige en rien le rachat opportuniste d’Opel. Toutefois une cible de 4 millions de véhicules pour 2018 est imaginable.

L’Allemagne a fait de la Chine son premier marché et y a investi massivement depuis les années quatre-vingt. Fort de cette structure industrielle, les constructeurs allemands comptent faire de la Chine leur base industrielle mondiale et par là renforcer leur position concurrentielle, puisque leur rentabilité en Chine permettra de financer leur R&D pour imaginer la nouvelle génération de véhicules, électriques, connectés et autonomes. Ils ont d’ailleurs immédiatement réagi à l’orientation du gouvernement chinois en annonçant le lancement de très nombreux véhicules électriques. Volkswagen prévoit d’investir dix milliards € pour produire 40 modèles de véhicules électriques dans au moins six usines. Et annonce le lancement d’une marque de véhicule électrique, SOL. BMW va y construire pour le marché mondial son SUV électrique X3.

Il faut souligner l’excellente performance des équipementiers français en Chine où Valeo, Faurecia, Plastic Omnium enregistrent des croissances à deux chiffres de leur chiffre d’affaires, grâce notamment à leurs clients chinois qui, montant en gamme et en fiabilité, ont besoin de leurs technologies. Valeo réalise plus du tiers de son chiffre d’affaires en Chine avec les constructeurs locaux.

Le marché automobile demeure conservateur. Clients et constructeurs bougent lentement malgré la pression constante des pouvoirs publics pour discipliner l’usage de l’automobile individuelle au profit d’une stratégie de mobilité multimodale. Cette partie de bras de fer, source d’incompréhensions et de frustrations, n’a pas de raison de cesser tant l’automobile reste pour la plupart un fort symbole de liberté individuelle au-delà de tout calcul économique et sociétal. La voiture électrique n’a pas encore conquis le cœur du marché et reste contestée tant pour son rapport coût/valeur que pour sa contribution réelle à l’environnement sur son cycle de vie complet. Mais si l’électrification a conquis en un siècle tous les marchés, sauf l’automobile, l’innovation du XXIe siècle sera sans nul doute un basculement technique de l’automobile vers l’électrique, hybride, à batteries ou à pile à combustible à hydrogène, l’omni-connectivité et l’autonomie que l’on peut imaginer à partir de 2030.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !