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Le match Macron Merkel : qui a obtenu quoi face à Donald Trump ?
©Brendan Smialowski / AFP

Match

Après une visite d'Etat qui a duré 3 journées, Emmanuel Macron a cédé la place auprès de Donald Trump à Angela Merkel, qui rencontrait le président américain ce 27 avril.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Après la visite d'Etat d'Emmanuel Macron aux Etats-Unis, en début de semaine Donald Trump a reçu quelques heures Angela Merkel, vendredi, pour une courte visite.Derrière la grande différence d'image entre les deux rencontres, qu'ont réellement obtenu les deux dirigeants européens face à Donald Trump ? 

Edouard Husson : Les deux principaux dirigeants de l’Union Européenne n’ont pas obtenu grand chose - pour autant que nous puissions le savoir par les compte-rendus dont nous disposons. Ce que nous ne savons pas, c’est dans quelle mesure Angela Merkel aurait fait des concessions spécifiques à Donald Trump, afin de préserver la position de champion du monde des exportations que l’Allemagne dispute chaque année à la Chine. l’Allemagne est en effet plus durement atteinte par les sanctionsx américaines contre la Russie que ne l’est la France; et elle sera plus affectée par le maintien de tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium que ses partenaires au sein de l’UE. Il faut bien voir que c’est la troisième visite gouvernementale allemande à Washington  en six semaines: Peter Altmeier, ministre de l’Economie et très proche d’Angela Merkel au mois de mars; Olaf Scholz, ministre des Finances la semaine dernière. Et la Chancelière elle-même cette semaine. Comme toujours, les Allemands font les choses de façon peu spectaculaire mais, au bout de ces trois visites, n’auront-ils pas obtenu les termes d’un accord bilatéral tandis que le président français aurait été la cible d’une pure opération de séduction? 

Florent Parmentier : La visite d’Etat de trois jours d’Emmanuel Macron a connu un grand écho, tant en France qu’aux Etats-Unis et parmi les alliés européens. La Pologne, les Etats baltes et d’autres pays atlantistes au sein de l’Union européenne reprochait une posture française distante vis-à-vis des Etats-Unis ; cette visite vient tordre le bras à cet a priori. Toutefois, au-delà d’une belle présence médiatique, les gains du côté français sont faibles : quelles avancées a-t-on vu sur le climat ou l’Iran ?

Parallèlement, Angela Merkel se rend à Washington en faisant profil bas, puisqu’en plus des désaccords existant – largement partagés avec la France – sa relation de travail avec Donald Trump est mauvaise. La chancelière aura à cœur de défendre les intérêts des entreprises allemandes, notamment celles qui travaillent avec la Russie, dans le contexte connu d’accroissement des sanctions. La position allemande sur Nord Stream 2 sera discutée : les Américains peuvent-ils faire reculer les industriels allemands ? La pression américaine vise-t-elle à protéger les intérêts de l’Ukraine ou à encourager l’importation de gaz américain ? La sécurisation des infrastructures de gaz ukrainiennes pourrait fournir le prétexte à une coopération pragmatique entre la Russie, l’Ukraine et les Européens. Mais Washington souhaite-t-il vraiment aller dans cette direction. La question des taxes protectionnistes sur l’acier et l’aluminium est également dans l’air.

Autre sujet compliqué sur le plan bilatéral germano-américain, particulièrement à l’heure des frappes franco-anglo-américaines en Syrie : la question des dépenses militaires. Malgré une hausse de 10% de son budget militaire, celui-ci ne représente que 1,1% du PIB allemand ! Tout juste confirmé par le Sénat, Mike Pompeo, nouveau Secrétaire d’Etat, fera pression sur l’Allemagne pour que l’objectif de 2% des dépenses soit atteint. 

Dans quelle mesure cette différence de traitement protocolaire permet-il à Donald Trump de troubler le jeu interne européen ? Comment en envisager les conséquences dans le couple franco-allemand ?

Edouard Husson : Trump est le grand gagnant de ce qui se passe. C’est lui qui mène le jeu. Il reçoit séparément Emmanuel Macron et Angela Merkel à deux jours d’intervalle. Il choisit le format de la visite de l’un et de l’autre. Et il a l’air de traiter le président français mieux que la Chancelière allemande. Il est normal qu’à Bruxelles et à Paris, ces dernières semaines, on ait mal pris la manière dont Berlin semble préférer la négociation bilatérale avec Washington à une négociation transatlantique unifiée. D’un autre côté, en agitant la menace d’une hausse des tarifs douaniers, Trump contribue à isoler l’Allemagne de ses partenaires européens. Elle est la plus vulnérable au déclenchement de ce qu’on appelle d’un terme inapproprié une « guerre commerciale » (quand est-ce que les libéraux reliront Adam Smith et son éloge des tarifs douaniers comme instrument de rééquilibrage ou de compensation des distorions de concurrence?). Le possible cavalier seul de l’Allemagne dans la négociation commerciale fait partie de tout un contexte où, derrière la volonté affichée de la France de relancer le « moteur franco-allemand », le gouvernement Merkel réagit avec circonspection voire refuse les propositions des partenaires européens, à commencer par le plan Macron pour l’Union Européenne. 

Florent Parmentier : Face à trois jours de visite d’Etat, la session de travail de trois heures paraît bien terne ; la différence de traitement ne devrait toutefois pas avoir de conséquences fondamentales sur le jeu interne européen. En effet, les deux Etats européens ont pu préparer leur stratégie en amont, grâce à une concertation préalable. Le jeu ne peut être troublé qu’à la condition que Donald Trump fasse des concessions, ce qu’il ne semble pas disposer à faire, ni sur le climat ni sur l’accord iranien.

Le couple franco-allemand a sa propre logique qui ne passe pas par Washington ; l’interaction franco-allemande est quotidienne, là où le déplacement outre-Atlantique est rare. L’Allemagne reste le premier partenaire économique de la France, et les deux Etats doivent travailler encore plus étroitement du fait du Brexit et de la marginalisation de l’Italie des affaires européennes. 

Quelles sont les enjeux ou les risques ouverts par cette nouvelle donne dans le jeu transatlantique ?

Edouard Husson : Il faut regarder, d’abord, le jeu mondial. Trump, comme toujours sous-estimé par ses critiques, a une vision claire: il faut une politique commerciale dure avec la Chine. Et les Européens ont intérêt à faire cause commune avec Washington. Il est un deuxième enjeu fondamental: le président français se heurtant à de multiples résistances de l’Allemagne sur ses propositions, aura intérêt, dans les mois qui viennent, à transformer le dialogue bilatéral avec l’Allemagne en un dialogue à trois, incluant Washington - ou à quatre en incluant Londres. Trump déplace complètement les lignes et cela peut servir les intérêts de Paris. C’est l’Allermagne qui a le plus à perdre d’une montée des tarifs douaniers; ses exportations vont baisser, inévitablement; et les partenaires de l’Allemagne au sein de l’UE auraient intérêt  à s’appuyer sur la politique américaine pour forcer les Allemands à sortir des dogmes de leur politique économique (monétarisme; limitation de la consommation intérieure, priorité aux exportations dans une logique de concurrence avec les autres pays de l’UE)Les semaines qui viennent vont être décisives; peut-être vont-elles être celles d’une prise de distance réaliste d’Emmanuel Macron vis-à-vis de l’Allemagne. 

Florent Parmentier : A vrai dire, le danger se trouve moins dans la relation avec l’Allemagne que dans un alignement mal maîtrisé ; « ami, allié, pas aligné », pour reprendre l’expression de Hubert Védrine.

Le danger pour le Président français serait de suivre le chemin de Tony Blair ; ce dernier était à la fin des années 1990 un jeune leader européen centriste, apôtre de la « troisième voie ». Pourtant, le leader britannique a vu son bilan se réduire au rôle de supplétif malhonnête de George W. Bush. A vouloir influencer les Etats-Unis, il a perdu sa boussole politique, s’engageant dans un conflit impopulaire et à la postérité pour le moins douteuse.

A l’occasion de ce déplacement, les bonnes relations interpersonnelles peuvent-elles déboucher sur une coopération plus large ? Au-delà des images, quels gains réels ? L’opinion publique suivra-t-elle son Président ou l’opposition, très critique de cette visite ? Le sort de l’accord iranien nous donnera une première indication.

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