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LR : pourquoi la panne dure
©ERIC FEFERBERG / AFP

A sec

D'après un sondage Ifop, si le premier tour de la présidentielle était rejouée aujourd'hui, Emmanuel Macron récolterait 33% des voix contre 24% en avril 2017. Et si Laurent Wauquiez était face à lui, le président monterait à 36% alors que le patron des Républicains tomberait à… 8%. Des chiffres inquiétants pour LR alors que le projet de loi sur l'immigration constitue pourtant une opportunité majeure pour lui de s'affirmer en tant que parti d'opposition.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Le projet de loi sur l'immigration constitue une opportunité majeure pour Laurent Wauquiez et Les Républicains de s'affirmer en tant que parti d'opposition. Pourtant, il fait surtout apparaitre des divisons et un manque de positionnement clair, entre l'idée d'un référendum lancée par Laurent Wauquiez et le contre-projet de Valérie Pécresse. Comment expliquer ce manque de cohérence et de crédibilité ?

Christophe Boutin : Opportunité majeure peut-être, pari risqué certainement. Les choix de Laurent Wauquiez s’expliquent par un double problème. Le premier est de parvenir à se positionner entre LaREM et le RN, non seulement pour continuer d’exister sur un territoire politique qui semble à l’heure actuelle bien réduit, mais aussi pour se développer et devenir ainsi Le représentant de l’opposition. Mais comment affirmer une opposition « de droite », qui pourra ajouter aux électeurs LR les indispensables « déçus du FN », comme Nicolas Sarkozy sût puiser dans l’électorat du FN pour son élection ? On voit la difficulté : si Laurent Wauquiez se positionne, comme il vient de le faire sur l’immigration, sur des thèmes « clivants » (l’idée d’un référendum), il sera accusé de faire le jeu du FN et aura une grande partie des médias contre lui. Mais s’il se refuse à évoquer ces thèmes il perd tout espoir de voir venir à lui d’anciens électeurs du FN… et sans doute même une partie de ses propres électeurs.

Car il y a un clivage net entre base et élus au sein de LR, un clivage qui n’est toujours pas résolu. Le chiraquisme, si tant est que l’on puisse qualifier d’un terme qui lui donne une cohérence une doctrine qui n’en eût aucune, disons plutôt la politique menée par Jacques Chirac et une partie importante de l’équipe dirigeante des divers partis qui se succédèrent sous sa direction, a été la trahison pure et simple d’un gaullisme auquel la base du parti continuait de croire. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, habitude ou lassitude on ne sait, les électeurs gaullistes ont continué de voter pour les candidats d’un parti qui avait abdiqué la souveraineté de l’État et renié les composantes vitales de la Nation.

Pour autant, lorsqu’ils ont le choix, ces électeurs ne s’y trompent pas : c’est comme vous l’indiquez François Fillon qui sort « nominé » pour la présidentielle, et non un Alain Juppé enfant chéri des médias ; c’est Laurent Wauquiez, le vilain petit canard du Puy, qui prend ensuite en main le parti. Mais l’autre courant n’entend pas se laisser priver de sa rente de situation, et fait tout depuis son élection pour délégitimer Wauquiez. Valérie Pécresse a ainsi créé « Libres ! », qui se présente comme « un mouvement d'idées pour une droite ferme et humaniste refusant la ligne Buisson […] ni soumis à Emmanuel Macron ni poreux avec le FN », sous-entendant qu’elle se différencie ainsi de la ligne Wauquiez.

Reste que pour incarner l’opposition il faut des hommes, mais aussi des idées, et c’est dans ce domaine la lutte entre l’équipe mise en place par Wauquiez à LR et Libres ! pour produire un programme cohérent. Est-ce donc un hasard si Laurent Wauquiez annonce sa politique en matière d’immigration au lendemain de la publication par Libres ! de ses 11 propositions sur le même sujet ? On peut en douter. Sans oublier non plus que Marine Le Pen avait présenté lundi son contreprojet à la loi asile et immigration…

Erwal Le Noan : Les divergences politiques internes au sein de LR ne sont pas nouvelles et elles sont doubles.

D’abord, le parti reste animé par des individualités fortes qui ont en ligne de mire la prochaine élection présidentielle. On ne peut pas le leur reprocher et il est, au fond, assez sein que la vie politique soit animée par une certaine concurrence. La limite de cet état de fait c’est que cela ne suffit pas : dans le monde des affaires, on sait que pour séduire des consommateurs, il faut vendre un produit qui soit attrayant et de qualité, sinon on ne dure pas. En politique, le produit, ce n’est pas le candidat, c’est le projet. A ce jour, il n’est pas parfaitement évident de comprendre quel est le projet des Républicains (ni de chaque écurie).

Ensuite, la droite française (et la gauche) essaie depuis des années de proposer un projet qui réponde à une problématique : quel modèle économique, politique et social dans un monde ‘post Etat-Providence’ ? Le projet de François Fillon avait marqué, d’une certaine façon, la réflexion la plus aboutie à ce sujet (ce n’est pas la seule, pour autant) : il proposait de sortir de cette vision de la société et de l’Etat. Laurent Wauquiez, aujourd’hui, revient sur cette vision économique. S’il le peut, c’est que le courant de pensée qu’il représente – ou qu’il a adopté, était toujours présent de façon plus ou moins latente au sein des LR.

Depuis la surprise de l'élection de Fillon à la primaire, le départ de Juppé et  l'élection de Laurent Wauquiez, cette division se retrouve dans les groupes LR à l'Assemblée Nationale, et dans une moindre mesure, au Sénat.  Les Républicains peuvent-ils encore se retrouver sur un projet commun ?

Erwal Le Noan : La faiblesse des Républicains a aujourd’hui deux sources, à mon sens. D’abord, le manque de clarté idéologique comme je l’expliquais ci-dessus. Ce n’est pas nouveau : il y a longtemps que la Droite n’a pas travaillé sérieusement et durablement (même s’il existe évidemment des contributions ponctuelles et travaillées au débat public) pour réfléchir à un projet (et non uniquement à quelques réformes) pour la France et l’Europe. Ensuite, elle sort d’une déroute historique : il ne faut pas croire qu’elle s’en remettra en (même pas) un an ! C’est un processus beaucoup plus long qui est engagé.

Les Républicains ont au moins deux raisons de retrouver un projet commun. D’abord, plusieurs de ses principaux leaders souhaitent être président de la République : ils ne le seront que s’ils rassemblent la Droite, pas en se ralliant à Emmanuel Macron. Ensuite, au-delà de cette cuisine électorale, il existe un électorat (voire plusieurs) et un courant idéologique (voire plusieurs) qui ne se reconnaissent pas dans le Président de la République, tout en se sachant ‘à droite’. C’est à ce camp de parvenir à faire une synthèse, peut-être sur l’exemple anglo-saxon, avec une droite libérale en économie et plutôt conservatrice en matières sociale et sociétale.

Christophe Boutin : Si l’on prend l’exemple de l’immigration, puisque c’est le sujet, la réponse est plutôt négative. Les 11 propositions de Pécresse sont essentiellement des propositions de lutte contre l’immigration illégale : surveillance des frontières, lutte contre les mariages « blancs », encadrement des demandeurs d’asile ou des « étrangers malades » qui viennent se faire soigner chez nous, contrôle des pseudo-mineurs. L’équipe de Wauquiez est-elle plus sensible à l’idée non seulement d’interdire cette immigration illégale, mais aussi de limiter une immigration légale dont l’ampleur, pour certains comme Éric Ciotti, menace à terme notre identité nationale même. Dans ce cadre, on comprend que l’angle d’attaque ne soit pas le même.

 On notera cependant la différence de traitement médiatique entre les deux courants, car il y a bien quelques éléments similaires sur ce même sujet. C’est ainsi que l’on trouve dans les propositions de Pécresse l’idée de « réformer les conditions d’acquisition de la nationalité française », avec des éléments très proches de ceux avancés par Wauquiez. Certes, chez Pécresse, le fameux « droit du sol » continue de s’appliquer si « au moins un des deux parents » est en situation régulière, quand il faut les deux pour Wauquiez, mais convenons que la différence est minime, et c’est par exemple le même refus de voir un étranger condamné acquérir notre nationalité dans les deux cas. Seul Laurent Wauquiez semble pourtant stigmatisé. Mais il est vrai qu’il a commis l’erreur de parler de référendum, ce qui, dans nos démocraties, revient à parler de corde dans la maison d’un pendu.

 On notera aussi combien a évolué au fil des années le débat sur l’immigration. Comme l’ont en effet relevé bien des auteurs, les propositions iconoclastes de Wauquiez sont celles du RPR de 1990 – si ce ne sont celles du PCF d’une certaine époque. On remarquera aussi que, pour un grand nombre d’entre elles, ces propositions visent seulement à permettre une application efficace de la loi. Et l’on mesurera, devant la bronca soulevée, le tabou qui pèse sur cette question dans notre pays,

Une partie de son électorat s'est reportée sur LREM, mais qu'en est-il de sa base historique composée de chefs d'entreprises, de professions libérales, etc ? Comment expliquer que  Laurent Wauquiez  ne se positionne pas davantage sur les sujets économiques ?

Christophe Boutin : Peut-être à cause d’une ambiguïté qui vient de la difficulté de faire comprendre la différence entre un libéralisme que l’on qualifiera ici rapidement, faute de mieux, de libéralisme « à l’anglo-saxonne », dérégulé et mondialisé, celui de la finance et des traders, et un libéralisme « à la française », libéralisme cette fois d’entrepreneurs et non de financiers, libéralisme de la liberté d’entreprendre au sens de porter un projet concret et non de pouvoir jouer sur des mécanismes de marchés. Un libéralisme qui peut même, en France, tradition colbertiste oblige, se combiner sans trop de heurts avec l’existence de services publics dans certains secteurs. Le problème est que si l’on ne fait pas cette distinction, le mot « libéralisme » est actuellement connoté dans un sens « anglo-saxon ».

La France souffre pourtant d’une étatisation à peine larvée. L’exemple des professions de santé, médecine libérale, pharmaciens, kinésithérapeutes ou infirmiers croulant sous les réglementations, les interdits et les consignes, pour devenir de simples exécutants des volontés des Caisses, est ici évident, mais on pourrait évoquer aussi les notaires ou les artisans en général. À chaque fois que l’on a tenté ces dernières années de permettre un peu de liberté d’entreprendre cela a conduit à un échec, et l’on voit bien celle prônée par Emmanuel Macron profite surtout à de de grands groupes internationaux. Laurent Wauquiez devrait donc impérativement bâtir un discours cohérent sur ce point, qui permette de réconcilier, on peut rêver, le fonctionnaire et l’entrepreneur privé.

Erwan Le Noan : Laurent Wauquiez a fait le constat, non erroné, que la question de l’identité (qui a un volet ‘culturel’ mais aussi ‘économico-social’) et celle de la Nation sont des sujets majeurs et structurants dans l’opinion publique aujourd’hui. Il a fait le choix de se concentrer sur eux pour mobiliser un électorat. Certains l’accusent de se ‘faire le jeu populiste’ ; d’autres rappellent que s’il ne tenait pas ce discours, le FN réaliserait des scores beaucoup plus élevés.

Ce faisant, il n’en reste pas moins qu’on l’entend finalement moins sur les questions économiques que culturelles (cela ne veut pas dire qu’il ne s’exprime pas pour autant…). S’il veut construire un projet, et ne pas se contenter de mobiliser sporadiquement une base électorale, il faudra pourtant qu’il parvienne à articuler les deux… Virginie Calmels, par exemple, semble porter cette voix libérale de droite dans le débat public.

Comment Les Républicains pourraient-ils fédérer à nouveau les électeurs de droite ?

Erwan Le Noan : Pour commencer, Les Républicains devraient faire l’effort de regarder les droites européennes et plus largement occidentales pour tenter de comprendre à quels défis elles ont été confrontées et comment elles y ont répondu. La France a beau être un pays unique et exceptionnel, il n’est pas complètement certain qu’elle ne puisse trouver de bonnes idées ailleurs. Par exemple, il y a d’autres pays où un président jeune, plutôt charismatique, plutôt social-libéral a été élu (plusieurs fois) : qu’a fait la droite là bas ? Pourquoi les Républicains américains ont-ils été balayés par Trump, comme Obama ? Au delà, que faut-il déduire des résultats aux élections récentes en Europe ? Comment interpréter le renouvellement générationnel qui se dessine bien au-delà de la France (Canada, Irlande, Autriche, Australie …) ? Dans certains pays, c’est la droite ‘populiste’ qui l’a emportée. Dans d’autres, c’est une droite conservatrice, au sens anglo-saxon (conservatrice socialement, libérale économiquement), qui a un temps dirigé. Ailleurs, la droite a porté des préoccupations sociales (‘compassionate conservatism ; concious capitalism).

Pour fédérer à nouveau, la Droite doit produire un ambitieux travail idéologique, un travail de recherche, d’analyse. Elle doit bâtir un réel projet, cohérent, solide. Cela prend énormément de temps. Il faut donc qu’elle s’y attelle rapidement.

Christophe Boutin : En étant de droite. C’est aussi simple que cela… et aussi difficile à réaliser. Il leur faut bâtir un projet cohérent qui réponde à la fois aux ambitions et aux inquiétudes des Français. En ayant bien conscience que si certains points clefs ne sont pas traités – et la question de l’immigration est de ceux-là – il est aberrant de prétendre résoudre les autres. En rappelant ces vérités finalement fort simples qui ont permis de constituer nos sociétés et sans le respect desquelles elles ne pourront pas évoluer, mais seulement disparaître. En osant faire de la réalité leur base de réflexion, et pour cela en osant nommer clairement les choses, quelles qu’en soient les conséquences. Bref, en établissant le programme d’un conservatisme serein, basé sur une anthropologie, un rapport à la Nature et une perspective historique.

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