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Submersion migratoire : quelle est la proportion de Français susceptibles de se retrouver dans la vision évoquée par Gérard Collomb ?
©BERTRAND GUAY / AFP

Loi asile et immigration

Depuis lundi 16 avril, l'Assemblée nationale examine la loi asile-immigration que défend Gérard Collomb, un sujet particulièrement sensible de la part des Français.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : L'examen de la loi asile-immigration, portée par le ministre de l'Intérieur Gerard Collomb a débuté ce lundi 16 avril à l'Assemblée nationale. Comment a pu évoluer la perception des Français sur ces questions au cours de ces dernières années ? 

Chloé Morin : A travers les enquêtes quantitatives, on constate que l’opinion est majoritairement plutôt fermée à l’accueil. Dans une enquête réalisée par la Fondation Jean Jaurès et l’Ifop à l’automne dernier, comparant les opinions dans plusieurs pays européens, 63% des Français estimaient que « notre pays compte déjà beaucoup d’étrangers ou de personnes d’origine étrangère et accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas possible ».  Cette fermeture s’explique avant tout par les contraintes économiques : seulement 30% estiment que « notre pays a les moyens économiques et financiers d’accueillir les migrants ». Evidemment, les attentats ont sans doute également pesé sur l’opinion depuis 2015, avec quelques exemples marquants de terroristes ayant réussi à traverser les frontières à l’insu de nos services, alimentant ainsi l’idée que l’Europe serait une passoire qui ne saurait garder ses frontières. Par conséquent, l’idée que « parmi les très nombreux migrants qui arrivent actuellement en Europe se trouvent également des terroristes potentiels » est très répandue (79% y souscrivent).  

De plus, 73% des Français souscrivaient à lidée que "si on accueille des migrants en nombre important dans notre pays et en Europe, cela va créer un appel d’air et provoquer le départ vers l’Europe de très nombreuses personnes vivant en Afrique, en Syrie, en Irak ou en Afghanistan". L’image de la « submersion », employée de manière polémique par le ministre de l’Intérieur récemment, est vraisemblablement ancrée dans de nombreux esprits.

Mais au delà du constat global que l’opinion est très fermée sur ces sujets, il faut souligner que le durcissement de l’opinion depuis la crise migratoire de 2015 n’est pas continu et linéaire. Nous sommes passés de 32% de personnes favorables à l’accueil des migrants en Europe en avril 2015 à 49% juste après la publication des photos du petit Aylan en septembre 2015, pour retomber à 38% en novembre juste après les attentats du Bataclan. Les chiffres ont ensuite fluctué, pour s’établir à 42% en septembre dernier. Cette fluctuation montre qu’une bonne partie de la population est tiraillée par ce sujet, et peut changer d’avis selon les circonstances et l’actualité. Preuve de ces contradictions internes que les Français peinent à résoudre: une majorité, 56%, juge que c’est le devoir de notre pays que d’accueillir des migrants qui fuient la guerre et la misère - un chiffre stable depuis le début de la crise migratoire, preuve que sur le plan des principes, les opinions bougent finalement très peu. 

Ce que l’on peut en conclure, c’est qu'au delà des personnes - par exemple sympathisants FN - pour lesquelles le rejet de l’immigration est un principe idéologique identitaire, il existe un grand nombre de personnes qui sont tiraillées entre leurs principes, et une sorte de « principe de réalité » selon lequel notre pays, avec son chômage massif et ses logements insuffisants ou trop chers par endroits, n’aurait pas les moyens de sa générosité. 

Quelles sont les particularités de l'évolution de la perception des électeurs de gauche sur cette question ? Selon un sondage IFOP pour l'Express publié en janvier dernier, il apparaissait que 51% des électeurs de Jean Luc Mélenchon au 1er tour de l'élection présidentielle considéraient que l'immigration en France s'effectuait à un rythme plus élevé, contre 31% pour les électeurs de Benoît Hamon, ou 47% des électeurs d'Emmanuel Macron. Comment faut-il comprendre cette situation à gauche ? 

L’électorat de gauche est évidemment le plus ouvert sur ces questions - c’est d’ailleurs le cas dans les autres pays européens aussi, qu’il s’agisse de l’Italie, de l’Allemagne, ou de l’Angleterre selon notre étude Ifop. Mais derrière cette ouverture plus grande, il y a les mêmes tiraillements que ceux dont je parlais plus haut. Par exemple, 60% des sympathisants LFI, PS ou EELV souscrivent à l’idée qu’accueillir davantage de migrants créerait un « appel d’air ». Même si ce n’est pas une majorité, une bonne part des sympathisants LFI (43%) ou PS (44%) jugent que « notre pays compte déjà beaucoup^d’étrangers ou de personnes d’origine étrangère, et accueillir des immigrés supplémentaires n’est pas possible ». 

Ce qui distingue les sympathisants de gauche des autres, ce n’est donc pas une moindre conscience de la complexité du problème, c’est simplement qu’ils penchent plus fréquemment vers la fidélité aux valeurs de solidarité et d’humanité, que les autres qui se rangent à ce qu’ils perçoivent comme un principe de réalité s’imposant à eux. 

Sur le plan idéologique, toutefois, il faut rappeler que, si le PS est clairement internationaliste depuis très longtemps, il existe une ambiguïté historique de l’extrême gauche, avec des formations très ouvertes, et des formations qui, comme le PC, plaidaient une fermeture à ce qui était perçu comme une concurrence déloyale, un moyen de baisser les salaires des Français. 

Selon un sondage BVA publié en février dernier 63% des Français estimaient qu'il y a trop d'immigrés en France alors que 52% d'entre eux considéraient que les conditions de vie des migrants sont inacceptables. Au regard de telles données, comment interpréter la loi asile immigration au regard de l'opinion des Français, alors que ce même sondage montrait que seuls 37% des Français avaient une opinion positive de l'action d'Emmanuel Macron et de son gouvernement en matière d'immigration ?  

Les sondages que vous citez soulignent encore une fois les ambiguïtés d’une opinion tiraillée entre « raison » et « émotion », entre valeurs d’accueil et humanisme et contraintes économiques ou insécurité identitaire. Une autre étude réalisée par l’Ifop montrait un contraste frappant entre, d’une part, l’importance que semblent attacher beaucoup de personnes interrogées à ce sujet, et d’autre part, la difficulté qu’ils ont à rendre compte de la situation présente. Si, chez les plus hostiles à l’accueil, il existe des représentations et un récit clair - correspondant peu ou prou à celui développé par le FN depuis des années -, on note que les autres peinent à s’approprier le sujet, et sont pris entre des injonctions contradictoires. 

Dès lors (et en gardant en tête qu’une bonne part de la population a en réalité des opinions fluctuantes sur le sujet), la question que pose la « crise migratoire » aux dirigeants, c’est : comment aider les gens à comprendre ce qu’il se passe? Comment les aider à se saisir de la complexité du problème en sortant des idées reçues et des raccourcis? et surtout, comment démontrer qu’il est possible de gérer le sujet humainement et concrètement. De ce point de vue, beaucoup de responsables politiques se contentent de répéter ce qu’ils entendent dans la bouche des Français, en imaginant qu’ils paraitront ainsi plus « proches des gens » et plus réalistes. Le problème, c’est que si les Français souhaitent un « discours de vérité » qui tienne compte de leur vécu quotidien, ils attendent également de leurs dirigeants des solutions capables de mettre leurs principes et leur conscience en accord avec les contraintes de la réalité...

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