Macron face aux malheurs de la France rurale : et pourtant des solutions existent<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Macron face aux malheurs de la France rurale : et pourtant des solutions existent
©OLIVIER MORIN / AFP

Printemps

Emmanuel Macron se déplace à Saint-Dié dans les Vosges pour donner un discours sur le thème de la ruralité française. L'occasion de regarder ce qui fonctionne dans nos campagnes.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

Voir la bio »
Jacques Lévy

Jacques Lévy

Jacques Lévy est géographe, professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et à l’université de Reims. Il a reçu le prix international Vautrin-Lud 2018, qui est la plus haute distinction en géographie. Il est le co-auteur de Théorie de la justice spatiale, avec Jean-Nicolas Fauchille et Ana Povoas, paru chez Odile Jacob (2018).

Voir la bio »

Atlantico : Emmanuel Macron se déplacera ce 18 avril à Saint Dié, dans les Vosges, pour aborder le thème de la ruralité française. On constate une faible densité de la population rurale en France, notamment par rapport à des pays comme l'Allemagne, quelles sont les solutions possibles permettant de redynamiser les territoires ruraux du pays ?

Jacques Lévy : Ce n'est pas parce qu'il y a une faible densité de population qu'il n'y a pas de dynamique. Au cours des dernières décennies, une part importante des communes qui étaient en voie de dépeuplement, se sont repeuplées grâce à la périurbanisation. Ce que l’on appelle le monde "rural" comprend en fait deux parties assez différentes. Il y a celles qui sont proches des villes,  le périurbain , qui sont en croissance. Et il y a des zones à très faible densité de population, qui se trouvent dans les zones ou il n’y a pas de grandes villes et ou le dépeuplement peut continuer. Mais cela est assez circonscrit sur la carte de la France. Ce sont surtout  des zones qui sont à la fois loin des villes peu touristiques, qui ont une agriculture peu productive et une absence d’industrie. Pour ces zones, la question est donc de savoir ce qui peut être fait. Et il ne s'agit pas forcément de faire augmenter la population. On peut s’intéresser à plusieurs types de développements possibles, en partant du plus léger au plus lourd.

J'avais pu faire scandale il y a quelques années en disant "Oser le désert", notamment en évoquant la question des parcs naturels, dont l'enjeu est de valoriser des zones qui sont intéressantes du point de vue du patrimoine naturel, et leur potentiel est  le sont encore plus élevé lorsqu’il n’y a pas ou peu d’habitants. On considère en tout cas que ces zones sont plus valorisées avec un habitat extrêmement léger. C'est un élément de valorisation du territoire qui est relativement récent, les Etats-Unis ont lancé cette idée au milieu du XIXe siècle et elle  a eu énormément de succès depuis. Il y a donc toute une dimension du développement qui ne passe pas forcément par la présence lourde de l'habitat.

Ensuite, presque tous les endroits de la planète sont candidats au tourisme. C'est peut être le changement le plus important dans le tourisme depuis quelques décennies, en même temps que la forte croissance du phénomène touristique, on observe une croissance rapide du nombre de lieux touristiques. Auparavant, nous avions deux grands types de lieux touristiques; les stations, qui étaient liées à liées à une aménité particulière comme la mer ou la haute montagne, et les grandes villes qui ont attiré depuis toujours la majorité des flux touristiques. Mais maintenant, ce qui apparaît, c'est qu'une multitude de petites villes qui ont une histoire plus ou moins singulière, parfois un peu recréée – c'est impressionnant en Chine de ce point de vue de voir à quel point il est possible de fabriquer du pittoresque - . Mais en Europe, le patrimoine culturel peut encore être valorisé, et n'importe quel village a des bâtiments, des paysages, des traditions, un patrimoine immatériel comme la gastronomie. Cela constitue un potentiel énorme qui permet à toute société locale de produire du développement y compris lorsque elle a une faible densité. Le principe même du tourisme, c’est de chercher l'altérité, c'est l'industrie de l'ailleurs. Et tout lieu présente un intérêt par le fait même qu’il est différent des autres. En France, l'explosion des gîtes ruraux et de l'hébergement dans des régions peu peuplées est impressionnant. Tout espace peut intégrer cette dimension dans un projet de développement.

Un troisième aspect est ce que l'on pourrait appeler la métropolisation partagée, c’est-à-dire le fait que les villes ne sont jamais très loin des campagnes, et que ces territoire, qui sont en termes relatifs, faiblement peuplés  peuvent avoir des avantages. Par exemple le prix du sol. Si on est à une moyenne d’environ 10 000 euros le mètre-carré à Paris intramuros on peut descendre au-dessous de 1000 euros le mètre-carré dans les régions les moins peuplées. Cela veut dire que l'on peut trouver une combinaison permettant d'avoir à la fois les avantages de l'un et de l'autre lieu par le biais des télécommunications et de la mobilité, du mouvement au sens général. Il commence à il y avoir des contrats de solidarité territoriale qui réfléchissent aux manières dont  les uns peuvent servir aux autres, et en profiter. C'est un domaine qui suppose qu’il y ait des entités politiques fortes des deux côtés, ce qui va peut-être être facilité par le renforcement des intercommunalités.

Laurent ChalardLa redynamisation des territoires ruraux français, entendus comme les espaces non métropolisés, que ce soit sur le plan démographique ou commercial, ne peut passer que par leur redynamisation économique. Dans ce cadre, deux grands types de solution existent : le choix de l’économie résidentielle, particulièrement adaptée à des territoires faiblement peuplés, ou le choix du redéveloppement productif, plus difficile à mettre en place, étant donné le processus structurel de métropolisation des activités économiques.

Concernant le premier type, le développement de l'économie résidentielle, qui repose sur l’accueil de résidents permanents (retraités) ou temporaires (résidents secondaires ou touristes), qui viennent dépenser des revenus gagnés dans d’autres territoires, il peut permettre à des territoires en déclin d’inverser la tendance, conduisant à un rebond démographique et à la création de nouveaux emplois pour répondre aux besoins des nouveaux arrivants. Contrairement au schéma traditionnel, c’est l’arrivée de nouveaux habitants qui crée de nouveaux emplois et non le contraire. Ce modèle fonctionne puisqu’il a permis aux départements méridionaux concernés de stabiliser leur population, voire de gagner des habitants, comme cela a été le cas dans des départements à l’héliotropisme certain et/ou offrant une qualité de vie reconnue et des paysages attractifs (parmi d’autres, la Dordogne, le Lot, l’Ardèche, les Alpes-de-Haute-Provence ou encore les Hautes-Alpes). Cependant, ce modèle fait émerger deux principaux problèmes : on ne peut faire de l'économie résidentielle partout (le processus est plus difficile à engager dans des régions moins ensoleillées ou aux paysages peu spectaculaires, même s’il pourrait constituer une bouée de sauvetage pour un département comme les Ardennes aux paysages majestueux) et l’économie résidentielle est très dépendante des niveaux des pensions de retraite et de revenus des français, mais aussi des flux provenant de l’étranger (anglais, allemands, belges et néerlandais essentiellement). Le boom des années 2000 des résidents anglais s’installant dans les campagnes françaises, qui avait, entre autres, contribué au rebond démographique de la région Limousin, ayant désormais pris fin suite à la crise économique britannique et à la dévaluation de la livre sterling (sans parler du Brexit !), en constitue un exemple éclairant.

Concernant le second type, la relance des activités productives, c’est-à-dire de la production de richesses sur le territoire, à l’origine de nombreuses créations d’emploi, comme ce pu être le cas par le passé avec l’industrie, il peut lui aussi conduire à une renaissance des espaces ruraux français. Cependant, ces derniers s’étant spécialisés dans l’agriculture, qui décline partout, puis l’industrie, qui est, à son tour, elle aussi, déclinante, ils subissent une double peine. Jusqu’ici, aucun véritable remède n’a pu être trouvé à la disparition des activités productives de nos campagnes. S’il existe des exemples localisés de redémarrage liés à la réussite d’un entrepreneur local, elles sont trop rares pour en faire un modèle général de (re)développement local. En effet, le principal problème des territoires ruraux français est leur faible densité, qui constitue un frein certain au (re)développement, du fait d’un manque de main d’œuvre, en particulier qualifiée, empêchant l’émergence « d’élites » locales suffisamment nombreuses pour entraîner un redémarrage par une spécialisation dans des activités à plus forte valeur ajoutée. 

Pour l’instant, seule l’économie résidentielle semble en mesure de redynamiser les espaces ruraux français faiblement peuplés, ce qui apparaît limité. Il faudrait donc inventer un nouveau modèle de développement productif pour espérer redynamiser les territoires français.

On constate que certaines zones rurales sont parvenues à conserver un certain dynamisme, comme la Vendée. Quelles sont les leçons à en tirer et quelles sont les causes de ce dynamisme local ?

Jacques Lévy C'est effectivement un aspect supplémentaire des trois premiers points abordés, soit la valorisation du patrimoine naturel, le tourisme, et la métropolisation partagée. Il s'agit ici de construire des projets de développement locaux qui s'appuient sur autre chose que la concentration urbaine mais qui peuvent être constitués par d’autres types de capital spatial, par exemple une identité favorable à la productivité. Et en effet, la Vendée marche très bien, y compris la Vendée intérieure, pas seulement le littoral qui bénéficie d’avantages évidents en matière touristique. Mais cet ensemble, qui comprend également la région de Cholet et des Mauges, possède une tradition d’industrie dans les campagnes qui donne plutôt de bons résultats. Elle permet de maintenir des filières à relativement faible valeur ajoutée, par exemple les industries agro-alimentaires ou dans la  métallurgie légère dont on pourrait penser qu’elles sont les plus menacées par la mondialisation. La Vendée se situe dans une catégorie qui comprend aussi le nord-est de l’Italie et en général le monde alpin, qui pourtant  n’avait pas très favorisé par la première phase de la révolution industrielle et qui a réussi à devenir un pôle de développement remarquable. Les Alpes sont un des seuls cas dans le monde contemporain où les montagnes sont plus riches que les plaines qui  les entourent. Ce que l'on voit, dans ces cas comme en Vendée, c'est une identité locale très forte qui permet de transcender des oppositions socio-économiques ou politiques et de réunir toute la société sur un projet de développement. Cela ne crée pas de miracles mais le cas du Puy du Fou est intéressant puisque c’est aussi maintenant une activité économiquement profitable qui n'a pu exister que parce qu’il y a eu au départ beaucoup de travail bénévole de Vendéens qui voulaient réintégrer dans leur identité contemporaine une dimension mémorielle,  qui restait en partie blessée. L’important est d’avoir, sur cette base, construit un projet en phase avec une demande sociale possible. Si des habitants parviennent à travailler ensemble -et peu importe l’échelle-, s’il y a quelque chose qui les lie et qui leur permet de se projeter dans une réalité nouvelle,  il y a toutes les raisons pour que cela marche. L'erreur serait de croire que les zones à faible densité peuvent faire la même chose que les grandes villes. Toute l'intelligence créative de ces zones-là a été d’innover, non de copier ce qui se fait dans les grandes villes, c’est-à-dire de cultiver une originalité.

Laurent Chalard : Le département de la Vendée, au taux d’urbanisation limité, constitue effectivement un contre-exemple, souvent mis-en-avant, mais il semble plus être une exception confirmant la règle qu’un réel modèle. En effet, la Vendée combine trois éléments expliquant son dynamisme démographique et économique : une économie résidentielle très intense sur le littoral, l’un des plus attractifs du pays ces dernières décennies, la proximité de la métropole nantaise au nord du département, l’une des plus performantes de l’hexagone, qui stimule l’économie locale, et le maintien d’un tissu industriel de PME dynamiques dans la Vendée intérieure, dans le prolongement du Choletais. Ce département bénéficie donc de trois atouts, que n’ont pas les autres territoires ruraux, auquel il convient d’en ajouter un supplémentaire, des densités de population en zone rurale élevées grâce au maintien d’une forte fécondité proche du seuil de renouvellement des générations, ce qui a permis le maintien d’élites entrepreneuriales et d’une main d’œuvre importante employable sur place. Or, dans la majorité des territoires ruraux français, les densités sont insuffisamment élevées pour espérer enclencher des processus de (ré)industrialisation.

Comment expliquer cette faible densité des régions rurales Françaises ? 

Laurent Chalard : La faible densité des régions rurales françaises par rapport à leurs consoeurs d’Europe occidentale s’explique par des raisons historiques. En effet, sous l’Ancien Régime, les territoires ruraux français n’apparaissaient pas spécifiquement sous-peuplés, au contraire, même si les densités maximums demeuraient inférieures à celles constatées en Flandre (Belgique actuelle) ou dans la plaine du Pô (Italie actuelle). En fait, comme pour la population totale, la faible fécondité hexagonale par rapport à nos voisins au 19° siècle et dans la première moitié du 20° siècle, combinée à un exode rural intense se dirigeant essentiellement vers la capitale Paris, a contribué à vider les campagnes françaises de leur population. La question de la désertification n'est donc pas nouvelle, puisqu’elle se posait déjà avec acuité au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, comme nous le rappelle l’ouvrage de Jean-François Gravier, Paris et le désert français. Par exemple, le département de l’Ariège en région Occitanie comptait 270 000 habitants lors de son maximum historique atteint en 1846, mais n’en comptait plus que 135 000 en 1982, soit une chute de moitié !

Aujourd’hui, la France se rapproche du schéma espagnol, une population concentrée dans quelques grands pôles urbains et les littoraux, et une ruralité aux très faibles densités, avec un risque de désertification importante. Cette dernière est déjà largement entamée en Espagne, apparaissant dans certaines régions irréversible, comme en Aragon par exemple. En France, le processus de désertification est un peu moins avancé, grâce à une économie résidentielle qui n’est pas uniquement littorale et une urbanisation moins concentrée, mais  la situation est préoccupante dans une partie du Massif Central et dans la moitié septentrionale de la diagonale du vide. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !