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Pourquoi les Français ne meurent plus des mêmes choses qu’il y a 30 ans
©BERTRAND GUAY / AFP

Plus ça change...

Actuellement, les maladies cardiovasculaires au sens large (infarctus, troubles de rythme ventriculaire, hémorragie, accident artériel cérébral ischémique, embolie pulmonaire) et les cancers sont en tête des causes de décès

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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La publication américaine Five Thirty Eight a pu publier un état de l'évolution des causes de mortalité aux États-Unis, montrant que de plus en plus d'Américains décèdent de diarrhées, de suicides, d'overdoses. Dans le cas de la France, quelles sont les causes de mortalité qui ont pu connaître une tendance croissance au cours de ces dernières années ?

Quand et de quoi voulez-vous mourir et dans quelles circonstances ? Cette question saugrenue et provocatrice préfigure peut-être l'avenir. Il est d'usage en philosophie d'affirmer que la seule vérité irréfragable est que l'homme est mortel et qu'en conséquence de quoi tous les hommes mourront un jour. Pourtant, cette vérité n'est pas rigoureusement scientifique, mais empirique. Rappelons qu'il existe des lignées cellulaires cancéreuses immortelles, comme la lignée HeLa provenant d'un cancer très agressif du col utérin, celui d'Henrietta Lacks morte en 1951. Cette entrée en matière insolite fait allusion aux trois causes montantes actuelles de décès aux États-Unis, citées en exergue, dont deux sont liées à un acte délibéré conduisant plus ou moins directement à la mort.

Qu'en est-il en France ? C'est Abel Omran (États-Unien, professeur d'épidémiologie à l'école de santé publique de l'Université de Caroline du Nord) qui a introduit en 1971 la notion de transition épidémiologique, à propos des causes de décès. Il a ainsi distingué trois grandes périodes historiques : l'âge des grandes épidémies meurtrières et des famines, avec une espérance de vie de l'ordre de 30 ans ; l'âge de la régression des épidémies, avec une espérance de vie passant de 30 à 60 ans ; l'âge des maladies dégénératives (maladie athéromateuse des artères, maladies de Parkinson et d'Alzheimer…), des cancers et des maladies dites de société (diabète de type 2, tabagisme, alcoolisme, maladies allergiques…), avec un net ralentissement de l'augmentation de l'espérance de vie.

Ces dernières décennies ont été marquées par trois grands phénomènes. Le premier a été la pandémie d'infection à virus VIH qui a commencé au début des années 1980. Le second, ce que l'on appelle parfois la "révolution cardiovasculaire". Le troisième, les intoxications invisibles et chroniques liées au sucre, aux pesticides et d'une façon générale à la kyrielle de produits chimiques présents dans notre alimentation et notre air intérieur, sans oublier les rayonnements électromagnétiques. La "révolution cardiovasculaire" est le seul phénomène favorable de cette triade. Elle comporte un volet de prévention primaire et un autre de prévention secondaire. La prévention primaire : lutte contre le tabagisme ; prévention, détection précoce et traitement de l'hypertension artérielle ; détection et traitement des plaques d'athérome ; détection et traitement des troubles du rythme cardiaque ; lutte contre la surcharge pondérale et la sédentarité. La prévention secondaire : prise en charge très précoce des infarctus du myocarde et des accidents artériels cérébraux de type ischémique (par obstruction d'une artère cérébrale) qui font partie des AVC (accidents vasculaires cérébraux).

En France, on dispose de statistiques de décès par cause, classés selon la neuvième révision de la classification internationale des maladies (CIM) de 1 925. Les faits marquants sont présentés ci-après.

Tout avait commencé dans les années 1945-1950 par une baisse générale et importante de la mortalité par les maladies infectieuses. Le rôle des maladies de l'appareil respiratoire, en majorité d'origine infectieuse, était dominant : leur prise en charge efficace avait contribué pour environ 60 % à la hausse de l'espérance de vie moyenne des hommes. Les bénéfices humains dus à la baisse de la mortalité infectieuse et respiratoire avaient surtout été importants dans les années 1950, grâce à la généralisation des traitements antibiotiques. Depuis 1960, la régression moins spectaculaire de ces affections n'avait contribué que plus faiblement aux progrès de l'espérance de vie. La baisse de la mortalité infectieuse avait été particulièrement élevée chez les enfants. Les maladies infantiles avaient énormément régressé en tant que causes de mort : maladies infectieuses respiratoires, digestives, méningées...

L'arrivée du sida au début des années 1980 avait perturbé cette tendance générale à la baisse. Pour certains groupes d'âge, le renversement de tendance avait même été spectaculaire. Ainsi, en France, le taux de mortalité infectieuse des hommes âgés de 15 à 29 ans avait retrouvé en 1992 son niveau de fin des années 1950. Mais pendant ce temps, la mortalité infectieuse avait poursuivi sa baisse chez les sujets plus âgés, de telle sorte que la mortalité d'origine infectieuse ne comptait plus beaucoup dans l'ensemble de la mortalité : représentant en France plus de 30 % de la mortalité totale en 1925, l'ensemble des maladies infectieuses et maladies respiratoires ne représentait à la fin des années 1990 que moins de 10 %.

Une fois jugulées les maladies infectieuses meurtrières dans les années 1960 (antibiotiques, vaccinations, amélioration de l'alimentation, précautions d'hygiène), les progrès de l'espérance de vie avaient piétiné, particulièrement chez les hommes (tabac, alcool, accidents). La progression des cancers, les difficultés à faire baisser les maladies cardiovasculaires et le développement des maladies et accidents "de société" (alcoolisme, tabagisme, toxicomanie, accidents de la circulation, suicides) expliquaient le ralentissement de la hausse de l'espérance de vie.

Puis, dans les années 1980 et 1990, bon nombre de ces maladies dites de société avaient commencé une régression, tandis que la hausse de la mortalité cancéreuse était assez bien maîtrisée et que la mortalité cardiovasculaire accélérait sa diminution. Le gain attribuable au recul des maladies cardiovasculaires a été en progression constante depuis la fin des années 1960, concourant de façon de plus en plus déterminante au progrès général de l'espérance de vie. Cependant, le rôle défavorable joué par les maladies dites de société jusque dans les années 1970 a été conséquent. Et c'est seulement dans la décennie 1980 que la lutte contre ces maladies s'était mise à peser favorablement sur l'espérance de vie.

Si l'on observe l'évolution des décès liés à des maladies ou accidents de société, on voit que les trois causes les plus importantes (cancer du poumon, alcoolisme et accidents de la route) avaient d'abord pris de plus en plus d'importance jusque dans les années 1960, mais avaient ensuite amorcé l'une après l'autre une nette régression : dès le milieu des années 1960 (alcoolisme), surtout depuis 1974 (accidents de la route) et fin des années 1980-début des années 1990 (cancer du poumon, mais après une forte augmentation). Le rôle péjoratif de l'alcoolisme, très important jusque vers 1960, s'était réduit dans la décennie 1960-1970. De telle sorte que la baisse de la mortalité liée à une consommation excessive d'alcool avait dès lors contribué très positivement aux progrès de l'espérance de vie, annulant presque l'effet négatif antérieur pourtant important. Concernant les accidents de la route, ils avaient progressé jusqu'à un maximum dans les années 1960-1970, pour ensuite diminuer très nettement. La réduction de la mortalité par accidents de la route avait été décisive dans les décennies 1980-1990 et 1990-2000.

Quand on présente l'évolution des décès et de leurs causes, il faut bien distinguer le nombre absolu de morts et la part relative de chacune des causes dans l'ensemble. Ainsi, il faut garder à l'esprit que le nombre de décès en France avait beaucoup chuté au cours des dernières décennies, contribuant à une augmentation de la population et à son vieillissement. Aujourd'hui, le nombre de décès augmente à nouveau ; c'est largement dû aux disparitions de personnes très âgées. Actuellement, les maladies cardiovasculaires au sens large (infarctus, troubles de rythme ventriculaire, hémorragie, accident artériel cérébral ischémique, embolie pulmonaire) et les cancers sont en tête des causes de décès. On assiste à une augmentation du nombre de certains cancers (en particulier : lymphomes malins et cancers infantiles). Répétons-le, le rôle des intoxications chroniques peu ou pas visibles est probablement important dans la survenue de nombreuses maladies, certes pas toujours mortelles.

Que révèle de nous cette évolution des causes de mortalité, de notre pyramide des âges ou de notre mode de vie ?

Cette évolution considérable des causes de décès depuis les années 1950 jusqu'à nos jours ne doit pas faire nous perdre de vue l'augmentation croissante et assez impressionnante de notre espérance de vie. La population française augmente régulièrement et vieillit. Les maladies infectieuses ne sont plus aujourd'hui des causes fréquentes ni même importantes de mortalité. Les maladies cardiovasculaires et neurovasculaires peuvent être efficacement prévenues et prises en charge précocement. En revanche - ce dont on parle finalement peu - tous ces progrès ont été permis par une explosion des dépenses de santé de plus en plus difficiles à financer.

Les accidents mortels de tous types ont eux aussi énormément régressé, tant les accidents de la route, les accidents domestiques que les accidents du travail. C'est essentiellement grâce aux lois, aux contraintes normatives et aux réglementations en général, ainsi qu'aux campagnes de prévention.

En fin de compte, on constate que les risques se sont déplacés. Ils étaient microbiens et liés à des intoxications visibles (alcool, tabac) ou à des accidents très mal prévenus et trop peu anticipés. Ils sont devenus chimiques et liés à des intoxications chroniques invisibles (alimentation, eau, air intérieur, rayonnements électromagnétiques) ou discrètes (cannabis, médicaments). On parle aujourd'hui "d'épidémie de diabète de type 2", elle-même liée à une double tendance sociétale plus qu'inquiétante : une hyperconsommation de sucre et une sédentarité maladive avec perte du goût pour l'effort.

Le vieillissement important de notre population crée un véritable fossé entre les populations actives et en bonne santé et les populations de personnes diminuées et dépendantes. Beaucoup de personnes âgées finissent leur vie en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Cet indéniable fossé est accentué par une forte tendance actuelle au jeunisme : c'est un véritable culte de la beauté, de l'allure jeune, de la rapidité, de la performance et de l'adaptabilité. Ce fossé ne tend pas à être comblé, au contraire. Un constat s'impose : les personnes âgées en EHPAD n'ont le plus souvent pas la fin de vie qu'elles étaient en droit d'attendre, eu égard à tout ce qu'elles ont accompli durant leur vie active, tant pour les personnes que pour les organisations, et c'est une litote. Il est à peine exagéré de dire que dans notre société consumériste et éprise de jeunisme, la personne âgée dépendante est un vestige encore vivant qui encombre et qui dérange. Les civilisations que nous considérons comme attardées ont une tout autre considération pour leurs anciens.

Mais, ce qui est tout aussi grave, c'est notre mode de vie qui est devenu véritablement pathogène. Trop de sucre, ration calorique excessive, sédentarité, perte du goût pour l'effort et tendance à la superficialité (il suffit de voir le nombre de personnes qui commentent le titre d'un article sans le lire), individualisme et par-dessus le marché stress quotidien et course permanente. Nous avons longtemps été obsédés par les bactéries ("microbes"), mais aujourd'hui les risques toxiques sont essentiellement d'ordre chimique et médicamenteux. À ce sujet, les séjours exotiques et radicalement dépaysants dans des contrées lointaines et avec des conditions d'existence – parfois de survie - très peu confortables, sont de belles leçons de vie et de civilisation.

Comment peut-on anticiper la suite ? Au regard du vieillissement annoncé de la population et de nos modes de vie actuels, que peut-on imaginer des futures évolutions des causes de mortalité ?

N'en déplaise à certains, la lutte contre les maladies infectieuses a encore bien des progrès à faire et ils sont surtout à attendre du côté des vaccinations (maladies virales surtout, qu'elles soient simplement infectieuses ou de surcroît cancérigènes).

De plus en plus de personnes finiront leur vie en EHPAD, souvent tristement hélas, mais parfois heureusement de façon plus humaine. Car la très grande majorité des couples ont besoin de deux salaires et le maintien d'un sénior à domicile est devenu vraiment un casse-tête, malgré tous les efforts déployés par les nombreux prestataires de services. On nous promet des EHPAD "dorés" : ils ne sont ni dorés, ni pour tout le monde.

Alors que des progrès considérables ont été accomplis en matière de maladies cardiovasculaires et neurovasculaires, il faut dans les années à venir s'attendre à une augmentation du nombre de maladies dites dégénératives au sens large et pouvant conduire à moyen ou long terme au décès. La démence, les maladies dégénératives du système nerveux central ou périphérique, la dégénérescence maculaire liée à l'âge, le déchaussement des dents lié à l'âge, l'insuffisance rénale, l'insuffisance cardiaque ou valvulaire, l'insuffisance respiratoire, l'arthrose diffuse et invalidante, l'incontinence sphinctérienne, la dénutrition et la sarcopénie (fonte des masses musculaires), sont autant de maladies dégénératives liées à l'âge qui affaiblissent considérablement une personne au point de souvent rendre son quotidien pour le moins désagréable et dont la prévention a encore beaucoup de progrès à faire.

Malgré leurs promesses volontiers délirantes, les transhumanistes de génie sont peu crédibles quand ils nous annoncent que tout cela ne sera bientôt que du passé et que l'homme inoxydable et augmenté vivra 500 ans en parfaite forme et avec d'excellentes performances. Le vieillissement cellulaire, tissulaire et corporel est une réalité immuable. Supprimer le vieillissement, n'est-ce pas s'opposer à la vie ? C'est Frédéric Dard (auteur de la célèbre série du commissaire San Antonio) qui disait : "La mort n'est rien, le drame c'est la vieillesse." Et nous voilà retournés à notre question de départ. Un suicide chez une personne jeune est toujours un drame épouvantable ; mais un suicide chez une personne âgée est un signal d'alarme qui nous indique souvent que nous avons perdu le sens de la vie. Or, ces suicides ne sont plus rares aujourd'hui.

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