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Interdire le salafisme, une idée absurde ? La proposition qui place la France face à ses contradictions
©ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Controverse

Le 28 mars dernier, après avoir rendu hommage à Arnaud Beltrame à l'Assemblée nationale, Edouard Philippe s'est montré défavorable à une interdiction du salafisme en France. Néanmoins, la question mérite d'être posée et étudiée, tant elle met l'Etat face à ses contradictions.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Lors de la séance à l’Assemblée nationale du 28 mars dernier, où un vibrant hommage a été rendu au gendarme Arnaud Beltrame, le Premier ministre a fermement écarté toute volonté d’adopter de nouvelles dispositions pour lutter contre les attaques islamistes. En particulier, il a opposé une fin de non-recevoir à ceux qui proposent d’interdire la salafisme : « faut-il interdire le salafisme ? Il y a là une vraie question sur le combat de civilisation, sur la contre-insurrection culturelle que nous devons mener pour faire prévaloir les valeurs républicaines. Je vais vous dire ma conviction. Elle s’appuie sur l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » On ne peut pas, mesdames, messieurs, interdire une idée ».

Cette affirmation selon laquelle il serait impossible d’interdire une idée est pour le moins surprenante. L’ironie de l’histoire veut que, au moment où parle le premier ministre, Stéphane Poussier, un ancien candidat à la députation de la France insoumise, soit condamné pour apologie du terrorisme, comme l’ont été de nombreuses personnes avant lui, et comme le seront certainement de nombreuses personnes après lui. Or, qu’est-ce que l’apologie du terrorisme, sinon une idée ? De même, lorsque la majorité actuelle entend interdire les « fake news », n’affiche-t-on pas une intention de réglementer les idées ? Une fausse information est-elle très différente d’une idée, même s’il s’agit d’une idée fausse ?

D’une manière plus générale, il est surprenant d’entendre le chef du gouvernement prendre la défense de la liberté d’opinion dans un pays où l’on n’a cessé de multiplier les interdictions et les restrictions, par exemple avec l’interdiction des propos négationnistes ou racistes, ou encore avec la lutte contre les incitations à la haine ou aux discriminations. L’argument selon lequel le négationnisme ou les diverses incitations à la haine ne relèvent pas du domaine des idées ne constitue pas un argument très sérieux. Peut-on raisonnablement soutenir que de tels propos ne sont pas constitutifs d’une idéologie pourvoyeuse de sens, proposant une vision du monde ? Soutenir le contraire reviendrait à dire que les idéologies se situent exclusivement du côté de la paix et de l’amour, ce que l’histoire humaine a malheureusement invalidé.

Bref, qu’on le veuille ou non, ces réglementations relèvent d’une volonté de circonscrire le domaine des idées acceptables. Naturellement, chacun peut trouver des justifications à ces différentes réglementations. Il n’en reste pas moins que les précédents existent, ce qui laisse planer un doute sur la sincérité du premier ministre, d’autant que celui-ci a dramatisé les enjeux actuels en parlant d’un « combat de civilisation », d’une « contre-insurrection culturelle ». Or, un tel combat ne mériterait-il pas d’utiliser des moyens au moins comparables à ceux utilisés pour lutter contre le négationnisme ou le racisme, autant de combats qui ne sont d’ailleurs pas forcément incompatibles entre eux ? Le péril que représente l’islamisme ne justifie-t-il pas d’adopter des mesures proportionnées à la menace ?

Pour justifier son refus d’agir, le premier ministre a fait appel à l’article 10 de la DDHC. En s’appuyant sur ce texte, le premier ministre laisse donc entendre que le salafisme se situe sur le terrain de la religion, et de lui seul. Ce faisant, il brouille les pistes : que devient dès lors la distinction, désormais aussi fameuse qu’incontournable, entre l’islam et l’islamisme ? Cette distinction est pourtant supposée limpide : l’islam est une religion, l’islamisme est une idéologie politique, ce qui rend ce dernier aussi dangereux que le communisme ou le fascisme. Le problème n’est donc pas censé être religieux, mais bien politique : il s’agit de lutter contre une minorité fanatique qui instrumentalise la religion à des fins politiques. Malheureusement, la réalité est plus complexe. Où s’arrête l’islam, où commence l’islamisme ? La frontière n’est pas facile à tracer, et c’est bien cela qui rend délicate tout velléité d’interdire le salafisme. On se doute en effet que toute politique prohibitive concernant l’islamisme, quelle que soit la forme juridique qu’elle prendrait, créerait aussitôt un profond embarras : elle risquerait d’officialiser le fait que la différenciation n’est pas nette, que les croyances et les pratiques des uns et des autres se chevauchent en grande partie. Ce qui poserait de façon particulièrement aigüe le problème tant redouté de l’amalgame.

Pourtant, une telle stratégie aurait un immense mérite : elle forcerait à clarifier les choses. En identifiant les frontières de l’acceptable et de l’inacceptable, elle obligerait les musulmans de France à faire des choix explicites. Ils seraient tenus non seulement de procéder à une hiérarchisation entre leur appartenance nationale et leur appartenance religieuse, mais aussi de faire le tri dans leurs dogmes et leurs pratiques afin d’adapter leur religion au contexte d’une société moderne. En somme, cela reviendrait à faire avec les musulmans ce qui a été fait jadis avec les juifs, lorsque Napoléon les a forcés à affirmer leur loyauté nationale et à abandonner certaines pratiques contraires au Code civil. Car l’enjeu n’est pas tant de savoir si le culte musulman a sa place en France : il est surtout de savoir sous quelles formes et à quelles conditions l’islam peut devenir une religion française.

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