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Cette solution au problème Kurde dont les Occidentaux savent pertinemment qu’ils ne souhaitent pas s’en donner
©SAFIN HAMED / AFP

Soutien mais pas trop

Il n’y a pas de "solution" au "problème kurde" mais des actions qui peuvent être entreprises ponctuellement pour tenter d’avancer. Reste qu'elles sont extrêmement complexes car elles engagent les intérêts de multiples intervenants.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Alors qu'Emmanuel Macron recevait une délégation Kurde ce jeudi 29 mars à l'Élysée, plusieurs communiqués ont fait état d'une intervention française en Syrie, ce qui a été par la suite démenti par l'Élysée. Au-delà de la question de cette intervention spécifique, et pour envisager cette question en termes d'objectifs, peut on considérer qu'il existe une solution au problème kurde ? 

Alain Rodier :Comme d’habitude, la simplification et l’émotion sont au rendez-vous du public car c’est de cette manière que les medias mainstream veulent présenter l’affaire. Et cependant, il ne faut pas parler du "problème kurde" mais "des problèmes des Kurdes". Il découle logiquement de cette assertion qu’il n’y a pas de "solution" au "problème kurde" mais des actions qui peuvent être entreprises ponctuellement pour tenter d’avancer. Reste qu'elles sont extrêmement complexes car elles engagent les intérêts de multiples intervenants.

Il faut reconnaître que l’Europe en général, mais surtout la France et la Grande-Bretagne en particulier, ont un sentiment de culpabilité en raison du passé historique et des promesses non tenues vis-à-vis de la création d’un Etat Kurde à la suite de la Première guerre mondiale. Si ce n’est pas vraiment de la repentance, on ressent  de la part des représentants politiques une certaine gêne vis-à-vis des Kurdes ce qui peut expliquer que le discours officiel est différent de celui off-record.C'est ce qui a dû se passer lors de la visite  le 29 mars à Élysée d'une délégation des Forces Démocratiques Syriennes (FDS, coalition construite sous la houlette des Américains mais composée majoritairement de combattants kurdes syriens).

Les Américains n’ont pas d’état d’âme à ce sujet - dans la mesure où ils en aurait jamais eu -. Ils voient l’Histoire à travers le prisme de leur toute puissance. En résumé, ils font ce qu’ils veulent sans se préoccuper de la légalité ou même du bien-fondé de leur politique extérieure tout en jouant aux "moralistes". L’essentiel pour eux est de rester la première puissance mondiale et ce, en utilisant tous les proxies qui peuvent servir leurs desseins. En Syrie, ils avaient besoin de piétaille du champ de bataille car eux, ils ne voulaient s’engager qu’un minimum (en dehors des airs et de quelques centaines de membres des Forces spéciales et de l’artillerie). Les Kurdes ont parfaitement rempli la mission qui leur avait été confiée : chasser Daech de (presque) tout l’Est de l’Euphrate.

Ceux qui se trouvent à l’ouest de ce même fleuve (excepté dans la région de Manbij) - en particulier dans le canton d'Afrin - n’ont pas été concernés par le combat emmené par les Américains. Là, c’étaient les Russes qui étaient à leur côtés, car les officiels de Damas étaient plutôt mal accueillis (les Russes, çà allait). Il faut se rappeler qu’en dehors de quelques incidents locaux survenus dans les agglomérations de Hassakeh et Qamishli à l’Est de l’Euphrate pour le contrôle de certains quartiers par des chefs de guerre locaux, il n’y a pas eu de révolte Kurde contre Bachar el-Assad ! Les Kurdes d'Afrin ont donc été très actifs contre Daech et les autres mouvements rebelles lors de la Bataille d’Alep et des avancées vers le corridor d’Azaz. Ils n’ont été repoussés que depuis l’offensive turque « Bouclier de l’Euphrate » lancée le 24 août 2016. Depuis janvier 2018, ils sont confrontés à la nouvelle offensive turque baptisée "Rameau d'Olivier" qui les a délogé de la ville d'Afrin et de ses environs.

L’objectif des Kurdes est très clair : la création de Kurdistans. Il en existe déjà un en Irak du Nord mais il a été considérablement amoindri par les suites du référendum sur l’indépendance organisé par le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) le 15 septembre 2017, l’armée irakienne ayant repris le contrôle de régions conquises par les peshmergas sur Daech. Il commençait à en avoir un autre au Nord de la Syrie réunissant les cantons d’Hassaké, Kobané et Afrin: le Rojava. Le rêve est là aussi en train de s'évaporer car la Turquie ne le supporte pas (quelque soit son gouvernement, il ne faut pas tout mettre sur la tête du président Recep Tayyip Erdoğan qui, dans ce domaine, est dans la continuité) car le Parti de l’Union Démocratique (PYD) syrien est effectivement très proche du PKK turc, mouvement toujours reconnu comme "terroriste" par une grande partie de la communauté internationale.

La réaction des grandes puissances, que ce soient les Américains, les Européens et même les Russes, s’explique par le fait que la Turquie est incontournable; elle est stratégiquement bien placée, peuplée de plus de 80 millions d’âmes et la deuxième armée de l’OTAN.  

Quelles sont les principales causes de cette situation ? Les divisions entre Kurdes dominent-elles les problématiques découlant du nombre importants d'acteurs sur cette question, et dont les intérêts divergents ? 

Les Kurdes sont très divisés car ceux de Syrie sont plus proches de leurs cousins turcs que des Irakiens (et des Iraniens). Même à l’intérieur de ces entités, ils s’entredéchirent politiquement voire en querelles tribales voire familiales qui sont souvent ancestrales. Il suffit de regarder ce qui se passe depuis des générations entre les clans Talabani et Barzani en Irak du Nord. Même en Syrie, le PYD n’est pas majoritaire mais il est organisé "à la marxiste" et représente la seule force militaire crédible !

Les pays voisins ont toujours joué sur ces divisions pour profiter des Kurdes pour mener leur politique régionale. Les Iraniens ont été particulièrement habiles à ce jeu là, tout dernièrement en sabotant - en liaison avec Bagdad - le référendum organisé par le Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK) de l’intérieur via le clan Talabani qui leur est favorable. Son rival Barzani avait perdu la main car la Turquie qui le soutenait jusque là n’a pu accepter son initiative d’indépendance. C'est viscéral chez les Turcs ! Ankara met d’ailleurs aujourd’hui à profit le désordre qui règne dans la province irakienne du Sinjar dans le Nord-Ouest du pays (plus ou moins placé sous la coupe de milices yézidies, du PKK et du PYD) pour menacer d’y mener une opération militaire d’envergure, peut-être en liaison avec le gouvernement de Bagdad. Il ne faut plus s'étonner de rien au Proche-Orient car la surprise est devenue la règle...

Pour arranger le tout, le PYD (et le PKK) sont en conflit larvé avec le Gouvernement Régional Kurde (GRK) irakien.

Quelles ont été les erreurs commises par les différents acteurs pour en arriver à la situation actuelle ?

Ah les fameuses "failles" avancées par tous les donneurs de leçons confortablement installés derrière leur bureaux ! Les différents responsables ont souvent dû gérer dans l’urgence des situations extrêmement complexes où la passion l’emportait sur la raison. Je ne suis donc pas là pour juger mais pour tenter de comprendre en tant qu’observateur extérieur - et donc aussi confortablement installé et sans responsabilité aucune sur la suite des évènements - le plus objectivement possible et Dieu sait si cela est difficile.

La première erreur a été de croire que le régime de Bachar El-Assad allait s’effondrer en quelques semaines. Tout le monde l’a fait (en dehors de quelques observateurs dont votre serviteur qui écrivait en août 2012 dans la note d’actualité N°279 sur cf2r.org  : "Contrairement à ce que prétend la propagande savamment relayée par les medias occidentaux, malgré les « succès » militaires enregistrés par la « résistance » à Damas, à Alep et aux frontières turque et irakienne, le renversement du régime du président Bachar el-Assad est loin d'être acquis. La guerre civile devrait donc perdurer dans le temps ".

La deuxième, mais heureusement c’est Daech qui l’a faite, c’est de croire que les Kurdes pourraient être vaincus facilement. Le problème, c’est que les Kurdes syriens ont une idéologie (l’apoïsme : un mélange de marxisme léninisme, d’écologie, d’autogestion, très apprécié dans les ZAD françaises) qui peut être contestée mais pour laquelle ils sont aussi prêts à donner leur vie. Le slogan lancé par Daech : "vous aimez la vie comme nous aimons la mort" ne marche plus avec eux. Les djihadistes ont fini par s’y casser les dents surtout que les Américains ont très vite apporté une aide logistique et un appui aérien massif à leurs nouveaux amis kurdes syriens.

La troisième vient des Kurdes eux-mêmes qui ont refusé de voir qu’ils étaient "utilisés" par leurs sponsors et qu’il convenait de se méfier des réactions des pouvoirs locaux situés à Ankara, Téhéran et Bagdad en limitant autant que faire ce peu ce qui pouvait être considéré comme des "provocations". Par exemple, le référendum sur l’indépendance en Irak du Nord et la constitution d’un Rojava s’étendant sur tout le long de la frontière turque.

Les perspectives restent sombres pour les Kurdes. En Syrie, les Américains les soutiennent encore à l'est de l'Euphrate et en Irak, le GRK n'est pas mort mais il n'est plus question d'indépendance. La guerre reprend en Turquie, logique conséquence de l'invasion du Kurdistan Syrien ; le PKK n'allait pas laisser faire sans réagir. Des attentats ne sont pas à exclure dans ce pays mais aussi ailleurs car les activistes kurdes se sentent "trahis".

Il faut rajouter au chaudron moyen-oriental que les rebelles se refont des forces (en dehors de la Ghouta orientale où le régime de Damas maintient la pression) et qu'il ne serait pas étonnant de voir réapparaître des clones de Daech qui frapperaient là où on ne les attend pas, que ce soit en Syrie ou en Irak (sans parler des wilayat extérieures).

On parlait de bourbier, je crois qu'on y est. Les moyens militaires français restant toujours limités, il est difficile d'être présent de manière efficace sur deux fronts : le syro-irakien et le Sahel. Il y a peut-être un échange de bons procédés : Washington demande à la France d'être présente au sein de la "coalition internationale" en Syrie (sans elle, le mot "international" perd un peu de sa valeur, on a connu cela en d'autres lieux, en d'autres temps) ; en échange, les Américains fournissent une aide importante au Sahel. Parsi n'a donc pas vraiment le choix ! 

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