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Universités : comment Macron tente de refaire avec les étudiants ce qu’il a réussi avec les partis politiques à la présidentielle
©SYLVAIN THOMAS / AFP

Machiavel

Les occupations des universités de Montpellier prétendent faire plier le projet de sélection à l'entrée des universités voulues par le gouvernement. Pourtant, il semblerait que les syndicats étudiants ne s'entendent pas sur cette question. Emmanuel Macron saura-t-il profiter de ces divisions ?

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Les occupations des universités de Montpellier prétendent faire plier le projet de sélection à l'entrée des universités voulues par le gouvernement. Pourtant, il semblerait que les syndicats étudiants ne s'entendent pas sur cette question, la FAGE (principal syndicat) ayant par exemple demandé que soient respectés les droits de ceux qui ne demandent ni blocage ni grève. Le macronisme, qui en appelle très souvent à la jeunesse, saura-t-il profiter de cette situation ? Pourrait-il faire à l'Université ce qu'il a fait à la politique en devenant Président et d'une certaine façon aux syndicats : jouer sur les divisions et l'effondrement des vieux systèmes pour l'emporter avec le soutien des majorité silencieuses ?

Vincent Tournier : Il faut admettre qu’Emmanuel Macron et son gouvernement ont été très adroits dans la gestion de ce dossier. La sélection à l’université est un sujet extrêmement sensible, qui peut facilement dégénérer. Mais le gouvernement a fait très attention à la sémantique (le mot sélection a été banni) et il a pris soin d’ajouter des réformes secondaires plutôt consensuelles, notamment sur la sécurité sociale étudiante. Ce faisant, il a rendu plus difficile la tâche des opposants, les forçant même à défendre des positions indéfendables. Par exemple, Clara Jaboulay, la présidente de l’UNL (lycéens), s’est insurgée contre la suppression des bourses pour les étudiants non-assidus, ce qui est très contestablesur le plan éthique (https://www.lci.fr/societe/lyceens-et-etudiants-vent-debout-contre-parcoursup-une-reforme-trop-precipitee-pour-qu-elle-se-passe-bien-2077457.html).

Le paysage syndical a aussi beaucoup évolué. La FAGE, qui a pris l’ascendant sur l’UNEF, s’est rangé du côté de la réforme, essayant de négocier une rallonge budgétaire ; quant à l’UNEF, elle souffre d’un discrédit profond, surtout depuis les révélations des anciennes militantes sur les pratiques de harcèlement sexuel au sein de l’appareil dirigeant. Mais au-delà, les lycéens et les étudiants sont probablement conscients que la situation antérieure des universités n’était plus tenable, notamment dans un contexte d’internationalisation des études. L’enjeu démographique n’est pas négligeable : le nombre d’étudiants ne cessent d’augmenter, et tout le monde a bien compris que l’Etat n’a pas les moyens de suivre sur le plan financier. La contre-réponse des opposants, qui consiste à demander toujours plus de crédits, apparaît peu raisonnable.

Le débat actuel, qui se concentre pratiquement uniquement de l'interruption d'une assemblée par des étudiants (et un professeur) encagoulés, n'occulte-t-elle pas qu'une partie conséquente des étudiants n'est pas opposée à l'idée d'une sélection à l'entrée de l'université ?

Les événements de Montpellier ont retenu l’attention parce que, outre leur caractère peu courant, ils se sont produits dans un contexte de relative atonie sur le plan de la mobilisation sociale, et aussi parce qu’ils ont bénéficié de l’effet d’amplification qu’apportent les images diffusées instantanément. Pour l’instant en tout cas, le mouvement degrèveétudiante est très limité, la contestation est presque marginale. La manifestation du 1er février dernier a été un échec total. Très peu d’étudiants sont descendus dans les rues, au mieux ils étaient quelques centaines dans certaines villes. Les universités qui connaissent des blocages ou des perturbations sont très peu nombreuses. Il s’agit soit d’universités qui connaissent des traditions contestataires (comme à Nantes), soit d’universités qui scolarisent des publics en grande difficulté comme à Toulouse-Le Mirail.Le plus étonnant reste toutefois l’absence totale de mobilisation de la part des lycéens, alors que ceux-ci sont bien plus concernés par la réforme que les étudiants. Il est possible que la préparation du bac bloque les élèves de terminales puisqu’on est à quelques semaines des premières épreuves. Mais une raison plus profonde se trouvesans doute du côté des attentes, et même des angoisses, par rapport à l’avenir. Les jeunes voient bien que le système antérieur devient chaque année plus problématique. L’instauration du tirage au sort décidée par le gouvernement précédent avait quelque chose d’ubuesque, que personne ne peut sérieusement défendre. Et puis les étudiants voient bien qu’il est assez hypocrite de dénoncer la sélection alors que l’enseignement supérieur comprend des filières hautement sélectives (comme les IUT et les classes préparatoires) qui sont les plus demandées.La solution retenue par le gouvernement, qui consiste à instaurer une procédure d’orientation un peu directive, peut être vue comme la solution du moindre mal, une sorte de compromis : pas de sélection, mais pas non plus de liberté totale. Cette réforme a d’ailleurs été validée par le Conseil d’Etat et par le Conseil constitutionnel, qui ont tous les deux jugés qu’elle ne met pas en cause le droit des bacheliers d’accéder à l’enseignement supérieur. Certains universitaires sont très remontés contre cette procédure et ont annoncé qu’ils ne l’appliqueront pas. Il serait toutefois intéressant de savoir si les filières sous tension (c’est-à-dire celles qui avaient trop de candidats par rapport à leurs possibilités d’accueil, qui sont à l’origine de la réforme) vont participer à ce mouvement de résistance passive. Les facs les plus discrètes sont probablement celles qui sont les plus intéressées par le changement. Tel est d’ailleurs le mécanisme qui va probablement s’instaurer à l’avenir : il est possible que, au final, le gouvernement tolère un usage différencié de la nouvelle procédure d’admission, ce qui pourrait satisfaire tout le monde.

N'y a-t-il pas une certaine hypocrisie, par ailleurs, de la part des militants d'extrême-gauche à dénoncer la violence de l'extrême-droite ? 

Il est clair que, au cours des dernières années, ce sont les militants d’extrême-gauche qui ont été les plus actifs, les plus vindicatifs. Ils ont été sur tous les fronts, sur tous les terrains, usant et abusant de l’illégalité, parfois même de la violence. Ils se sont ainsi fait un devoir de ne pas respecter les lois, d’aider les clandestins à passer les frontières, d’occuper des bâtiments publics pour imposer leurs solutions. On les a vus à Notre-Dame-des-Landes contre le projet d’aéroport, à Bure contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires, et dans bien d’autres endroits. La mort dramatique, mais accidentelle, de RémiFraisseà Sivenss’est déroulée dans un contexte d’affrontements intenses, quasiment ritualisés, avec les forces de l’ordre.Certains activistes ne se contentent pas de la provocation et du goût du frisson ; ils veulent vraiment en découdre avec les autorités et les uniformes. La haine du flic est d’autant plus vive que la police a été encensée depuis Charlie Hebdo. On se souvient ainsi de l’attaque par des militants d’extrême-gauche d’une voiture de police en mai 2016, à l’occasion d’une manifestation organisée justement par des syndicats de policiers pour dénoncer la « haine anti-flic ». L’extrême-gauche avait appelé à une contre-manifestation (laquelle avait été interdite) et c’est à cette occasion que des militants s’en étaient pris à une voiture qui passait par hasard. Lors du procès, le président du tribunal a déclaré à l’un d’eux, Antonin Bernanos, un étudiant en sociologie et arrière-petit-fils de l’écrivain George Bernanos : « Vous avez agressé deux personnes parce qu’ils sont policiers, un peu comme d’autres agressent des Noirs parce qu’ils sont Noirs ».Cette phrase du magistrat résumetrès bien le problème : les militants de l’ultra-gauche n’hésitent pas à utiliserles méthodes qui sont censées être celles de leurs pires ennemis. L’affaire du groupe de Tarnac, dont le procès se tient actuellement, a dévoilé la fascination pour l’action violente de toute une frange de la jeunesse éduquée. Ce groupe était lui aussi dans une dynamique de radicalisation, développant toute une théorie de la déstabilisation politique. Mais parce qu’il a visiblement été arrêté trop tôt (si l’on peut dire), la justice a peu de preuves tangibles contre eux.

Bref, alors que l’extrême-gauche se fait un devoir de lutter contre le fascisme, elle en vient à utiliser lesmêmesméthodes que lui, ce qui ne peut que donner des idées à ses adversaires. On imagine en effet que, de l’autre côté de l’échiquier politique, où l’on cultive aussi un goût prononcé pour l’action violente, des jeunes doivent s’interroger : pourquoi pas nous ? Ils peuvent être d’autant plus remontés que les mobilisations de la gauche ont pu donner le sentiment que l’illégalité et la force sont payantes, comme on a pu le voir avec l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Ils peuvent aussi penser que les autorités sont plus compréhensives lorsque la violence vient de la gauche que lorsqu’elle vient de la droite. Par exemple, l’occupation récente de la basilique de Saint-Denis par des militants et des migrants a suscité bien moins de réactions que l’occupation du chantier de la mosquée de Poitiers. C’est dans ce cadre qu’il faut analyser l’intervention violente d’un groupuscule à Montpellier : cette action condamnable découle aussi du fait que les grévistes ont pris la fâcheuse habitude de bloquer les universités sans que cela n’émeuve beaucoup les pouvoirs publics.

Nul ne peut se réjouir de cette situation. Ce qui s’est produit à Montpellier est choquant et mérite évidemment des sanctions. Mais lesgrands principes ne peuvent pas être à sens unique, sinon le risque est d’alimenter les processus de radicalisation.

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