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Rude épidémie en vue ? Les autorités britanniques lancent une alerte contre la 1ere apparition d’un cas de super gonorrhée résistante à tous les traitements connus
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

MST

Les autorités britanniques ont rapporté l'existence d'un cas de "super gonorrhée", attrapée par un homme lors d'une nuit passée avec une femme lors d'un voyage en Asie du Sud-est, et qui serait résistante aux antibiotiques.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Les autorités britanniques ont rapporté l'existence d'un cas de "super gonorrhée", attrapée par un homme lors d'une nuit passée avec une femme lors d'un voyage en Asie du Sud-est, et qui serait résistante aux antibiotiques. Quels sont les risques de voir cette "super-gonorrhée" s'étendre, et toucher la France ? Faut-il voir ce cas comme une menace à prendre au sérieux ?

Stéphane Gayet : Cette souche de gonocoque présente en effet un niveau très élevé et vraiment inquiétant de résistance aux antibiotiques. Les trois infections sexuellement transmissibles (IST) d'origine bactérienne les plus fréquentes sont l'infection génitale à chlamydia (la première), l'infection génitale à gonocoque et la syphilis. L'infection à gonocoque est appelée d'une façon générale gonococcie et, quand elle atteint l'urètre - c'est-à-dire le canal qui élimine l'urine contenue dans la vessie -, l'urétrite gonococcie ou gonorrhée ou encore blennorragie. C'est une infection douloureuse - chez l'homme, alors que la femme est habituellement porteuse non symptomatique - et qui peut être grave.

L'urétrite gonococcique est connue depuis très longtemps. Dans le langage familier, elle était appelée "chaude pisse", expression traduisant les brûlures souvent intenses qui surviennent en urinant.

Depuis l'avènement des antibiotiques au début du XXe siècle et pendant des décennies, le gonocoque (nom de la bactérie) était très sensible à la quasi-totalité des antibiotiques. À telle enseigne que dans les pays gros consommateurs d'antibiotiques comme la France, la gonococcie avait nettement régressé, ce qui peut s'expliquer par une forte réduction du portage féminin. Cette régression s'était encore accentuée avec l'arrivée du sida, donc au début des années 1980, car le préservatif et d'autres mesures d'hygiène sexuelle connaissaient de ce fait un regain d'intérêt. La peur du virus VIH a bien fonctionné jusqu'au milieu des années 1990, date à laquelle (1996) la trithérapie antirétrovirale est devenue le traitement de référence de l'infection par le VIH. Dès lors, la hantise du sida en tant que maladie mortelle n'existait plus, la trithérapie étant désormais capable de bloquer l'évolution de l'infection. On a vu alors se développer une grande libéralisation des comportements sexuels : la tendance au vagabondage sexuel (multiplicité des partenaires), l'effet de mode amplifié par l'internet de la sexualité par tous les orifices possibles, les soirées où les expériences sexuelles insolites étaient favorisées par l'alcool et le cannabis, ainsi que le tourisme sexuel, notamment en Asie du Sud-Est. La sexualité des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) s'est également largement libéralisée, perdant peu à peu son caractère tabou longtemps maintenu jusque-là.

Il est frappant de constater que l'augmentation presque mondiale de l'incidence (nombre de nouveaux cas par an) de la gonococcie a commencé dès 1997 (Amérique du Nord) et 1998 (Europe), donc presque aussitôt après l'instauration de la trithérapie anti VIH. En France, la syphilis a suivi en 2000 et l'infection génitale à chlamydia en 2003. Il faut insister sur le fait que ces augmentations des IST ont été en grande partie dues aux cas enregistrés parmi les communautés d'HSH, chez lesquelles la sexualité multi partenaires est fréquente ; de plus, il faut savoir que la sodomie est une pratique à haut risque, étant donné que les muqueuses rectale et anale sont particulièrement vulnérables aux agents infectieux des IST contre lesquelles elles ne sont pas naturellement armées.

De ce fait, l'augmentation de la résistance de ces agents infectieux aux antibiotiques ne s'est pas fait attendre. Elle est particulièrement inquiétante pour le gonocoque, à tel point que des réseaux de surveillance spécifiques se sont mis en place (dont le plus connu est RENAGO : réseau de l'observance de la résistance du gonocoque aux antibiotiques). En 2014, on constatait que plus de 40 % des souches de gonocoque étaient résistantes à la ciprofloxacine (nom commercial princeps : CIFLOX), alors qu'il s'agit d'une quinolone systémique majeure ; parallèlement, plus de 55 % des souches étaient résistantes à la tétracycline (chef de file de la famille des cyclines), alors qu'il s'agissait de l'un des antibiotiques les plus utilisés. On a donc dû modifier les recommandations de traitement présomptif de la gonococcie (avant isolement et antibiogramme de la souche), pour préconiser l'usage systématique en première intention de la ceftriaxone (nom commercial princeps : ROCEPHINE), qui est une céphalosporine injectable par voie intramusculaire et de 3e génération, donc majeure. Depuis lors, la sensibilité du gonocoque aux céphalosporines n'a fait que diminuer. Les dernières recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommandent l'association de ceftriaxone et d'azithromycine (nom commercial princeps : ZITHROMAX), antibiotique majeur de la famille des macrolides.

Le cas cité en référence est donc celui d'un homme anglais qui, après un rapport sexuel avec une femme dans un pays d'Asie du Sud-Est, a contracté une infection à gonocoque dont la souche est hautement résistante aux antibiotiques (BHR) : cette souche résiste à la fois à la ceftriaxone et à l'azithromycine, ce qui est exceptionnel et extrêmement inquiétant. C'est le premier cas décrit dans le monde. Il s'agit d'une menace tout à fait concrète pour la France, pays dont la politique de maîtrise de la résistance des bactéries aux antibiotiques, en place depuis une quinzaine d'années, peine à porter ses fruits. Il faut rappeler que la France est l'un des tout premiers pays sur le plan de la consommation d'antibiotiques rapportée au nombre d'habitants. Il est plus que probable que ce cas qui vient d'être décrit et publié ne soit pas unique. Ce qui se produit au Royaume-Uni peut parfaitement se produire aussi en France.

Quels sont les symptômes de cette maladie, et quelles peuvent en être les conséquences pour les personnes atteintes, en considérant l'inefficacité des antibiotiques ?

Le gonocoque - ce qui signifie "bactérie génitale de forme ronde (coque)" - est donc responsable de la gonorrhée. Ce microorganisme est strictement humain. Son réservoir principal est constitué des voies génitales basses de la femme, laquelle est fréquemment porteuse asymptomatique (aucun signe n’est perceptible). Tandis que l’homme - plus sensible au pouvoir pathogène de ce germe - développe facilement une infection aiguë symptomatique (avec des signes, essentiellement une urétrite gonococcique, appelée aussi gonorrhée ou blennorragie, car elle se caractérise par un écoulement de pus ou de mucosités épaisses à l’extrémité de la verge, c’est-à-dire au niveau du méat urétral). L’urètre est ainsi inflammatoire et les mictions (actions d’uriner) sont souvent fort douloureuses et donc redoutées (d’où l’expression triviale "chaude pisse"). Le gonocoque est transmis lors d’un rapport sexuel (infection sexuellement transmissible ou IST).

Chez l'homme, le risque de contamination suivie d’infection après un rapport sexuel avec une partenaire infectée est de 35 % en moyenne. La maladie apparaît brutalement 2 à 5 jours plus tard et se traduit le plus souvent par une urétrite aiguë avec écoulement purulent et brûlures vives à la miction. Dans moins de 5 % des cas, l'infection urétrale est paucisymptomatique (peu de signes) ou même asymptomatique (aucun signe). Si elle se prolonge, l'infection urétrale entraîne localement une réaction fibreuse qui peut conduire au rétrécissement de l’urètre, source de complications sérieuses. L'infection peut s'étendre aux glandes qui se trouvent le long de l’urètre, à la prostate, aux vésicules séminales et à l'épididyme (qui est accolé au testicule). Des bactériémies (passages de gonocoques dans le sang) peuvent même se produire, entraîner la dissémination du germe dans l'organisme et ainsi être responsables de lésions cutanées (papules hémorragiques, pustules), d'arthrites ou de périarthrites (genou, cheville, poignet). Les infections disséminées surviennent le plus souvent après une infection génitale asymptomatique et de ce fait non traitée.

Chez la femme, le risque de contamination suivie d’infection après un rapport sexuel avec un partenaire infecté est de 75 à 90 %. Mais l'infection est le plus souvent peu ou pas symptomatique. Elle peut se traduire par une urétrite, une cervicite, une bartholinite, et peut donner lieu à un écoulement purulent. L'infection peut s'étendre et provoquer une salpingite (avec risque de rétrécissement secondaire et de stérilité) et même une pelvipéritonite (processus inflammatoire subaigu ou chronique du bas ventre). Il n'est pas rare que ces complications locorégionales soient les premières manifestations de l'infection à gonocoque chez la femme, étant donné ce que nous avons vu. Les bactériémies et les localisations à distance sont similaires à celles qui s'observent chez l'homme.

Dans les deux sexes, peut également survenir une inflammation douloureuse de l’anus (anite) et du rectum (rectite) après un rapport sexuel anal, ainsi qu’une pharyngite après un rapport sexuel buccal. Ces modes de sexualité contribuent bien sûr à la transmission de la bactérie.

Chez le nouveau-né, l'ophtalmie purulente est acquise au moment de la traversée de la filière génitale lorsque la mère est infectée et non traitée. Elle peut conduire à la cécité. L’instillation dans les yeux des nouveau-nés d’un collyre antiseptique ou antibiotique est une mesure de prévention de cette ophtalmie purulente.

Il est évident qu'avec une diminution de la sensibilité des souches de gonocoque aux antibiotiques, les formes compliquées et prolongées vont devenir de plus en plus fréquentes.

D'autres traitements pourraient-ils être efficaces contre cette maladie ?

D'une part, tant que l'on n'a pas affaire à une souche de gonocoque dite totalement résistante ou toto résistante (BTR), il reste toujours deux ou trois antibiotiques efficaces. Mais ce sont des antibiotiques soit très coûteux, soit assez toxiques et leur efficacité n'est pas toujours optimale.

D'autre part, il existe, à côté des antibiotiques, des médicaments classiquement appelés des antiseptiques urinaires (terme en réalité impropre) et qui peuvent se révéler utiles pour atténuer l'infection, sans permettre toutefois de la guérir.

Il n'y a pas actuellement de vaccin contre le gonocoque et sa mise au point n'est vraiment pas une priorité, loin de là.

L'urétrite est une infection des voies urinaires et il est toujours utile de boire abondamment, afin d'assurer un lavage de l'urètre et donc une élimination soutenue des bactéries et de leurs toxines. L'acidification des urines par de la vitamine C ou d'autres acidifiants urinaires est un autre moyen de lutter contre une infection bactérienne de l'urètre.

C'est lorsque l'on est en présence d'une infection liée à une souche très résistante aux antibiotiques que la phytothérapie et ses centaines ou plus de produits peuvent susciter de l'espoir, cela d'autant plus que toutes les substances éliminées par voie urinaire vont se retrouver dans l'urètre. Bien sûr, on pense également à la phagothérapie (utilisation de virus phagiques qui tuent les bactéries) et l'idée d'un vaccin peut bien sûr également être avancée.

Mais il va sans dire que l'essentiel du traitement en pareil cas est préventif : il s'agit de l'utilisation du préservatif, d'une miction abondante et d'un lavage à l'eau et au savon de la muqueuse génitale après coït, que l'on peut éventuellement compléter d'une antisepsie avec un médicament antiseptique bien adapté aux muqueuses.

Pour conclure, il faut garder à l'esprit le fait que cette apparition d'un haut niveau de résistance du gonocoque aux antibiotiques est vraiment très préoccupante, eu égard à la facilité de transmission de cette bactérie, à la banalisation de la sexualité multi partenaires, à la fréquence de la gonococcie et au fait que cette maladie peut se montrer réellement grave avec de très sérieuses complications.

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