Terrorisme : pourquoi l’unité nationale en hommage aux victimes ne doit pas nous faire oublier le séparatisme de ceux qui haïssent la France bien au-delà de la mouvance djihadiste<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Terrorisme : pourquoi l’unité nationale en hommage aux victimes ne doit pas nous faire oublier le séparatisme de ceux qui haïssent la France bien au-delà de la mouvance djihadiste
©Eric CABANIS / AFP

Une de une

L’héroïsme du lieutenant-colonel Bertrame ne nous a malheureusement pas délivré de la menace terroriste et nous devons à sa mémoire le fait de ne pas nous aveugler sur les racines d’un mal toujours bien vivant

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

Voir la bio »

Atlantico : Suite à l'attaque terroriste de Trèbes de ce 23 mars dernier, la réaction médiatique du gouvernement et des médias​, s'est principalement tournée vers l’héroïsme du gendarme Arnaud Beltrame​. Cependant, derrière cet optimisme suscité par la courageuse intervention d'Arnaud Beltrame, est-on capable de regarder la réalité de la situation en Face ? Des agressions de journalistes dans la cité habitée par Radouane Lakdim, à l'existence d'une "zone grise" entre salafisme et rejet de la société française, en quoi la réalité de la situation peut-elle empêcher de tomber dans toute forme d'optimisme ?

Naëm Bestandji : Concernant les intégristes musulmans, il n'y a pas besoin d'être salafiste pour être dans le rejet de la société. Par leurs attitudes, leurs tenues vestimentaires et leur absence de stratégie politique qui les rendent trop francs, le rejet de la société par les salafistes est la plus visible. Il y a d'un autre côté chez les islamistes ceux qui sont "plus acceptables"' qui n'ont pas de tenue particulière, qui ont un discours pseudo-tolérant puisqu'ils se servent de tout ce qui nous fait sens. A l'inverse, les salafistes sont dans le rejet total, ils détestent la laïcité et ils le disent, ils sont dans le séparatisme et ils l'assument. Les Frères musulmans sont dans une autre démarche, ils disent "nous sommes français" MAIS. C’est-à-dire nous sommes français mais nous rejetons votre laïcité, votre mode de vie, etc… Pour moi, le plus grand danger est là. Je dis souvent que les salafistes, dont les djihadistes sont une des formes, ne gagneront jamais parce que tout le monde s'oppose à eux, tant leurs intentions sont flagrantes et leur désir d'atteindre leurs objectifs est trop pressé. En revanche, il y a beaucoup plus de relativisme envers les Frères musulmans. Je pense à l'UOIF, au CCIF et à ses prédicateurs tels que Tariq Ramadan. Pour moi, le plus grand danger pour le pays est là. On voit l'unanimité dans la condamnation des attentats. Personne ne soutient de près ou de loin les islamistes djihadistes. Par contre, les islamistes politiques, eux, sont soutenus. Si Edwy Plenel et d'autres ne soutiennent pas la vitrine djihadiste, ils soutiennent contre vents et marées la vitrine politique de l'islamisme.

Le séparatisme qui peut exister est bien sûrrendu visible par le salafisme dans certains quartiers en banlieue parisienne et ailleurs. Mais ce séparatisme se fait aussi au travers des discours des Frères musulmans.

​​Quels sont ces signes révélant une volonté de voiler la réalité de cette situation tension ? Entre la pudeur de ceux qui ne veulent pas "mettre de l'huile sur le feu" ou le fait de qualifier l'acte d'égorgement par un coup de couteau à la gorge", comment le traitement de ces faits tend à neutraliser cette réalité du terrain ? En quoi d'autres faits, comme le meurtre de Sarah Halimi, ou le décès de l'octogénaire Murielle Knoll à Paris, après que celle-ci ait pu déclarer se sentir menacée par un voisin, tendent-ils également à révéler une forme de volonté globale de ne pas décrire cette vérité du terrain" ?

Naëm Bestandji : A l'heure où je vous parle, nous savons que Murielle Knoll a été victime d'un crime antisémite, mais nous ignorons quel est le profil de l'assassin.

Mais vous avez raison. Il y a soit un excès de précaution pour ne pas nommer les choses, soit un excès de terme qui tend à tout mélanger et confondre l'ensemble des musulmans avec les islamistes. Paradoxalement, ces confusions viennent aussi, et peut-être même surtout, de ceux qui crient constamment à "l'islamophobie".

Mais il faut dire les choses. Si tous les musulmans ne sont pas antisémites, une partie des antisémites en France aujourd'hui sont musulmans. Cela fait partie de l'ADN idéologique de l'islamisme. Cet antisémitisme, à travers notamment l'importation du conflit israélo-palestinien en France par les intégristes, s'est répandu chez une part des musulmans.

Concernantle traitement journalistique du salafisme, je trouve qu'il est assez juste. Encore une fois, les salafistes sont identifiables tant ils peuvent être caricaturaux. Le traitement concernant les Frères Musulmans est là encore différent. Il y a un clivage dans la presse où une partie les soutiens en estimant qu'ils sont de simples musulmans victimes de tous les mots de la terre. La stratégie victimaire, par ce que j'appelle la rhétorique d'inversion, fonctionne bien sur une partie des journalistes comme sur une partie de la société de façon plus générale.

Le problème se situe surtout au niveau politique. En refusant de nommer les choses et de prendre le problème à bras le corps, tous les partis politiques ont, non seulement laissé le champ libre au développement du salafisme, mais aussi le champ libre à l'extrême droite. Le Front National s'empare dès qu'il peut de ce thème laissait vacant. Son intérêt est de lutter contre l'islamisme pour y confondre l'ensemble des musulmans, et la question de l'immigration, et réaffirmer la primauté d'une France chrétienne. Ce qui sert aussi les intérêts des islamistes, surtout des Frères Musulmans. Cela leur permet d'assimiler leurs adversaires laïques et républicains au FN, à travers "l'islamophobie", et tenter d'empêcher toute critique de l'intégrisme musulman.

L'argument des "relativistes" est toujours le même : "pas d'amalgame". Or, c'est en se taisant qu'on laisse libre cours à tous les amalgames. Il faut nommer les choses avec les termes les plus précis et appropriés. Il ne faut plus hésiter à le faire. Un djihadiste tue au nom de sa religion, l'islam. Peu importe qu'il ait un passé de délinquant ou qu'il ait eu une enfance difficile. On n'a jamais entendu un terroriste hurler "A bas le RSA je veux du boulot !" mais "Allah akbar !" Il ne faut pas ignorer leur histoire et leur contexte de vie sociale, économique et urbain car cela fait partie de l'explication. Mais il ne faut pas non plus oublier que leur première motivation est la défense d'un islam fantasmé. N'oublions pas aussi qu'un certain nombre de radicalisés parti au "Califat" de DAESH sont des convertis qui n'ont jamais vécu dans un quartier populaire. On ne peut donc pas ignorer que l'islam est concerné. Cela ne veut pas dire que chaque musulman est responsable ou complice de ce qui se passe. L'islam est une religion. L'islamisme ne l'est pas.

​Comment le gouvernement et la société française peuvent-ils affronter cette réalité ? De l'interdiction du salafisme proposé par Manuel Valls au souhait de Laurent Wauquiez de rétablir l'État d'urgence, ou d'autres propositions, quelles sont les pistes à suivre permettant d'adresser une réponse adéquate à la réalité de la menace, du terrorisme à la volonté "séparatiste" exprimée par ceux qui rejettent la société française ? ​

Naëm Bestandji : Ces déclarations relèvent de la stratégie politique. L'attentat de Nice n'a pas été évité malgré l'État d'urgence et le bilan était beaucoup plus lourd. On ne pourra pas, de cette façon, empêcher tous les attentats. Pour l'attentat qui a été commis ce vendredi, combien ont été déjoué au cours de ces derniers mois ? Je ne défends pas le gouvernement, loin de là, mais les solutions sont multiples et complexes.

On ne peut pas interdire une idée de circuler. De plus, avant de penser à interdire le salafisme, il faudrait déjà changer certaines pratiques et approches. Il arrive parfois que de élus locaux travaillent avec les islamistes par clientélisme électorale et/ou facilité. Au niveau national également les politiques peuvent être complaisants avec les Frères Musulmans. Nous l'avons vu quand Nicolas Sarkozy avait créé le CFCM en y accordant une place importante à l'UOIF. Le Mouvement En Marche n'a pas hésité non plus à être complaisant à l'égard des Frères musulmans à certains moments alors qu'évidemment personne ne va s'allier avec les salafistes.

Dans la façon de traiter le problème du terrorisme, il devrait y avoir une approche globale alors que tout se fait au coup par coup au gré des événements. Il y a des lois anti-terroristes. Mais avant de passer à l'action terroriste, un individu vit une période de radicalisation plus ou moins longue. Bien sûr il y a la radicalisation expresse par Internet et l'État essaie de trouver des solutions pour ce problème spécifique. On ferme aussi parfois des mosquées repérées comme salafistes. Mais il y a surtout une idéologie diffusée en France, depuis maintenant plus de 30 ans, à travers des prêches, des conférences, des livres, des associations "culturelles" qui sont en réalité cultuelle, des écoles privées plus ou moins reconnues, etc. Et peu a été fait pour s'attaquer à ça. Les solutions sont complexes, cela demande de l'argent, une véritable ambition politique et une vision sur le long terme. Il ne peut y avoir que de la répression, il y a aussi beaucoup de prévention à faire. Dans les écoles, dans les quartiers populaires etc…Le problème est qu'il y a une déconnexion qui existe entre une partie de la population qui vit dans ces quartiers populaires et le reste du pays. Cette déconnexion, les islamistes, dont les salafistes, s'en sont vraiment servis. Ils s'en servent encore aujourd'hui, en disant "Tu es victime de discriminations, ils disent que tu n'es pas français, c'est normal, tu ne seras jamais français, tu es musulman d'abord, alors viens, je vais t'expliquer ce que c'est que l'Islam". La plupart des personnes sensibles à cette doctrine-là, que ce soit les Frères musulmans ou les salafistes, ne vont pas basculer dans quelque chose de violent mais il suffit que 5% ou 1% de ces personnes basculent et on voit ce qu'il se passe.

Il y a beaucoup de citoyens qui ne se reconnaissent pas comme Français, c'est un vrai problème. Et ça, je le vois. Autant les personnes plus âgées que moi (j'ai 46 ans) sont peu touchées, autant les personnesissues de parents, voire de grands-parents, immigrés nées dans les années 80 se sentent moins français. Et plus on avance dans les années de naissance moins ils se sentent français. Auparavant, beaucoup se définissaient comme Algériens, Marocains, ou Tunisiens avant de se dire Français. Alors qu'ils n'ont jamais mis, ou peu, les pieds dans ces pays. Aujourd'hui c'est "je me définis comme musulman." C'est tout le travail des intégristes qui ont transformé une religion en un sentiment d'appartenance à un peuple. A travers cela, il y a ce discours victimaire des islamistes, qui dit que tout le monde est raciste et que personne n'aime les musulmans. Ils entendent le discours du Front national, ils pensent que c'est un discours global, et les islamistes surfent là-dessus. Ils leur laissent penser que la critique des islamistes est équivalente à la critique des musulmans. Par ce type de discours, certains iront plus loin et basculeront dans l'irréparable. Il n'y a pas de vérité absolue car il y a aussi des convertis. Des "blancs", comme le disent les racialistes, et qui vivent dans des territoires plus résidentiels. Voilà pourquoi les solutions ne peuvent pas être simples, il n'y a pas une solution miracle. Mais tous ont un point commun : la France ne les fait pas rêver. La notion de communauté nationale ne leur parle pas. Ils s'orientent alors vers une communauté qui les valorise et à laquelle ils se sentent appartenir. C'est pour cela que, pour moi, la première des choses est de leur (re)donner l'envie d'aimer leur pays. Cela passe encore et toujours par la lutte contre le racisme, le désenclavement territorial des quartiers populaires, une meilleure gestion des milliards qui ont été injecté dans la politique de la ville, etc.Parce qu'une partie des habitants se sent exclue géographiquement. Elle vit dans des quartiers où règne un fort taux de chômage, où elle voit des "barbus" et le "halal" partout, et ou l'extérieur est un monde quasi étranger.

Rétablir le service militaire permet aussi de mélanger tous les citoyens quelles que soient leurs origines et conditions tout en suscitant l'élan patriotique.

Il faudrait également supprimer les investissements financiers du Golfe concernant le cultuel. Laformation d'imams français fait aussi parti des solutions car ils sont mieux placés pour comprendre la laïcité, notre pays et notre culture, pour des prêches qui ne seront pas en contradiction avec la République. Avoir aussi des théologiens français est indispensable, car tous sont issus de pays musulmans.

Il faudrait également augmenter le nombre d’aumôniers musulmans dans les prisons, leur nombre est dérisoire, et revoir leur formation et leur statut. Cela contribuerait aux autres solutions mises en place pour stopper la radicalisation en milieu carcéral.

Il faut rétablir la police de proximité, et peu importe le nom qu'on lui donne, pour qu'un contact soit renoué avec la population. C'est fondamental parce que la police représente aussi l'État mais aussi parce qu'il s'agit d'une source de renseignement assez importante. Il faut également remettre les parents au centre du dispositif, parce qu'il y a toujours un traitement extérieur : la police, la Justice, mais on ne pense pas aux parents. L'école a aussi son rôle à jouer. Nous en avons pris conscience en 2015 mais cela n'est pas encore suffisant. Je pense aussi aux travailleurs de terrain, les travailleurs sociaux qui doivent être plus nombreux et leurs actions mieux soutenues dans les quartiers. Il faut également relier les quartiers populaires avec les centres urbains. C'est pour cela qu'il faudrait des États généraux, en réunissant au même niveau le ministère de l'intérieur, de l'éducation nationale, des affaires sociales, la jeunesse et les sports etc… Il faut qu'ils travaillent tous ensemble pour avoir vraiment une action globale.

Mais, d'après moi, rien ne pourra être résolu s'il n'y a pas une réforme de l'islam. On pourra faire tout ce qu'on voudra, sans réforme de l'islam rien ne fonctionnera. Les organisations musulmanes et les musulmans doivent reconnaitre la liberté de conscience. Ils l’invoquent pour le libre exercice de leur culte et souvent pour la liberté des islamistes d’exprimer leur radicalité. Mais ils ne l’acceptent pas lorsqu’il s’agit de l’apostasie. Quand un musulman souhaite se convertir à une autre religion ou, pire encore à leurs yeux, déclarer son athéisme, c’est vécu comme une catastrophe, une trahison. La pression est énorme, les menaces souvent proférées. Comment alors reconnaitre pleinement une religion si celle-ci ne reconnait pas pleinement la liberté de conscience pour tous et en premier lieu pour les musulmans devenant athées ?

Au-delà de ça, l'islam doit se réformer en profondeur vers une spiritualité personnelle et non plus une vision politico-religieuse globalisante. La France du 21ème siècle n'est pas la Péninsule Arabique du 7ème siècle. Les musulmans progressistes doivent être soutenus. Or pour l'instant ce sont les radicaux qui le sont. Nous le voyons avec le CCIF par exemple ou les composantes du CFCM.

Les solutions ne sont pas simples et uniques. Il faudra bien une génération pour que des résultats se fassent sentir. A condition de commencer aujourd'hui avec une volonté politique forte, globale, et sur le long terme.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !