Pourquoi nous avons si souvent l’impression - sincère - que notre vie est plus difficile que celle des autres<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Pourquoi nous avons si souvent l’impression - sincère - que notre vie est plus difficile que celle des autres
©Reuters

Caliméro

Dans notre parcours et face aux épreuves que l'existence nous réserve, nous avons une tendance naturelle à nous "victimiser".

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

Voir la bio »

Atlantico : Dans une étude datant de 2016, les professeurs de psychologie Shai Davidai et Thomas Gilovich ont pu mettre en évidence un biais psychologique humain tendant à surconsidérer les aspects négatifs de nos vies par rapport aux points positifs. Comment décrire les conséquences de cette théorie de l’asymétrie entre vent de face et vent contraire sur nos comportements ? 

Pascal Neveu : Dans l'introduction à leur étude, publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology, les auteurs invoquent l'image d'un coureur de fond ou d'un cycliste. Lorsque les coureurs ont un obstacle à surmonter, un vent de face latéral, leurs esprits sont naturellement plus enclins à y prêter attention. Les forces qui travaillent en leur faveur, les vents arrière qu'ils ont vécus plus tôt, sont plus facilement oubliés ou minimisés, parce que tout cela a été fait pour faciliter la course.

Il est vrai que dans notre parcours de vie et face aux épreuves que la vie nous réserve, nous avons une tendance naturelle à nous « victimiser »… « C’est la faute à… ». Car il faut repenser l’essence même de notre existence.

Lacan écrivait « Je suis pensé, nommé et dit avant que d’être », autrement dit, tant que le nourrisson aux alentours des 7-11 mois, n’aura pas pris conscience de son propre Moi (et sur lequel il devra travailler toute sa vie, afin d’advenir comme l’écrivait Freud) il est assujetti à l’autre.

Le fameux poème de Rimbaud « Je est un Autre » reflète notre paradoxe psychique. Nous avons tendance à projeter sur l’autre notre propre être, notre propre difficulté à exister, à être, à parvenir, à réussir.

Autrement dit nous sommes enclins à penser notre vie dans le lien avec cet autre qui peut être le meilleur comme le pire allié. Le tout étant conjugué dans une société de comparaison, de compétition, de concurrence, de concours… dans une société qui pousse et force les objectifs mais ne valorise pas et ne reconnaît pas les qualités… nous allons avoir tendance à toujours voir la partie vide du verre que celle remplie, et donc projeter sur l’autre nos « échecs ».

Il ne faut pas oublier non plus que nous avons une grande tendance à nous mentir à nous-même… car souvent la réalité est difficile à accepter. Le mensonge envers nous-même a une utilité. Celle de nous protéger narcissiquement en reprochant à autrui ce qui est de notre propre responsabilité.

A nouveau il s’agit de penser notre vie, de panser ce négatif en tentant porter un regard juste sur nous. Si nous partons du principe que le regard que nous nous portons dans le miroir est tronqué, nos proches sont à même de nous accompagner de la manière la plus juste possible, s’ils jouent la carte de la neutralité et de la subjectivité. On pourra certainement mettre à part le regard très souvent compassionnel des parents pour leur enfant chéri, lui trouvant toutes les excuses possibles. Il faut bien évidemment rester lucide et ne pas oublier qu’il existe bel et bien des marchés truqués, des préférences suggestives qui feront que nous sommes perdants dans certaines situations.

Pour autant, à quel moment sommes-nous capables de mesurer les efforts accomplis, même nous ne pensons, émotionnellement qu’à l’échec d’une situation ou de notre vie ? « L’essentiel est de participer » disait le Baron Pierre de Coubertin… et on peut penser à tous ces sportifs qui dernièrement ont pu se rassurer en trouvant réponse à leur disqualification ou leur frustration à ne pas obtenir une médaille d’or. 

En ce sens, c’est un mécanisme qui consiste à se rassurer en se disant « je vaux tout de même quelque chose », « je mérite mieux »… mais… c’est aussi la faute à l’autre ou à une circonstance. Nous sommes à deux pas de la pensée maudite, des grigris…

En quoi un tel biais peut-il s'appliquer à des groupes, des communautés, voir des groupes politiques ? 

Parce que nous avons tendance à reproduire les schémas constructeurs de notre enfance, les premiers bains relationnels liés à la systémique familiale risquent de s’appliquer dans le tout premier bain social qu’est l’école… les groupes d’amis, d’étudiants, les affirmations « communautaires » associatives, politiques, professionnelles.

Comment expliquer qu’un enfant bouc émissaire le reste par la suite dans son entreprise ? Il ne faut pas oublier que déjà enfant nous devons répondre à l’Idéal du Moi… devenir celle ou celui que je pense que mes parents souhaiteraient que je sois. Au sein des groupes, communautés, groupes politiques, nous pouvons observer une organisation… allant du leader (sur lequel nous projetons et fantasmons des qualités, des valeurs…) au petit soldat (très utile)

Il est bien évident qu’une organisation politique repose sur deux fondements pathologiques puissants et délétères : l’ego et la paranoïa. Plus l’on veut obtenir des postes importants au sein d’un parti politique, plus la paranoïa va participer et garantir l’assurance d’un statut tellement envié… mais également cultiver l’idée que c’est la faute de…

Nous sommes là dans la représentation extrême du questionnement de cet étude : à quel moment je peux me sentir libre et heureux, car enrichi par la valorisation de ma construction, de mes actes, de mes réussites. Car il n’existe pas de petite ou grande réussite. Il n’est que ce que nous réalisons en fonction de notre être. Or tous ces « groupes » réveillent nos balbutiements relationnels d’enfants, voire de fratrie, avec les envies, rivalités et frustrations, haines et jalousies… qui font que ce dont j’aurais été privé, c’est forcément la faute à…

Comment prendre en compte ces biais pour tenter de parvenir à une vision "objective" de nos situations, et ainsi être plus heureux ? 

Je pense qu’il nous manque une véritable éducation à la lucidité de soi. Il n’existe pas d’école objective qui nous dévoile avec sincérité qui nous sommes. C’est ce voile sur nous même, sur nos actes, qui détourne notre regarde vers le négatif, sur les autres, sur cet ennemi fantasmé qui n’est que notre ennemi intérieur. De cela découle la jalousie, l’envie… au contraire d’un travail intime sur la reconnaissance de soi, de nos valeurs… également de nos défauts… et l’acceptation de nos échecs.

Il nous est toujours difficile de dire la vérité à quelqu’un, ce qui engendre cette culture du négatif, du complot plutôt que de la responsabilisation. Plus précisément, nous aider à ouvrir les yeux sur nous-même, et nous accompagner dans cette démarche d’ouverture et de réalisation plutôt qu’un emprisonnement dans cette pensée négative et d’hostilité envers l’autre, ce responsable de notre échec. Accepter ses échecs, ses erreurs est un acte difficile. Il suffit déjà de voir les réactions lors de jeux de société et autres… passons les casinos.

Repensons à Victor Hugo qui fait chanter Gavroche dans les Misérables :

« Je suis tombé par terre,

C'est la faute à Voltaire,

Le nez dans le ruisseau,

C'est la faute à Rousseau. »

Quand ce n’est pas la faute à… pas de chance !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !