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Ikea se met à vendre des télés ? Pas une surprise, juste la preuve que nos modes de consommation ont évolué
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Njut

Après la Fnac qui a commencé à vendre de l'électroménager en mars, Ikea se met à vendre des téléviseurs. Loin de vendre des nouveaux produits, ces magasins s'adaptent en réalité à la perception nouvelle de ces catégories de produits par les consommateurs.

Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Atlantico : Ikea vient d’annoncer la vente de télévisions dans ses magasins de meubles. Que penser de cette stratégie de diversification de la part de la célèbre marque suédoise ?

Christophe Benavent : En réalité, ce qu’ils font ne relève pas de la diversification. Ils poursuivent leur activité principale : vendeurs de meubles. Ils sont des distributeurs. Maintenant, la question de territoire de la marque se pose effectivement. Tout le monde associe Ikea à la notion de « do it yourself », ces meubles que l’on monte soit même pour qu’ils coûtent moins cher. C’est devenu une référence de l’ameublement moderne qui vise une clientèle plutôt jeune. Académiquement, Ikea est connu pour un aspect assez original de sa stratégie, l’expérience de consommation. Acheter Ikea, ce n’est pas seulement acheter, c’est vivre un moment qui commence à la maison en imaginant son extérieur et se termine au retour lorsque l’on monte son meuble.

Acheter Ikea, c’est avoir certaines valeurs liées à l’imagination. On peut être surpris de les voir distribuer certains produits comme des télévisions et pourquoi pas par la suite d’autres appareils électroniques ou électroménagers. Il y a un problème de catégorie : dans l’esprit des consommateurs, les meubles et les téléviseurs sont-ils distincts ? Il ne semble pas idiot de considérer aujourd’hui un poste de télévision comme un élément d’ameublement.

La Fnac a pris le même type d’orientation et commence à vendre de l’électroménager. Le principe est-il le même ?

Fondamentalement oui, c’est de l’extension de gamme. Elle s’enracine ici dans un certain concept. Que la Fnac distribue de l’électroménager peut sembler étonnant au premier abord. Mais la Fnac s’est d’abord consacrée aux produits bruns, informatique, wifi, pendant très longtemps. Cela fait longtemps que leur métier d’origine, la distribution d’appareil photo, a été élargi. Après une vraie diversification avec le livre et le disque, qui relève bien là d’un autre métier, ils ont simplement agrandit leur gamme.

Revenir à de l’électroménager est intéressant. Le livre et le disque ne rapportent pas beaucoup. Les consommateurs achètent du matériel mais pas de contenu. C’est un problème propre à l’économie de la culture. C’est une conséquence des mp3, des nouvelles formules de paiement et de consommation numériques. La Fnac cherche donc des nouveaux moteurs de croissance.

Si l’on regarde comment l’électroménager est en train d’évoluer comme catégorie de produits, la démarche est d’autant plus compréhensible. Les produits blancs n’ont plus la valeur symbolique qu’ils avaient dans les années 1970 où ils illustraient la réussite sociale. Depuis une dizaine d’année, il n’y a plus aucun processus affectif dans l’achat d’un réfrigérateur ou d’une machine à laver. Cet univers évolue : certaines marques de luxe comme Brandt ont sombré tandis que des tendances nouvelles contribuent à changer la perception de certains objets. C’est le cas de l’aspirateur qui ne générait plus aucune convoitise et qui, sous la forme du robot, devient un produit brun intelligent qui trouve parfaitement sa place dans la maison.

Peut-on imaginer que le contenu d’une catégorie d’un même produit s’élargisse à l’infini ?

Non, ça c’est le principe du capitalisme. C’est un gaspillage colossal. Le jeu de la compétition incite tout le monde à inventer et à trouver des choses nouvelles. On tend toujours vers plus de variété.

Par contre, l’évolution des catégories est un changement social. C’est la manière dont le consommateur perçoit les choses. Cela peut poser la question de comment une entreprise ou une marque peut renouveler cette catégorie dans un processus social. C’est ce que fait Dyson avec ses aspirateurs.

D’un point de vue concurrentiel, les entreprises qui sont dans un secteur ont une pression économique extrêmement simple : des pays peuvent fabriquer et vendre les mêmes produits pour moins cher. Si l’on veut continuer à gagner de l’argent, il faut sophistiquer et redonner de la valeur au produit. Au-delà de la valeur fonctionnelle, il faut viser celui de la symbolique. Pour de l’électroménager, il s’agit clairement de trouver comment faire quelque chose de plus sexy pour les consommateurs.

Quelles sont les catégories de produits qui ont traversé ce type d’évolutions ?

On trouve des exemples dans l’alimentaire. Le cas des jus de fruits est typique : ces produits, à la base totalement banalisés, sont devenus des ultra-frais ou des smoothies. Il a fallu innover en transformer la catégorie de travail. On a changé de rayon : de l’épicerie, on est arrivé au frais. Aujourd’hui, on peut acheter deux jus d’orange : celui du matin et celui de l’ultra-frais. La différence est d’au moins un euro entre les deux !

Dans le sens inverse, l’électroménager et le mobilier ont perdu en image. C’est le paradoxe d’Ikea qui a détruit la catégorie du mobilier. Que vaut une armoire normande aujourd’hui ? En dehors de quelques rares foyers qui y voient une forme d’antiquité très particulière, beaucoup de consommateurs investissent beaucoup moins dedans.

Les objets qui remplissent la fonction d’esthétique ne sont plus les mêmes. Avant, on se penchait sur le buffet et une belle table à manger. Aujourd’hui, on accorde une valeur beaucoup plus importante à de nombreux appareils électriques et électroniques qui ont gagné en visibilité. Des enceintes par exemple ne sont plus pensées en terme de son mais aussi en terme de design et d’intégration dans un intérieur moderne.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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