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Le retour des inégalités régionales ou l’échec de l’intégration européenne depuis 25 ans
©Reuters

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Selon une étude réalisée par les économistes Joan Rosés et Nikolaus Wolf, si les régions européennes ont pu connaître une période de convergence économique​ pendant le XXe siècle, l'année 1980 marquerait une rupture vers un retour des divergences régionales.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Selon les auteurs, ce retour de​s divergence​s régionales​ serait un moteur du populisme qui toucherait aujourd'hui la zone euro​. Quelles sont les causes de ces divergences et comment celles-ci se sont traduites en un résultat politique vers le "populisme" ?

Christophe BouillaudA les en croire, il s’agirait de l’effet d’une nouvelle division internationale du travail en place dès le début des années 1980. La baisse des coûts des transports et la poursuite de la libéralisation des flux matériels, immatériels et financiers engagée dès l’après Seconde guerre mondiale auraient fini par avantager certaines régions – essentiellement les métropoles des différents Etats gérant cette réorganisation productive et quelques anciennes régions industrialisées diversifiées dans leur production en 1900 – et en désavantager d’autres – celles dont la prospérité en 1900 était fondée sur le seul complexe mines de charbon/industrie lourde. Dans le cas français, cela correspond bien à la chute relative de richesse du nord de la France et de la Lorraine, et à la poursuite de l’ascension de la région parisienne, ou des autres métropoles régionales (Toulouse, Rennes, Lyon, etc.).  Après, pour en arriver au populisme en tant qu’expression électorale de ces régions, il a fallu toute une évolution politique plus compliquée qu’un simple décalque des zones en déclin économique et de l’apparition d’un vote populiste. En effet, avant que le vote populiste n’apparaisse, encore faut-il que les anciens partis dominants de la région en question, souvent implantés avant 1914, déclinent. Pour donner un exemple, en Belgique, la Wallonie tenait le haut du pavé industriel en 1950, elle commence à décliner nettement ensuite et finit par apparaître comme à la charge du contribuable flamand dès les années 1960-70. De ce fait, c’est en Flandres, la partie du pays qui s’enrichit beaucoup après 1945, que vont apparaitre des partis autonomistes, puis sécessionnistes, souvent très orientés à l’extrême droite. Au contraire, jusqu’à nos jours, le Parti socialiste reste, certes affaibli, la force dominante en Wallonie, et aucun parti populiste d’extrême droite n’a réussi à y percer. Par contre, le Parti ouvrier belge (POB), un parti d’extrême gauche, y connait désormais de bons résultats. Comparons avec ce qui se passe du côté français, tout le long de la frontière belge, dans un contexte économique similaire de déclin d’une vieille région industrielle fondée sur les mines de charbon. Là aussi, le Parti socialiste conserve ses fiefs bien au-delà de la déprise industrielle des années 1950-1970. Par contre, l’extrême-droite que représente le Front National a fini par s’y implanter, en particulier dans l’ancien bassin minier. Les situations sont donc complexes : la polarisation spatiale de la richesse entre régions peut donc avoir des conséquences politiques contrastées selon les histoires politiques de chaque région dans son pays d’appartenance. A minima, il faut distinguer le « populisme » des régions gagnantes au jeu qui ne veulent pas payer pour leur Etat central et le « populisme » des régions perdantes au jeu qui veulent que toute l’aide de leur Etat central leur soit réservée. Et, sur cela, se rajoutent les distinctions droite/gauche liée à l’histoire.

Quelles sont les zones emblématiques européennes de ce phénomène ? Avec quels résultats ?

Le cas de la Catalogne et de sa poussée autonomiste et indépendantiste pourrait être un premier exemple de région riche qui ne veut pas payer pour Madrid et le reste de l’Espagne. Et là la protestation se situe politiquement au centre et à gauche. Inversement, la protestation des riches régions du nord de l’Italie, exprimée par le vote pour la Ligue du Nord, contre Rome s’est située à droite, voire à l’extrême droite désormais.

Pour un cas de région appauvrie, on pourrait prendre le nord de l’Angleterre, avec une particularité intéressante. Aucun parti nouveau n’a réussi à faire élire des députés à Westminster sur cette thématique. Le mode de scrutin uninominal à un tour a bloqué toute entrée d’un challenger au Parlement de Londres pour l’instant, en particulier celle de l’UKIP. Par contre, c’est bien là, dans ce nord de l’Angleterre en déclin, où les électeurs ont voté massivement pour le Brexit. Il ne faut donc pas confondre l’existence d’un mécontentement dans les régions appauvries et celle d’un parti ou de partis qui le thématisent et qui réussissent à se faire élire.  Enfin, le succès de l’AfD dans l’est de l’Allemagne, en particulier en Saxe, constitue un bon exemple d’un parti porté par les difficultés d’une région jadis bien plus riche. Mais, là aussi, ce parti aurait pu exister avant si l’interdit contre toute résurgence d’un nationalisme de droite n’avait pas été aussi fort jusqu’à ces dernières années, et si la place n’avait pas déjà été occupée largement par le PDS, puis die Linke, situé lui à gauche.

Au total, tous ces phénomènes tendent à fractionner les espaces politiques nationaux, avec des écarts substantiels de force entre partis selon les lieux. La Belgique depuis les années 1960 constitue de ce point de vue un bel exemple de dissolution d’un espace politique unifié.  Au pire, cela peut mener dans certaines situations à la dissolution des Etats nations. A ce propos, il faut rappeler que les écarts de développement ont été l’une des causes de l’éclatement de la République fédérale de Yougoslavie en 1989-1991.

En conséquence, comment cette fragmentation européenne pourrait-elle se résorber ? Ce processus n'est-il pas une alerte d'un processus d'implosion en cours ?

Si les deux économistes ont raison dans leur analyse de moyen terme, qu’ils rapprochent d’ailleurs eux-mêmes de l’augmentation constatée des inégalités interpersonnelles de revenus et de patrimoine dans les pays occidentaux sur la même période, cette fragmentation ne pourrait se résorber qu’à travers une action politique extraordinairement forte de résorption des inégalités d’une part et à travers la mise en place d’une autre variante du capitalisme d’autre part.

 La première option va se heurter immédiatement à la ferme volonté des gagnants de ne surtout pas partager leurs gains. On sait par ailleurs que l’un des problèmes de nos démocraties est que ces mêmes gagnants sont en mesure de dépenser beaucoup d’argent pour influencer le processus politique en leur faveur, et que cela n’est pas sans effets bien concrets. La réforme fiscale de Donald Trump pourrait être prise comme illustration de cette tendance à accentuer encore les écarts.

Par ailleurs, personne n’a pour l’instant une idée de ce que pourrait être un capitalisme qui ne provoquerait pas spontanément de tels écarts régionaux : la perte d’importance économique des métropoles n’est pas une option très prévisible au vu de l’histoire antérieure du capitalisme.  Si l’on se réfère à l’histoire, il ne reste donc que l’action décidée de la puissance publique. C’est la vieille idée française de l’ « aménagement du territoire » ou encore la « politique européenne de cohésion ». C’est aussi celle du New Deal quand il décide d’industrialiser le sud des Etats-Unis, ou ce que font  actuellement les autorités chinoises pour développer la Chine intérieure. Il faut par contre trouver des formes renouvelées de telles politiques correspondant à nos niveaux de développement et à nos contraintes écologiques.

Pour ce qui est du processus d’implosion, il me semble déjà en cours. Nous sommes au-delà de la simple alerte. Après le vote du « Brexit » et les élections allemandes de septembre dernier, le vote italien  du 4 mars me parait un signal fort qu’il serait temps d’agir.  Il faut désormais imaginer des solutions et les mettre en œuvre rapidement. 

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