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Une galère nommée politique : retour sur le "J’assume" de Virginie Calmels
©MEHDI FEDOUACH / AFP

Critique

Virginie "Sisyphe" Calmels a bien du mérite. Il serait injuste et parfaitement stupide de voir dans son livre un nouveau tome de la série Martine, intitulé cette fois "Martine, femme politique". Madame Calmels est de ces personnalités politiques dont les (fameux) "mâles alpha" feraient bien de se méfier.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Forcément au début on se force. 356 pages d’un texte serré et structuré en 21 chapitres suivis d’une courte conclusion. La lourdeur du pavé fait craindre l’indigestion. On savait Virginie Calmels, adjointe au maire de Bordeaux, bavarde et souvent trop longue dans ses discours. On a donc la confirmation qu’elle a bien écrit, de la première à la dernière page ce « J’assume » (éditions de l'Observatoire) qu’un très proche d’Alain Juppé, à Bordeaux s’est empressé de rebaptiser « J’assomme ». Pourtant, à force de s’obliger à lire, on s’attache. Et finalement on se prend à comprendre la logique de celle qui est désormais première vice-présidente et vice-présidente déléguée de LR, numéro 2 de la principale formation d’opposition, derrière Laurent Wauquiez.

Femme de droite et fière de l’être, allant même jusqu’à parodier son patron politique bordelaisen titrant l’antépénultième chapitre de son livre « Droite dans mes escarpins. Hiver 2017 » (des escarpins en hiver, c’est au mieux une faute de goût, au pire une probabilité de chute), Virginie Calmels est libérale et parfois acharnée à le rappeler. Voilà pourquoi elle a créé, après l’élimination de Juppé à la primaire de novembre 2016, son propre parti qu’elle a nommé « DroiteLib ».

La dure loi de la politique

Le sous-titre du livre de Virginie Calmels est une question : « Mais que suis-je allée faire dans cette galère ? ». Il s’agit là d’une interrogation plusieurs fois répétée au fil des pages d’un ouvrage commencé à l’été 2017 et présenté par son auteur comme une « catharsis  nécessaire après des mois de campagne pesants ». Ses « amis bordelais », ceux qu’elle désigne sept fois dans son texte comme les « Iznogoud du Palais-Rohan »(comprendre la mairie de Bordeaux) et dont elle dit que la seule « ambition est de devenir (comme le Grand Vizir dans la célèbre BD de Goscinny et  Tabary) « Calife à la place du Calife », ont eu tôt fait de répondre à la place de Virginie Calmels : « Rien ne t’oblige à rester dans cette galère. Repars d’où tu viens ». Virgjnie Calmels, qui ne lâche rien et n’a pas la langue dans sa poche, comme on dit trivialement, va répondre à cela par un courriel direct et cash, bien dans son style et dans celui de son livre, repris par sudouest.fr le 15 mars : « La « galère » que je mentionne est celle de la folle campagne des présidentielles, et ne fait absolument pas référence ni à Bordeaux ni à notre équipe ni à la mission d’élue de terrain ». Rendre coup pour coup : telle est désormais sa devise.

En réalité tout le livre de Virginie Calmels le montre : s’investir en politique quand on dit (de manière trop forcée et répétée pour être totalement sincère) qu’on n’a pas les codes, qu’on n’est pas du sérail, qu’on ne connait que le monde de la finance et du top management, qu(on se revendique « femme d’entreprise » c’est une vraie galère. Le constat revient comme une sorte de leitmotiv, à moins qu’il ne faille y entendre une plainte continue. En substance cela donne : « la violence en politique est incroyable, la haine y règne en permanence (surtout de la part de ceux que l’on croit être des amis et des proches), le jeu de go des tactiques politiques est, en fait, un jeu d’égos ». S’ajoute à cela l’inévitable constat, très « main stream » en ce moment : « Si je n’étais pas une femme je ne serais sans doute pas traitée ainsi ».  On aurait envie de rappeler à Virginie Calmels que le monde d’où elle vient (« son » monde), celui de la finance mondialisée, des « cost-killers », des « LBO » (qu’elle évoque à plusieurs reprises), des « business angels » qui ressemblent davantage dans leurs pratiques aux « Hell’s Angels » des Seventies, est réputé pour être un monde d’une rare quiétude, où les petits meurtres entre amis sont rarissimes et où les rumeurs n’ont absolument pas droit de cité. Le business ne connait pas le stress. C’est connu. Tout comme Martin Scorsese a-t-il sans doute tout inventé quand il montre dans « Le Loup de Wall-Street » un Caprio fou de fric, de poudre, de jalousie et d’ambition.

Formation politique accélérée pour un art acéré du trait

Madame Calmels est fidèle à ses valeurs et fonctionne plutôt à l’éthique de conviction pour employer un vocabulaire wébérien et emprunter ainsi à la sociologie compréhensive. Celui qui est guidé par l’éthique de conviction (à l’inverse de l’éthique de responsabilité) explique en substance le grand Raymond Aron (« Les Étapes de la pensée sociologique », 1967) considère que ses valeurs doivent triompher et que les échecs rencontrés sont toujours du fait des autres, des événements, des circonstances. En d’autres termes : le degré d’autocritique, chez ce type d’acteur, est inversement proportionnel à l’intensité des convictions. Virginie Calmels a énormément de convictions. Et donc, en quatre ans, de vie politique, d’abord municipale bordelaise, puis régionale et néo-aquitaine, et désormais nationale, Madame C. s’est fait pas mal d’ennemis. C’est le lot de celles et ceux qui, pour parler dans la novlangue qui leur sert de sabir, ont connu une carrière « top-down » et non pas « bottom-up ». « Parachutée » dans les flots tumultueux de la politique, Virginie Calmels n’a pas fait que  galérer, elle a du pagayer, ramer, slalomer, s’échouer, repartir voire chavirer. Quant aux rames ou autres gaffes, elle ne s’en sert pas que pour naviguer dans les méandres d’un fleuve pas tranquille du tout. Elle aurait tendance à taper sur tout ce qui bouge, ou plutôt qui « a bougé et bouge encore » autour d’Alain Juppé. Edouard Philippe, Gilles Boyer, Benoist Apparu à Paris, Ludovic Martinez le directeur de cabinet à la mairiede Bordeaux, ce quarteron de conseillers est évidemment rendu responsable de la « retraite de Juppé » qui a été à la présidentielle de 2017 ce que la Bérézina a été à la campagne de Russie. Certains en prennent plus que d’autres pour leur grade : Boyer est cité 40 fois dans le livre et ce sont 40 vacheries, Martinez, qui n’a en commun avec Virginie Calmels que d’être enfant de rapatriés d’Algérie, n’a droit qu’à deux minables occurrences. Encore plus vexant ! L’actuel premier ministre est décrit sous les traits d’un parfait cynique et d’un manœuvrier de première classe, « pseudo-préféré » de Juppé mais pas si « juppéiste » que cela. On se dit qu’on ne devait pas faire ripaille tous les jours au QG de Juppé, boulevard Raspail, pendant la campagne des primaires.

Roi de Cœur, roi de Trèfle.

Heureusement, au chapitre des hommes et de leurs méchancetés quasi-congénitales, il y a Jérôme et Alain. Le premier est le roi de Cœur, rencontré lors du lancement de la campagne des régionales de 2015. Il est l’un des plus proches soutiens de François Fillon et bientôt sera premier vice-président de la région Ile-de-France. C’est Jérôme Chartier. Leur positionnement politique est différent, leur couple encore sous les feux de la passion va s’en renforcer. Le second est le roi de Trèfle, celui auprès de qui on trouve conseils avisés et soutiens qu’on voudrait constants. Le mentor politique c’est, bien sûr, Alain Juppé. On comprend bien, au fil des pages, que leur relation politique n’est pas toujours sans nuage. Virgnie Calmels s’énerve que son champion ne voit pas venir les problèmes, ne sente pas les choses. Elle est nouvelle en politique, elle n’a pas l’expérience de celui qui débuta avec Chirac en avril 1976 à Matignon, et s’il n’y avait cette sacrée « garde prétorienne » qui lui cache la réalité et les nuages qui s’accumulent (qu’elle seule voit venir), tout irait pour le mieux. Mais hélas, au final rien ne va se passer comme prévu. Juppé éliminé de la course présidentielle, Fillon blessé à mort, Juppé qui ne veut pas être le « plan J » et qui se retire du jeu le 6 mars 2017, sans parler de Macron dont le parcours fascine mais qui inspire le rejet propre au désir mimétique. Virginie Calmels n’en peut plus de ce monde de brutes, mais elle y retourne encore et encore. Jusqu’à monter dans le « train Wauquiez », et espérer y (ré)concilier la droite libérale et celle de l’étatisme dirigiste du nouveau président de LR.

L’ambition et la résilience de Sisyphe Calmels

Virginie « Sisyphe » Calmels a bien du mérite. Il serait injuste et parfaitement stupide de voir dans son livre un nouveau tome de la série « Martine », intitulé cette fois « Martine, femme politique ». Madame Calmels est de ces personnalités politiques dont les (fameux) « mâles alpha » feraient bien de se méfier. Elle insupporte et assomme certes. Elle a raison sur tout et tort sur rien. Forcément ça énerve. Mais, comme dit d’elle Denis Olivennes  qui la connait bien : « Elle voit la terre avant les autres ». Cette qualité intuitive que l’on a connue chez une Ségolène Royal par exemple, est le gage d’une longévité et d’une résilience politiques clairement au-dessus du lot commun. Comme son patron en politique dont elle ne va pas tarder (en 2019 sans doute à la faveur des Européennes) à couper le fil politico-affectif qui le lie encore à lui, Virginie Calmels connait parfois « la tentation de Venise ». Mais celle-ci disparait vite. Tellement l’envie de « jouir du pouvoir » comme l’écrit l'essayiste Pierre Legendre est grande chez elle. Pas seulement pour elle-même d’ailleurs, peut-être aussi pour la victoire  des convictions de femme de droite et libérale qui la forgent et gouvernent son engagement.

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