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Affaire Fillon : "la mise en examen est la condamnation des présumés innocents, supprimons-la"
©CHRISTIAN HARTMANN / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Le 23 avril 2017, François Fillon est éliminé au premier tour de l’élection présidentielle. C’est la conclusion d’un long dévissage alliant déchaînement médiatique, célérité de la justice et basculement de l’opinion. Accusé, François Fillon répond en accusant. Comment départager le vrai du faux ? Doit-on croire au fameux Cabinet noir de l’Élysée ? À une manipulation de la magistrature ? À un complot d’État ? Extrait de "Le procès Fillon" de Hervé Lehman, publié aux Editions du Cerf. (1/2)

La mise en examen signifie qu’il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de la personne à l’infraction ; la décision de renvoi devant le tribunal correctionnel (ou devant la cour d’assises pour un crime), signifie que le juge estime qu’il existe des charges ; la condamnation résulte de ce que le tribunal juge que la preuve de la culpabilité est établie. Ce crescendo subtil, indices de vraisemblance, charges, preuves, a tout son sens dans les différentes étapes de la procédure, avec les filtres qui garantissent le mieux possible que la décision finale n’amène pas la condamnation d’un innocent. Pour simplifier, on pourrait dire qu’au niveau du jugement, le doute profite au prévenu alors qu’au niveau de la mise en examen le doute profite à l’accusation : des « indices rendant vraisemblable », c’est bien éloigné de la preuve d’une culpabilité. Mais ce crescendo est évidemment trop complexe pour l’opinion publique : ce qu’elle retient, c’est qu’un juge indépendant a considéré que la personne était vraisemblablement coupable, et vraisemblablement au sens de probablement. Et pourtant, des indices de vraisemblance, n’est-ce pas une expression qui rappelle celle de Coluche qui disait « dans les milieux autorisés, on s’autorise à penser... » ? Non pas que les juges d’instruction prononcent les mises en examen à la légère, mais le degré de certitude que leur demande la loi pour y procéder s’arrête à la vraisemblance.

La jurisprudence Balladur a grandement contribué, en 1993, juste après le changement de terminologie substituant la mise en examen à l’inculpation, à donner à la mise en examen un sens qu’elle n’a pas juridiquement et ne devrait pas avoir socialement. Exiger d’un ministre qu’il démissionne dès lors qu’il est mis en examen revient à donner à cette vraisemblance de culpabilité constatée par un juge souvent seul, et qui peut être démentie par l’avenir, la même force qu’une condamnation prononcée par un tribunal à l’issue d’un procès à armes égales entre l’accusation et la défense. C’est une « jurisprudence », en réalité une pratique politique, qui pervertit le sens de la mise en examen. Il est vrai que la lenteur extrême des procédures d’instruction fait que la décision finale sur la culpabilité interviendra des années plus tard, mais peut-on se satisfaire alors d’une vraisemblance de culpabilité pour sanctionner quelqu’un ? Il faut encore relever qu’il peut y avoir des mises en examen pour des faits peu graves et que mettre toutes les mises en examen dans le même panier est déraisonnable. En bas de l’échelle des mises en examen se trouve celle pour diffamation : pour des raisons tenant à la procédure très particulière du droit de la presse, la mise en examen est automatique dès lors qu’il y a une plainte avec constitution de partie civile. C’est dire qu’il y a mise en examen et mise en examen.

Bien sûr, cela ne signifie pas qu’un ministre, ou un responsable politique ne doit pas démissionner dans certaines circonstances, lorsque la pression médiatique ou judiciaire est trop forte, ou qu’un candidat à la présidence de la République ne doit pas renoncer dans les mêmes circonstances. Mais c’est un choix politique et ne devrait pas être un automatisme lié à une mise en examen. Lorsqu’Hervé Gaymard démissionne parce que la presse révèle qu’il bénéficie d’un appartement de fonction trop coûteux, sa démission tient à l’impact sur l’opinion publique et pas à une mise en examen qui n’interviendra jamais puisqu’il ne lui était pas reproché un délit mais un abus. Si une démission peut être politiquement nécessaire en l’absence de mise en examen, il est regrettable que la mise en examen d’un ministre entraîne obligatoirement sa démission. On l’a vu à la suite de l’élection présidentielle lorsque les trois ministres Modem, Sylvie Goulard, ministre des Armées, François Bayrou, garde des Sceaux et Marielle de Sarnez, ministre des Affaires européennes, ont dû renoncer à rester au gouvernement parce qu’une information était ouverte sur les assistants parlementaires des députés Modem et qu’une mise en examen dans les prochains mois était possible. Peut-être ne seront-ils jamais condamnés, mais une hypothétique mise en examen, dans une affaire où il ne s’agit pas d’emplois fictifs mais de confusion entre le travail d’assistant parlementaire et celui d’assistant politique, a suffi pour qu’ils doivent quitter le gouvernement. Le message ainsi donné est que la mise en examen est une précondamnation, ce qu’elle ne doit pas être.

Le paradoxe est que la personne mise en examen est dans une position plus difficile que celle qui a été condamnée. Avec un certain cynisme, Alain Juppé, qui a été condamné pour les emplois fictifs de la ville de Paris à une peine qui comprenait quand même une inéligibilité temporaire, proclamait pendant la campagne des primaires, en visant clairement Nicolas Sarkozy : « Il vaut mieux avoir un passé judiciaire qu’un avenir judiciaire. » De fait, les gouvernements de François Hollande comprenaient des ministres qui avaient un passé judiciaire sans que personne ne s’en émeuve : Jean-Marc Ayrault, Harlem Désir, sans compter le secrétaire général du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis, deux fois condamnés pour avoir bénéficié d’emplois fictifs et qui expliquait qu’à la place de François Fillon il se retirerait de la présidentielle. C’est là une inversion des principes qui sont, faut-il le rappeler : le mis en examen est présumé innocent, le condamné est coupable. Un fonctionnement sain des institutions serait que la personne non condamnée, fut-elle ministre, ne soit pas considérée comme coupable et que la personne condamnée ne soit pas « blanchie » par la condamnation ; un système sain serait que les tribunaux jugent, et que ce soient leurs sentences, en ce compris les peines d’inéligibilité prononcées, qui fassent autorité, et pas l’appréciation provisoire d’un juge d’instruction qui se prononce sur une vraisemblance.

llons plus loin : au fond, à quoi sert la mise en examen ? Le rôle du juge d’instruction est de rechercher la vérité dans les affaires pénales qui lui sont confiées, c’est-à-dire identifier les auteurs et rassembler les preuves à charge et à décharge. Une fois qu’il a identifié ceux contre lesquels pèsent des charges suffisantes, il les renvoie devant la juridiction de jugement qui décide s’ils sont ou non coupables. Certes, le juge d’instruction fait un « tri », en ne renvoyant devant le tribunal que ceux contre lesquels il existe des charges suffisantes. Mais dans ce cheminement du juge d’instruction, de recherche de la vérité, d’identification des suspects et de renvoi devant le tribunal de ceux contre lesquels pèsent des charges suffisantes, il n’est nullement nécessaire de faire passer les suspects par le statut intermédiaire de mis en examen. Il est parfaitement possible de conserver le statut de témoin assisté jusqu’au moment où le juge d’instruction décide de renvoyer la personne suspecte devant le tribunal. Ce statut assure les droits de la défense et n’implique pas de pré-jugement, là où la notification officielle par un juge d’un statut intermédiaire de mis en examen a les effets que l’on a vus, qui sont les mêmes que l’inculpation du code Napoléon. Aujourd’hui, pour toutes les affaires qui ne sont pas confiées au juge d’instruction, et on a vu que le Parquet privilégiait quand il le peut les enquêtes préliminaires, il n’y a pas de statut officiel pour les suspects, avant que le tribunal soit saisi officiellement par une citation directe. Sans doute, lorsque le juge d’instruction renverra une personne devant le tribunal correctionnel, celle-ci deviendra prévenue (ou accusé pour la cour d’assises), avec peut-être les mêmes effets que l’actuelle mise en examen. Mais, d’une part, cette décision interviendra à la fin de l’instruction, après que toutes les investigations à charge et à décharge auront été faites, et s’appuiera sur des charges sérieuses plutôt que sur des indices de vraisemblance, et d’autre part le délai entre l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction et le jugement par le tribunal ne s’étendra pas sur des années comme c’est le cas aujourd’hui entre la mise en examen et le jugement. Puisque, décidément, la mise en examen est la condamnation des présumés innocents, supprimons-la.

Extrait de "Le procès Fillon" de Hervé Lehman, publié aux Editions du Cerf

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"Le procès Fillon" de Hervé Lehman

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