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Pourquoi Steve Bannon met la charrue avant les bœufs en considérant que le sens de l’histoire est avec lui et le FN
©MARK WILSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Pas si vite...

Stephen Bannon était invité à s'exprimer au congrès de Lille du nouveau "Rassemblement National". Pendant son intervention, il a assuré que "le sens de l'Histoire" était en leur faveur. Mais c'est là aller un peu vite en besogne.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Stephen Bannon a déclaré au congrès du nouveau Rassemblement National (ex Front National) de Lille que "Le sens de l'histoire est avec nous". Comment interpréter cette déclaration et dans quelle mesure faudrait-il la relativiser, tant sur le fond que sur les proximités idéologiques ?

Christophe Boutin : Steve Bannon n’est pas le premier, et sans doute pas le dernier, à voir un sens à l’Histoire, et à penser qu’il se conjugue avec ses intérêts. Mais pour interpréter cette phrase de l’ex-conseiller de Donald Trump, encore faudrait-il remettre les choses en perspective. Bannon est un homme de médias, avec notamment son site Breibart, qui pense que la lutte intellectuelle est une part essentielle de la lutte politique. Et s’il est devenu un « homme politique », c’est toujours dans cette fonction de diffuseur d’idées, de conseiller du Prince qui l’aide à jouer sur l’opinion publique.

La politique conservatrice qu’il promeut se résume en fait en une protection de la nation. Protection économique par un protectionnisme et une préférence nationale ; protection ensuite avec une politique étrangère visant à limiter les interventions extérieures à ce qui, justement, contribue vraiment à protéger la nation ; protection démographique enfin, avec la lutte contre l’immigration – on sait que Bannon a plusieurs fois cité le roman du Français Jean Raspail, Le camp de saints, qui évoque la déferlante migratoire.

On le voit, en termes de proximité idéologique, puisque vous évoquez cette question, bien des éléments sont communs avec ce que peut proposer le peut-être ex « Front National » devenu « Rassemblement national ». Manque sans doute une dimension sociale, Bannon étant plus libéral, et, bien sûr, la question de l’Union européenne. Mais ces éléments du discours de Bannon sont aussi communs à ceux de nombreuses forces politiques européennes qui progressent élections après élections, parvenant à constituer des forces parlementaires (Allemagne, Italie, Autriche) ou à diriger le pays (Hongrie, Pologne). C’est cette évolution, que l’on pourrait synthétiser en parlant de « montée des populismes », mais encore faut-il rappeler que ce dernier terme peut recouvrir tout et n’importe quoi, qui justifie sans doute cette remarque de Bannon sur un « sens de l’histoire » favorable à ses idées.

Ce qui est certain, c’est que semble se dessiner un affrontement clair entre ceux qui souhaitent la continuation du mouvement actuel, caractérisé par une mondialisation dans laquelle les nations n’ont plus le pouvoir de mener de politique économique propre, de s’opposer à l’immigration, et sont sommées de participer à des guerres menées au nom du Bien mais qui détruisent des peuples entiers, et ceux qui s’y refusent. Face aux premiers, qui se qualifient eux-mêmes de progressistes, un camp conservateur est effectivement en train de s’affirmer, qui considère que le progrès, nécessaire, ne peut pas se faire en détruisant ce qui a permis à nos civilisations de se former, à nos libertés d’exister, et qui rappelle que l’homme, cet « animal politique » selon Aristote, n’existe que par et grâce à ses appartenances multiples dont le progressisme veut le couper.

Si l'humeur du moment est à la remise en cause de la mondialisation telle que nous l'avons connue et à la critique forte du néolibéralisme, est-ce que cela valide pour autant de manière absolue les déclarations de Bannon ?

 Absolue non, bien sûr. Comme je le disais, l’évolution politique que nous vivons est causée par des craintes nées de la mondialisation et, vous avez peut-être raison, des excès d’un certain libéralisme – mais pas du libéralisme, car cette notion elle aussi recouvre des dimensions fort différentes. Le monde occidental, USA comme Europe, est traversé de craintes et de doutes : crainte du citoyen pour sa sécurité physique d’une part, crainte du même ensuite pour sa sécurité patrimoniale au vu des risques financiers que courent nos sociétés. Cette dernière crainte, patrimoniale, se traduit aussi dans un rapport à la famille : tout homme souhaite transmettre un patrimoine en héritage à ses enfants, et craint de nos jours de se voir spolié par un État tentaculaire au profit d’individus n’ayant aucune part à la communauté nationale. Et cela nous amène à la dernière crainte, celle de la disparition de ce que nous pouvons posséder en commun, et dont nous ne nous rendons vraiment compte de la valeur qu’au moment où on nous l’enlève, culture, langue, histoire ou traditions. C’est cette fois cette « insécurité culturelle » dont Laurent Bouvet a parlé, qui a autant de conséquences politiques, sinon plus, que les autres insécurités décrites.

Les choses sont claires : le système politico-idéologique qui apaisera ces craintes gagnera. Si le progressisme et sa fuite en avant réussissent soit à rassurer, soit à faire accepter à des citoyens devenus des individus interchangeables leurs nouvelles conditions de vie, de quelque manière que ce soit, il s’imposera, et Steve Bannon aura eu tort. Mais tant que nous n’en serons pas là, les mêmes causes continuant de produire les mêmes effets, on peut penser que l’analyse de l’ex-conseiller de Donald Trump sur l’évolution conservatrice de nos sociétés se vérifiera.

Est-ce que le nouveau "Rassemblement National" en invitant Stephen Bannon ne se tire pas une balle dans le pied au vu de la réputation sulfureuse du personnage, sachant que ses excès lui ont valu d'être écarté de la Maison Blanche ?

 Sans doute pas, même si on a pu entendre Jean-Marie Le Pen jouer les vierges effarouchées et expliquer qu’une telle invitation allait à l’encontre de la stratégie de la « dédiabolisation » de sa fille. D’abord, parce que de multiples raisons autres que ses « excès » peuvent expliquer le fait que Bannon ait été écarté du premier cercle autour de Donald Trump. Son peu de goût pour les excès de l’interventionnisme ne pouvait par exemple que déplaire à un complexe militaro-industriel américain qui réalise grâce à cela des profits phénoménaux. Sa volonté de protéger un salariat américain de la concurrence de travailleurs d’autant plus décidés à accepter n’importe quelles conditions qu’ils sont illégaux a pu aussi gêner certains lobbies économiques.

Certes, Steve Bannon a commis des excès de langage. Mais on remarque actuellement que cela ne dessert pas forcément ceux qui s’y livrent : Donald Trump a été élu malgré de tels excès – si ce n’est à cause d’eux - et plus récemment, en France, Laurent Wauquiez s’est plutôt bien sorti de la polémique concernant les propos imagés tenus lors de ses cours.

C’est qu’en France comme aux Etats-Unis, ou ailleurs – que l’on songe par exemple à la tonalité des discours des dirigeants au pouvoir dans les pays d’Europe de l’Est, ou à ceux des leaders italiens qui ont remporté les dernières élections – le discours politique creux, pseudo-technocratique, mêlant langue de bois et politiquement correct, lasse une opinion qui ne lui fait plus aucune confiance. Une opinion qui demande de vrais leaders, aptes à faire des choix, les assumant, et pour cela parlant des problèmes clairement, et si besoin crûment.

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