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Lutte contre les fake news ou contre les discriminations, même combat ? Pourquoi tant de combats politiques contemporains ignorent encore les fondamentaux de la nature humaine
©LOIC VENANCE / AFP

La grande illusion

Selon une étude du MIT, les fausses informations sont relayées six fois plus vite que les vraies. Les coupables ne sont pas des robots, mais les humains : la nature humaine a en effet tendance à relayer ce qui est surprenant et négatif. Le problème n'est donc pas technologique.

Atlantico : Selon une large étude réalisée​ par le MIT, sur un échantillon de 126 000 nouvelles "tweetées" par 3 millions de personnes, il apparaîtrait que les fake news auraient une capacité de propagation six fois supérieures aux informations "classiques". Or, les robots en tout genre n'en seraient pas coupables car ces derniers participeraient à propagation équivalente des deux objets considérés, fake news et informations. La responsabilité en incomberait à notre attrait pour les informations surprenantes et/ ou négatives. Au regard du constat dressé, n'est-il pas illusoire de vouloir lutter contre les fake news, dont nous serions, et non les robots, les principaux vecteurs de propagation ?

Pascal Engel : Les résultats de cette étude ne pas vraiment un scoop, mis à part le contexte de diffusion massive des données dans le contexte contemporain des medias et de l'internet. Les travaux sur les rumeurs (comme celui d'Edgar Morin sur la rumeur d'Orléans en 1969  - selon laquelle les commerçants juifs en habillement kidnappaient des jeunes filles dans des cabines d'essayage pour faire la traite des blanches - ou celui de Cass Sunstein, Rumors, en 2006) montraient déjà que les nouvelles fausses, mais surprenantes et portant sur des sujets qui attisent les désirs, les craintes, ou les émotions humaines, se propagent plus vite que les informations ordinaires, routinières, et attendues. Elles ont aussi tout un contexte social et historique : par exemple la Grande Peur de 1789 était une fake news, propagée dans les campagnes après la famine. On croit ce qu'on désire croire, ce qu'on s'attend à croire, ce qu'on a peur de croire. L'esprit humain a tendance à croire les informations susceptibles d'être vraies - il vaut mieux pour lui car autrement l'espèce n'aurait pas pu survivre - mais aussi celles qui sont susceptibles d'être intéressantes, pertinentes pour les besoins du moment.

Dans "fake news" il y a deux composantes : le fait qu'elles soient fausses, et le fait qu'elles soient des nouvelles. Les philosophes ont invoqué un "principe de crédulité" : nous croyons spontanément au témoignage d'autrui. Les auteurs anciens, comme Plutarque, ou Appulée dans l'Ane d'or, fustigeaient la curiosité humaine, qui nous pousse à regarder par la fenêtre ce que fait le voisin. Si le système cognitif humain devient saturé d'informations, donc de vérités potentielles, il aurait tendance à filtrer celles qui sont "intéressantes", qui éveillent sa curiosité. Mais ici, si l'étude du MIT est correcte, on serait  disposé à retenir, et à diffuser des informations fausses. Il y a deux cas : soit ce sont des informations que l'on croit vraies, mais qui sont en réalité fausses, soit ce sont des informations que l'on présume, ou même qu'on sait fausses. Le second cas, s'il est avéré, signifie qu'on aime les mensonges, ou qu'on aime à se raconter, ou à raconter aux autres, des histoires. Là aussi, c'est assez banal. Toute la différence vient de l'effet massif produit par l'immense système et saturateur de diffusion par internet.

Il y a donc des causes non intentionnelles des fake news, qui tiennent aux structures cognitives humaines et à la distribution massive de l'information et de ses bulles sur internet, qui fonctionnent de manière virale. Les fake news sont comme la pollution des océans ou de l'air. Ce sont des effets pervers des activités humaines. Mais il y a aussi bien entendu des causes intentionnelles : l'information part de quelque part - ce ne sont pas les robots qui inventent  les contenus- et elle est produite avec certaines intentions. La cyberguerre use d'officines, les Etats ont des bureaux spéciaux et même des commandos de hackers et  de propagateurs de nouvelles manipulées, qu'ils sortent au moment opportun - on ne sort pas une info sur la vie sexuelle de Macron, sur la santé d'Hillary, ou sur les frasques  de Trump à n'importe quel moment.

La première guerre contre les fake news doit être en ce sens militaire, au même titre que quand un pays est attaqué. Mais les fake news tiennent à la structure de l'information - de Twitter et des autres réseaux - qui veut qu'on doive cliquer pour gagner de l'argent et des "friends". Tout comme la pollution aux algues vertes ne vient pas de nulle part et dépend de la structure de l'agriculture, les fake news seraient sans doute réduites si l'on réduisait l'usage des réseaux ou si on changeait la règle du "qui a le plus de clics gagne", mais il ne faut pas rêver. Une diffamation, même établie et condamnée, reste sur internet.  La seule manière dont on pourrait diminuer leur propagation serait de réinstaurer une forme de censure, ce qui est impossible sans reproduire des formes de tyrannies, ou bien de permettre l émergence de sites d'information fiables, qui serviraient de référence.  Des poursuites pénales, comme celles qui ont été dirigées contre la presse  Murdoch après ses dérapages il y a quelques années, auront peut être de l'effet. Mais c'est toute une législation  encore à mettre en oeuvre, au même titre que pour la cybercriminalité.

En quoi un tel résultat peut-il affaiblir l'idée de notre propre rationalité pourtant mise en avant, laissant entendre que la propagation des fake news ne serait le résultat que de mauvaises intentions de la part de leurs auteurs ? Une telle approche ne rejoint-elle pas certaines idéologies du XXe siècle dont la finalité revenait à changer la nature humaine ?

Les humains ont peut être le bon sens bien partagé dont parlait Descartes, mais ils ont aussi une grande part d'irrationalité et d'incapacité à raisonner logiquement ou sur la base des faits. Ceci est attesté par toute la psychologie et l'histoire. Si un système d'information vicié et manipulé les agresse, il faut tout à parier pour qu'ils s'y laissent prendre. Mais ils disposent aussi de systèmes de contrôle des tricheurs et des menteurs. Quand leurs intérêts sont en jeu, ils sont beaucoup plus vigilants. Par exemple, je peux me laisser tromper par une fake news selon laquelle Tariq Ramadan va devenir  ministre de l'Education  nationale, parce que mes capacités de vérification sont trop mauvaises pour cette nouvelle, mais si j'ai à vérifier la qualité des travaux en maçonnerie dans ma maison, je serai meilleur pour traquer les faux positifs. Les humains sont meilleurs raisonneurs quand les fake news les concernent directement.

La manipulation de l'information par les fake news n'a cependant que peu à voir avec la manière dont les grandes idéologies du vingtième siècle manipulaient les masses.  Le fascisme et le communisme avaient des programmes clairs, des leaders, et des idéologies (le racisme, le communisme).

Les fake news du XXIème siècle ne proposent rien de positif aux masses. Ce ne sont que des réactions, comme celles qui guident les mouvements populistes d'aujourd'hui. On est contre, mais on ne sait pas bien contre quoi, et encore moins pour quoi on est contre.  Les voies de la propagande politique contemporaine ne sont jamais en faveur de X ou Y. Elles visent  essentiellement à provoquer le doute et l'indignation. C'est pourquoi les bénéficiaires de ces campagnes de manipulation de l'information ne sont pas des partis qui ont une doctrine définie, mais des partis groupés, comme en Italie avec les Cinque Stelle autour du seul slogan "Vas te faire foutre" ou "Dégage". Mais sans doute un jour un Leader s'imposera sur ce fond, comme jadis toutes les dictatures du passé. 

La seule arme qui restera alors sera encore la vérité. Aussi faible soit elle, elle coupe encore comme un rasoir.

L'impact de ces nouvelles technologies n'est-il pas accentué par l'affaiblissement des grands systèmes de pensée, religieux, politiques, etc. ? A quel défis, dans un monde ou les personnes semblent de plus en plus perdues, nous exposent ces nouvelles technologies ?

Tous les grands systèmes de pensée, et surtout les religions  ont commencé par des fake news  assez incroyables  mais qui ont marché - si on vous dit qu'un homme de Nazareth est revenu des morts, que croirez-vous ? Mais avec les fake news d'aujourd'hui, il n'y a pas autre chose que des individus isolés. Gardons nous pourtant de regretter les grands systèmes religieux ou sociaux. La seule possibilité d'en sortir est d'avoir des individus critiques, auxquels ont donne des moyens de survie rationnelle.  L'individu démocratique est à la fois le mal et le remède. Toute pensée de groupe est à bannir.

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