Les obstacles au dialogue
Quand le dialogue interreligieux se heurte à l’existence d’un islam politique
Chacune des trois religions du Livre prétend, depuis toujours, être la seule religion véritable. Cette affirmation alimente incompréhension, intolérance et persécutions. Éclairage avec "L'unité cachée : Judaïsme, christianisme, islam" d'Antoine Schwarz (Extraits 2/2).
Antoine Schwarz
Ancien élève de l’École nationale d'administration, dirigeant de sociétés de l'audiovisuel public, magistrat honoraire à la Cour des comptes, Antoine Schwarz plaide pour un nouveau mode de travail et d'échange dans un esprit œcuménique. L'Unité cachée est l’œuvre d'une vie de recherche. Antoine Schwarz est décédé quelques jours après avoir achevé son manuscrit.
C’est au moment où le dialogue interreligieux serait le plus nécessaire qu’il paraît le plus difficile à imaginer tant les tensions actuelles sont fortes, en particulier au Moyen-Orient. Chaque religion porte sa part de responsabilité, mais c’est l’existence d’un islam politique qui représente aujourd’hui l’obstacle principal et probablement durable.
La question de l’islam politique
« L’islam est politique ou il n’est rien » disait l’imam Khomeiny. De fait, l’islam ne connaît pas la séparation entre le spirituel et le temporel, entre le domaine religieux et le domaine civil. De ce point de vue, l’islam est l’héritier du judaïsme d’avant l’Exil mais pas de Jésus qui, le premier, avait eu l’audace d’affirmer : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu[1]. »
L’islam intégriste condamne la laïcité. Le chef spirituel soudanais Hassan al-Tourabi va jusqu’à considérer que « la séparation de Dieu et de l’État est d’une absurdité diabolique » et se justifie ainsi : « Si l’on croit en Dieu, on est bien obligé d’admettre qu’il est partout, que rien ne peut se faire sans lui. En Occident, vous n’êtes pas rationnels. Vous dites que vous croyez en Dieu mais vous l’avez enfermé, emprisonné dans vos églises, dans son tabernacle. Et vous ne l’écoutez que le dimanche matin, pendant une demi-heure, à la messe[2]. » L’argument de l’intégrisme est en réalité spécieux : il suppose que les croyants sont capables de consacrer la totalité de leur vie à la religion, ce qui est, bien sûr, l’objectif ultime, mais ne peut être exigé de la généralité des hommes. Les règles du Coran en matière de pratique religieuse sont d’ailleurs accommodantes. En revanche, l’extension du sacré à toute la vie quotidienne « civile » qui s’est produite dans de nombreux pays musulmans procède d’une déviation à proprement parler « totalitaire ».
Longtemps sous-jacente dans l’islam, cette tendance s’est affirmée ces trente dernières années au point de devenir l’une des données structurantes de l’actualité. À cette extension « verticale » de la religion dans la vie sociale, l’islam fondamentaliste ajoute une volonté d’expansion « horizontale » dans l’espace, c’est-à-dire au monde entier, y compris par la violence.
Relever le défi du fondamentalisme islamique devient donc, pour le siècle présent, l’enjeu politique majeur. Un bon moyen d’y faire face est d’aider l’islam à se moderniser, tout en sachant que l’essentiel devra être fait au niveau des peuples eux-mêmes. La modernisation de l’islam revêt un triple aspect politico-religieux, exégétique et spirituel. Il s’agit d’abord de sortir de l’interprétation totalitaire du Coran et d’affirmer le principe universel de liberté, notamment de la liberté religieuse hors de laquelle le sens même de la foi religieuse serait perverti. Il s’agit ensuite de procéder à un examen critique du Coran pour, par exemple, distinguer, parmi les différentes prescriptions, celles qui relèvent des circonstances particulières à l’époque de sa rédaction (versets « guerriers » de la période médinoise) des versets plus universels (période mecquoise)[3]. Il faut enfin que le monde musulman et les autres croyants des religions du Livre prennent conscience des valeurs d’intériorité qui sont celles de l’islam : comme l’indique le titre d’un ouvrage récent d’Éric Geoffroy : L’islam sera spirituel ou ne sera plus[4]. Il ne s’agit pas seulement de substituer une image « douce » de l’islam à une image « dure », mais de revenir à l’essence même des religions, ce qui vaut pour l’islam comme pour toutes les religions.
Ce mouvement de réforme suppose pour réussir que des conditions politiques minimales favorisant une certaine laïcité puissent voir le jour, comme le printemps de 2011 semblait en donner des signes d’espoir dans le monde arabe. Les intellectuels de pays de vieille tradition démocratique comme la France peuvent également jouer un rôle d’entraînement.
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Extrait de L'Unité cachée: judaïsme, christianisme, islam, Editions François Bourin (20 avril 2012)
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