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Légende noire... ou fait réel ? La vérité sur les liens entre le Vatican et les mafias
©STEFANO RELLANDINI / POOL / AFP

Bonnes feuilles

À mille lieues des fantasmes complotistes sur les papes et le Vatican, ce livre est l'anti-Da Vinci Code. Les légendes et les semi-vérités n'y ont pas leur place, si ce n'est pour être déconstruites. Extrait du livre "Le Vatican" de Christophe Dickès, aux éditions Perrin (2/2).

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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29  juin 2013. Alors que le pape François doit assister à un concert, la place d’honneur qui lui est réservée reste désespérément vide. Le Saint Père vient d’être informé de l’arrestation par la police italienne de Mgr  Nunzio Scarano, chef du service comptabilité de l’Administration du patrimoine du siège apostolique (APSA). Créée à la fin du xixe siècle, l’APSA est un office de la curie romaine chargé d’administrer les biens du Saint-Siège. L’annonce fait l’effet d’une bombe  : « Jamais un prélat n’avait été ainsi arrêté », écrit le vaticaniste Jean-Marie Guénois dans Le Figaro. L’Institut pour les œuvres de religion (IOR), la fameuse banque du Vatican, est en émoi  : six employés épluchent pendant des heures les transactions financières de Mgr  Scarano sur les dix dernières années. Originaire de Salerne, dans le sud de l’Italie, il est devenu prêtre à trente-cinq ans, après avoir travaillé plusieurs années dans la banque et la finance. Son entourage avait l’habitude de l’appeler « monsignor 500 », parce qu’il distribuait à des entrepreneurs des liasses de billets de 500 euros contre des chèques qu’il encaissait afin de couvrir ses propres dépenses. Accusé de blanchiment d’argent, Mgr Scarano est au cœur d’une affaire digne des plus grands romans d’espionnage. Avec l’aide d’un agent financier et d’un membre des services secrets italiens, tous deux arrêtés le même jour que lui, il est accusé d’avoir couvert le transfert de 20 millions d’euros en liquide depuis la Suisse . Client de premier plan de l’IOR, le prélat y possède jusqu’à dix comptes par lesquels ont transité jusqu’à 7 millions d’euros ! Proche de grands entrepreneurs italiens, l’homme fait état d’un curriculum vitae bien éloigné de ce que l’on peut attendre d’un homme d’Église : chaque mois, Scarano reçoit la somme de 20 000 euros de la part de l’armateur Cesare d’Amico. L’homme bénéficie aussi d’un patrimoine immobilier de valeur (un immeuble de deux étages et un appartement de 700m2 avec des œuvres d’arts estimées à 6 millions d’euros) et d’intérêts financiers dans plusieurs entreprises.

Cette affaire amène le pape François à revoir son agenda. Alors qu’il prévoyait de s’attaquer à la réforme des structures financières du Vatican et du Saint-Siège la deuxième année de son pontificat, l’arrestation de Scarano le pousse à nettoyer les écuries d’Augias dans les plus brefs délais.

En effet, depuis des décennies, des scandales impliquant des brebis galeuses du Vatican, l’IOR, des industriels italiens et la mafia elle-même défraient la chronique et assombrissent l’image de l’Église italienne et romaine. Le plus grand de ces scandales fut la faillite de la banque Ambrosiano qui, encore aujourd’hui, suscite de nombreuses interrogations. Le 5  juin 1982, Roberto Calvi, le président de la banque milanaise proche des milieux catholiques, écrit au pape Jean-Paul II un courrier dans lequel il confesse avoir endossé « le lourd fardeau des erreurs et des fautes commises par les représentants de l’IOR ». Il révèle aussi dans cette lettre avoir financé des groupes antimarxistes en Amérique du Sud et en Europe de l’Est, dont Solidarność qui jouera un rôle déterminant dans la chute du communisme. Après une première condamnation à quatre ans de prison avec sursis en 1981, Calvi reprend la marche de ses affaires, mais sa banque, avec un déficit de plus de 1,2 milliard de dollars, est exsangue. Le 18 juin 1982, son corps est retrouvé pendu sous le Blackfriars Bridge à Londres. Dans ses poches, on retrouve une liasse de billets et une brique cassée, symbole maçonnique. La veille, sa secrétaire, Graziella Corrocher, avait été retrouvée au bas d’un immeuble, défenestrée. Quelques semaines plus tard, au milieu de l’été, la banque Ambrosiano fait faillite, laissant sur le carreau des centaines de créanciers dont la banque du Vatican, l’IOR. En 2005, un tribunal établira que la mort de Calvi a été commanditée par des groupes mafieux afin de « le punir de s’être emparé de grosses sommes d’argent appartenant à [Cosa Nostra et à la Camorra] ; [afin d’]acquérir l’impunité, obtenir et conserver le profit des crimes relatifs à l’emploi et au blanchiment d’argent de provenance délictueuse ; [afin d’]empêcher Calvi de faire chanter les référents politiques et institutionnels de la franc-maçonnerie, de la loge P2 et de l’IOR, avec lesquels il avait géré les investissements et le financement de sommes d’argent considérables ». Au lendemain de la faillite de la banque Ambrosiano, les créanciers, qui avaient prêté des centaines de millions d’euros à Calvi, se tournent vers l’IOR afin d’être remboursés. En dépit des dénégations et du silence dans lequel s’enferme le Vatican, un accord à l’amiable est trouvé entre les deux parties sous l’impulsion du secrétaire d’État, le cardinal Casaroli : une « contribution volontaire » de 244 millions de dollars est versée aux créanciers.

En fait, si l’IOR est devenue une véritable plaque tournante de transactions douteuses vers des paradis fiscaux, c’est parce que son statut la place à l’abri des contrôles judiciaires et financiers et que ses employés bénéficient d’une immunité grâce à l’article 11 des accords du Latran entre l’Italie et le Vatican (1929). Dans cette affaire aux ramifications complexes et multiples, Calvi n’est pas le seul responsable. L’historien retient aussi le nom de Mgr Marcinkus, le « banquier de Dieu ». Habile et énergique, créatif mais parfois naïf, Marcinkus, originaire de la banlieue de Chicago, est nommé par Paul VI à la tête de la banque du Vatican alors qu’il ne possède aucune compétence financière. Il y reste près de vingt ans (1969-1989) ! Son rôle est de protéger les actifs du Vatican, notamment en transférant les plus-values réalisées dans le but évident d’échapper au fisc italien qui, depuis la fin des années  1960, peut désormais taxer les dividendes du Saint-Siège. Afin de l’aider dans sa tâche, Mgr Marcinkus fait appel à l’homme d’affaires sicilien et banquier Michele Sindona, proche des milieux mafieux italo-américains, condamné lui-même en 1986 et retrouvé mort dans sa prison après avoir absorbé une tasse de café contenant du cyanure. Sindona avait été accusé du meurtre de l’avocat Giorgio Ambrosoli chargé de la liquidation de sa propre banque, la Banca Privata Finanziaria. Lié aux milieux politiques italiens et à la loge maçonnique Propaganda Due, dite loge P2, dirigée par Licio Gelli, Michel Sindona, tout comme Roberto Calvi, en savait trop. Il le paiera de sa vie. Quant à Mgr Marcinkus, il est congédié au mois de mars  1989 par le pape Jean-Paul  II, deux ans après le mandat d’arrêt lancé contre lui par un tribunal milanais.

Le scandale Ambrosiano n’est pas le seul ayant entaché la réputation de la banque du Vatican.

Extrait du livre "Le Vatican" de Christophe Dickès, aux éditions Perrin

livre "Le Vatican" de Christophe Dickès

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