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Cet incroyable machisme qui a transformé la journée des droits des femmes en fête des femmes
©Pixabay

Bonne fête à toutes les femmes discriminées

Le 7 mars 2018, un journaliste de France info TV exprima à l'antenne une des deux perles auxquelles nous avons droit chaque année : le 8 mars serait "la journée de la femme".

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

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Toutes les femmes seraient identiques. C'est bien connu : LA femme est sensible, LA femme est plus apte à s'occuper du foyer, LA femme adore le shopping, etc. Le 8 mars serait donc sa journée, la seule sur 365. Elle pourra se reposer, ne pas faire le ménage et… faire du shopping. On pourra même lui offrir un cadeau. Car pour certains, le 8 mars serait "La fête de la femme". C'est la deuxième perle.

Nous aurons ainsi encore droit cette année à un florilège de "Bonne fête" ou "Joyeuse fête à toutes les femmes !", comme pour Noël, l’Aïd, la Saint-Valentin ou la fête des mères. Je suppose que les femmes à qui cette journée est destinée, celles qui sont discriminées en raison de leur sexe et dont les droits sont bafoués, sont ravies de savoir qu’on leur souhaite bonne fête.

Ces formulations, au-delà d'être fausses, sont machistes. En réalité, le 8 mars est la "Journée internationale des droits des femmes". La différence est de taille. Elle est même opposée aux deux autres. Cette journée, reconnue par l'ONU en 1977, s'inspire des luttes des ouvrières et des suffragettes du début du XXe siècle pour leurs droits. C'est une journée pour informer, interpeller, sensibiliser les citoyens sur les inégalités et les discriminations que vivent encore les femmes aujourd’hui (emploi, salaire, traditions patriarcales, oppressions religieuses, harcèlement sexuel, tâches ménagères, etc.).

Cette journée d'information et de sensibilisation pour les droits des femmes transformée en "Fête de la femme" détourne l’objectif du 8 mars à l'avantage du machisme et du patriarcat, notamment dans les pays où religion et traditions sont fortement ancrées. Il y a quelques années par exemple, sur une chaîne publique de la télévision algérienne, j'avais vu affiché en grand sur l'écran "Bonne fête de la femme", avec un joli bouquet de roses rouges. Les femmes sur le plateau avaient chacune un bouquet de fleurs devant elles. Comme c’est charmant et mignon. Chacune y allait de son discours conservateur : valoriser le rôle central de la femme dans la cellule familiale, faire le nécessaire pour mieux accompagner les femmes dans leur rôle de mère, "la femme est un bijou à l’extérieur et un trésor à l’intérieur", etc. Mais rien ne fut dit concernant les difficultés des Algériennes qui désirent jouer au football en club, ou bien les inégalités sexistes inscrites dans les lois, la montée du conservatisme concernant le corps des femmes qui doit être de plus en plus caché, le harcèlement de rue, ou même encore le droit à l’IVG, la contraception, le mythe de la virginité au mariage, les difficultés d’accès à certains emplois en raison de leur sexe, et tant d'autres sujets.

Offrir un bouquet de fleurs ou un cadeau aux femmes (une machine à laver, une trousse de maquillage, un joli fer à repasser ?) comme si c’était la Saint-Valentin est le meilleur moyen de détourner la raison d’être de cette journée et de maintenir l’inégalité des droits.

Les réseaux sociaux n’échappent pas au phénomène. Pour prendre un exemple parmi tant d'autres, un homme avait partagé une image sur le mur Facebook d’une de ses amies. Il y était écrit "Happy women’s day" avec des roses rouges autour (dans les milieux patriarcaux, les roses rouges ont beaucoup de succès le 8 mars). En moins de vingt minutes, une dizaine de femmes avaient commenté sa publication, non pas pour critiquer sa démarche mais pour le remercier et lui dire qu’il était "super gentil !" Autrement dit : "Amusez-vous aujourd’hui. Prenez votre obole. A partir de demain et pour les 364 prochains jours, vous retournerez à votre place". Et des femmes lui disent merci… Encore plus incroyable, nombreuses sont aussi les femmes à se souhaiter "Bonne fête" entre elles. Les images de roses "Happy women’s day" pour "fêter" le 8 mars sont à présent légion. Le rose, symbole des stéréotypes genrés, est devenue la couleur dominante de cette journée. Ce détournement a pris une telle ampleur qu'il est devenu un phénomène commerciale dans le monde entier. Nous avons droit cette année à des centaines d'offres comme une promotion pour sacs à main dans une boutique vietnamienne, une "entrée gratuite pour toutes les filles" pour une boite de nuit guinéenne, une remise de 50% pour un accès illimité à un centre de remise en forme belge valable uniquement le 8 mars, une pose de vernis offerte par Marionnaud ce même jour à Sevran…

Nous pourrions trouver cela drôle si ce n'était pas si grave. Au fil des années, cette journée internationale évolue vers ce qu'elle est censée dénoncer. Les personnes qui l'avaient créé en pleureraient.

Soyons fous, adoptons le même raisonnement que ces personnes : le 25 novembre est la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes… "Bonne fête à toutes les femmes violentées !"

Pour ma part, j'encourage toutes les femmes à se battre, cette journée permettant aux féministes de mettre en lumière les inégalités et les discriminations quotidiennes. J'invite chacune et chacun à maintenir la lutte tout au long de l'année, dont celle contre le détournement sexiste et patriarcal du 8 mars.

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