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Mais pourquoi serait-il moins recommandable de lire les mémoires de Jean-Marie Le Pen que les livres de Christine Angot ?
©JOHN THYS / AFP

Deux poids deux mesures ?

"On n'est pas couché" n'est pas seulement une émission exaspérante à cause de Laurent Ruquier et de son caractère vulgairement promotionnel et mécaniquement rigolard. Mais pour un motif qui en définitive est presque plus grave.

Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Parce qu'elle donne au duo phare - quelle nostalgie nous point en songeant à Naulleau et Zemmour ! - formé par Yann Moix et Christine Angot une visibilité, une importance, une influence sans commune mesure avec sa qualité intrinsèque.

Parce qu'elle constitue une caisse de résonance pour le moindre propos de l'un ou de l'autre et qu'elle incite à adhérer, sans l'ombre d'une réserve, à la pertinence et à la profondeur de telle ou telle pensée qui est recueillie médiatiquement comme une révélation, telle une lumière. Rarement contestée.

Parce qu'elle conduit à exclure forcément une présomption qui n'est pas si rare que cela : celle de la bêtise.

D'autant plus qu'on n'ose pas l'invoquer face à une Christine Angot si naturellement concentrée sur elle-même, tellement persuadée de la fulgurance de ses réflexions que tout, chez elle, physiquement, cherche à nous transmettre l'éclat de son génie, avec une expression évidemment sans limpidité.

Qui pourrait avoir l'audace de se moquer d'une attitude tellement certaine, par sa componction et sa gravité affectée, de dominer le débat et de mériter d'être admirée, toutes affaires cessantes ? Christine Angot se prend tellement au sérieux qu'il serait indélicat, presque grossier de la prendre à la légère.

Yann Moix est d'une autre qualité. On peut discuter ses positions, les polémiques qu'il lance à intervalles réguliers moins parce qu'il y croit que par un souci constant de se démontrer qu'il continue à exister et qu'il demeure un vif trublion, un provocateur qui ne s'assoupit pas. Il annonce qu'il va déposer plainte pour diffamation, à ses risques et périls, au sujet de Calais, contre le ministre de l'Intérieur. Cette nouvelle va le rassasier durant quelque temps. Yann Moix peut être insupportable mais au moins n'est jamais stupide.

J'ai la faiblesse, en revanche, d'aller jusque là quand je prends connaissance des réactions de Christine Angot au sujet du succès - certain et qui était prévisible - du premier tome des Mémoires de Jean-Marie Le Pen.

Elle est meurtrie et déçue par les Français parce que 50 000 d'entre eux l'avaient commandé avant même sa publication et que, selon elle, cela en dit long sur le rapport des citoyens avec la Shoah, le nazisme, le fascisme et les Juifs. Elle est choquée par le fait que Jean-Marie Le Pen, "réhabilitant" Pétain et "frisant le négationnisme", soit traité comme "une petite star".

Je pourrais, pour répliquer à ces inanités, m'abandonner à une attaque facile. Pour beaucoup, Christine Angot, dans ses livres, est aussi éloignée d'une authentique littérature que Jean-Marie Le Pen d'une conception non provocatrice de l'Histoire. Pourtant elle est lue et même encensée par certains critiques sous son charme. Pourquoi les Mémoires de JMLP n'auraient-ils pas le droit d'intéresser. 

Il y a matière à une autre argumentation pour battre en brèche ce que je n'hésite pas à qualifier de bêtise, mais conforme au canon de la bienséance.

Le premier tome va de la naissance de Le Pen en 1928 jusqu'à la création du FN en 1972. Je le lirai évidemment, et encore plus le second, parce qu'il relatera probablement les procès m'ayant opposé à lui quand il avait poursuivi le Canard enchaîné et Libération et que j'étais ministère public à la 17ème chambre correctionnelle à Paris.

Au-delà de ces péripéties personnelles, la passion de la chose publique et de la politique, au sujet d'une personnalité qui, qu'on l'ait adulée dans sa mouvance ou qu'elle ait été plus largement détestée, a structuré, durant 46 ans, une part de notre Histoire, m'aurait naturellement conduit à ne pas négliger cet ouvrage.

Même en ne se fondant pas sur une dilection qui m'est propre pour ce type de livres - qu'il aille de JMLP à l'extrême gauche -, il me semble que l'étonnement réprobateur de Christine Angot est absurde. Ainsi la curiosité historique et civique serait à blâmer ? Ainsi il ne faudrait surtout pas lire l'ouvrage d'un auteur qui ne mériterait que d'être stigmatisé et haï à cause de son parcours ? Ainsi se plonger dans ce premier tome serait forcément valider le pire de ce personnage ?

Quelle étrange conception, et au fond déplorable et si bête, de la démocratie et de la citoyenneté que ce mépris à l'encontre de lecteurs qui, par leur acte, montreraient tout ignorer des horreurs du nazisme, du fascisme, de la Shoah ! Quelle vision étriquée et médiocre du débat politique et intellectuel que cet ostracisme qui devrait être obligatoire à l'égard d'un livre à ne percevoir que telle une monstruosité !

Ce qui serait le signe d'un assoupissement républicain et d'une paresse civique aurait résulté, au contraire, dans la société civile, d'une indifférence à l'égard de ce premier tome ou d'un refus scandalisé ! Comme si ignorer garantissait la préservation des principes éthiques et historiques alors qu'elle ne peut être assurée que grâce à la connaissance !

Cette réduction vertigineuse de l'intelligence, heureusement indissociable d'une forme de pluralisme qu'on cultive et à laquelle on s'astreint, montre à quel point certains de nos donneurs de leçons - elle en est au premier rang - se dépouillent délibérément de ce qui pourrait au contraire les rendre plausibles, ouverts et convaincants !

Entendre Christine Angot proférer, le plus sérieusement du monde, en étant suivie avec un incongru enthousiasme médiatique, ce qui au fond n'est qu'une ineptie peut faire douter de notre grille de valeurs et de la lucidité d'un milieu qui s'autocélèbre, s'autocite et confond la diffusion d'un propos avec sa pertinence.

La comparaison est discutable, j'en ai conscience, mais je force le trait délibérément. Il faut tout lire. Il fallait lire Mein Kampf. L'horreur n'était pas de lire. L'horreur - et la naïveté - avaient été de ne pas croire possible ce qu'on avait lu.

On ne devrait plus prendre Christine Angot au sérieux. Une bonne dose d'ironie lui ferait du bien.

Cela la désintoxiquerait d'elle-même.

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