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Formation professionnelle : du big bang annoncé à l’étatisation et à la complexification programmées par Muriel Pénicaud
©LUDOVIC MARIN / AFP

Usine à gaz

Muriel Pénicaud a dévoilé lundi son plan de réforme pour la formation professionnelle, le serpent de mer pour tous les gouvernements qui se succèdent. On avait cru à un peu de libéralisation. On assiste à une étatisation. Dommage.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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S’agissant de la formation professionnelle, sujet ésotérique par excellence, Muriel Pénicaud avait déjà renoncé, dès l’automne, à toucher au vrai problème de l’opacité: celui de la distinction mystérieuse entre apprentissage et professionnalisation, à laquelle personne ne comprend rien. Ce mystère est d’autant mieux entretenu qu’il permettait à tout le monde d’aller à la gamelle : les établissements d’enseignement initial avec la taxe d’apprentissage, et les partenaires sociaux avec la contribution obligatoire à la professionnalisation.

Pour compenser sa timidité, vérifiée également sur la réforme de l’assurance-chômage, Muriel Pénicaud avait annoncé un big bang sur la formation professionnelle. Celui-ci était supposé avoir lieu ce matin. En fait, c’est plutôt à la naissance d’un trou noir qu’on a assisté: celui d’une étatisation grandissante de la formation professionnelle. 

Pénicaud crée une nouvelle obligation pour les entreprises

Officiellement, Muriel Pénicaud a pris une première mesure neutre pour les entreprises: elle a transformé les crédits d’heures de formation des salariés en crédits monnayables (500 euros par an plafonné à 5.000 euros). Jusqu’ici, les partenaires sociaux avaient toujours refusé de mener ce genre d’opération, pour une raison simple: la monétisation suppose un provisionnement dans les comptes, qui va coûter cher aux entreprises. 

Par exemple, une entreprise qui procède au licenciement de 1.000 salariés qui n’auraient pas liquidé leurs droits à formation pendant trois ans devrait provisionner 1,5 millions d’euros supplémentaires. Ce petit détail, bien connu des partenaires sociaux, est malheureusement à rebours de la flexibilité souhaitée par le président. D’un côté, on facilite les procédures collectives, de l’autre on les complique. Incorrigible manie réglementante des pouvoirs publics. 

Pénicaud sacrée reine de l’URSSAF

Mais l’innovation prétendument la plus audacieuse de Muriel Pénicaud restera une mesure… d’étatisation particulièrement sanglante: la collecte des contributions obligatoires des entreprises en matière de formation professionnelle par les URSSAF en lieu et place des OPCA, et en même temps que la taxe d’apprentissage.

Concrètement, cette mesure revient à confier aux URSSAF le pouvoir de collecter des contributions qui n’avaient pas acquis jusqu’ici le statut de prélèvements obligatoires au sens constitutionnel du terme. Ceci se fait bien entendu au nom de la simplification, dont on verra tout à l’heure l’ambiguïté.

En soi, la mesure n’est pas choquante. Elle consiste simplement à étatiser un dispositif. Après la bascule définitive du RSI dans le régime général, qui fait les beaux jours de l’URSSAF, voici une nouvelle mission en perspective qui permet de centraliser définitivement entre les mains d’un opérateur contrôlé par l’Etat des opérations qui relevaient jusqu’ici de la transaction privée. 

Le faux argument de la moralisation du financement

On trouvera dans une presse mal informée un argument bidon sur ce sujet. Il s’agirait de moraliser les fonds de la formation professionnelle mal utilisés, paraît-il, par les OPCA, les organismes chargés à ce jour de la collecte.

Le problème est que l’URSSAF collectera bien les fonds, mais ne sera pas habilitée à les dépenser. Les salariés continueront à « consommer » de la formation à partir d’une offre qu’il faudra bien payer. Or, si l’URSSAF collectera les montants nécessaires pour financer ces stages de formation, elle ne sera guère équipée pour liquider les factures au vu de la participation réelle des salariés. 

Etatisation et complexification

Si l’on examine les choses de près et d’un point de vue un peu opérationnel, on se demandera même quelle simplification cette mesure apporte. Soyons clairs: elle devrait même apporter beaucoup de complexification dans un système qui n’en manquait pourtant pas. 

Concrètement, l’URSSAF va collecter les contributions obligatoires des entreprises à la formation professionnelle (de l’ordre de 1,5% de la masse salariale). Mais l’enjeu n’est pas de collecter, mais de former! Ce petit point semble avoir échappe aux crânes d’œuf qui ont conçu la réforme.

Donc, lorsque l’URSSAF aura versé sur un compte en banque les 7 ou 8 milliards d’euros de la collecte annuelle, qu’en fera-t-elle? Elle se tournera naturellement vers les OPCA pour qu’il rembourse les formations présentées au guichet par les entreprises adhérentes. 

Dans l’esprit de Muriel Pénicaud, les OPCA seront mis en concurrence avec des opérateurs « libres ». On suivra cette réforme de près, car elle pose plus de problèmes techniques qu’on ne croit. 

D’ici là, et dans tous les cas, d’un système où il existait un intermédiaire (l’OPCA), on basculera dans un système où il en existera deux (l’URSSAF et les OPCA). Tu parles d’un big bang, Muriel! 

C’est un nouveau trou noir que tu viens de créer, et pas un salarié n’y sera gagnant. On devait simplifier, on fait exactement l’inverse. 

Rendez-vous dans 5 ans pour la prochaine réforme tout aussi absurde.

Article initialement publié sur le site d'Eric Verhaeghe

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