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Quotas de femmes dans le cinéma : et la ministre de la Culture en profita pour imaginer de nouvelles subventions du CNC dans un univers déjà perverti par le mille-feuilles des aides
©AFP

Ça, c’est Paris

Jeudi, Françoise Nyssen s'est montrée favorable à l'attribution de subventions aux projets de cinéma dirigés par des femmes.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Après s'être déclarée favorable à des quotas de femmes dans le cinéma, la ministre de la Culture Françoise Nyssen a proposé d'attribuer des subventions aux projets de cinéma dirigés par des femmes. Dans un secteur déjà largement subventionné, et dont les dysfonctionnements sont nombreux, comment interpréter une telle proposition visant une nouvelle fois à corriger un effet par une subvention ?

Michel Ruimy : Revenons quelques instants sur les faits. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, daté du 1ermars, un collectif de professionnels du cinéma dénoncent une discrimination toujours présente dans le monde du cinéma français et s’engagent pour l’établissement de quotas de femmes pour parvenir à la parité.Citant les cas de la Suède, de l’Irlande, de l’Espagne et du Canada et mettant en avant le fait que le Conseil de l’Europe a recommandé, en septembre dernier, aux Etats membres de l’Union européenne de prendre des mesures pour favoriser l’égalité dans ce domaine, les signatairesinvitent la France à revoir sa législation.

Cette initiative s’inscrit dans la tonalité du discours prononcé par la ministre de la Culture, il y a 3 semaines, lors du comité ministériel pour l’égalité entre les hommes et les femmes et dans lequel elle prenait l’engagement de rendre, d’ici 4 ans, le monde de la culture, où les postes et les moyens de production sont très inégalement répartis,plus égalitaire. Cette position a été encore réaffirmée, il y a quelques jours, lorsque la ministre de la Culture s’est dite favorableà l’établissement de quotas évoquant que le CNC attribuait des aides en fonction de critères et que « les quotas peuvent tout à fait rentrer, eux aussi, dans une réflexion et dans des critères ».

Une discrimination positive est-elle nécessaire pour améliorer la place des femmes dans le cinéma ? Il est certain que l’application de quotas dans d’autres domaines que le cinéma, et je pense à l’accès à des établissements d’études supérieures, a permis à des étudiants défavorisés d’accéder plus facilement à des études.

Ce qui me gêne dans la démarche de Françoise Nyssen est de laisser croire qu’en allouant aux femmes plus d’argent, il y aurait plus de réalisatrices. On se reporte tout le temps sur lui. Mais la réalité est que lorsque vous avez les qualités pour réaliser un « bon » film, l’argent n’est jamais une excuse.L’argent est un facilitateur de choses mais aucunement décisif. Il permet d’obtenir non pas de l’équipement, les services de techniciens ayant une expertise…mais de gagner du temps.Si vous manquez de capitaux, vous prendrez plus de temps à convaincre les personnes de venir sur votre tournage, vous passerez plus de temps à attendre le bon moment pour tourner dans un lieu car vous avez obtenu le créneau où le lieu est fermé ou un horaire qui ne représente pas une perte pour le gérant de l’établissement.Si vous avez de l’argent, vous accéderez à tout, plus vite. Pour autant, vos problèmes ne s’envoleront pas. L’argent ne résout pas tout. Il est un moyen parmi d’autre. Il n’est pas LA solution.

Par ailleurs, on ne doit pas parler de discrimination à l’embauche.La lutte contre les inégalités dans le cinéma par l’instauration d’un critère de genre dans l’attribution de subventions à des femmes, risque, en fait, sur le fond, d’entraîner d’autres. Avec cette initiative, on risqued’assister à une situation de discrimination inversée où un cinéaste masculin génial risque de se voir refuser une aide au profit d’une réalisatrice moins talentueuse que lui. Ce qui amènerait à penser que des critères artistiques ou techniques ne seront plus pris en compte.En outre, la perversité d’un tel système est telle qu’il peut s’avérer qu’une femme qui a réussi par ses propres moyens, soit considérée comme le résultat de cette discrimination positive.

Mais surtout, au final, il ne faut pas oublier que le cinéaste ne doit pas être que talentueux. Il se doit aussi d’être performant pour que l’industrie cinématographique vive.

Quels sont les effets pervers provoqués par l’argent public dans le secteur du cinéma ?

L’industrie cinématographique possède la particularité, au sein des industries culturelles, de nécessiter des coûts de production très élevés. Même si le prix des caméras et de logiciels de montage a baissé grâce à de nouvelles technologies, le financement d’un film nécessite souvent un montage financier complexe, mobilisant de nombreuses et différentes sources.

Il existe 2 modèles de financement, qui sont généralement combinés dans des proportions variables : le financement par l’amont (apport des producteurs) ou par l’aval (anticipation des recettes des diffuseurs).

En France, si les aides publiques (aide automatique pour les films agréés par le CNC, avances sur recettes, subventions, aides fiscales…) jouent un rôle non négligeable dans le financement de la production (environ 13%), il faut savoir que, de nos jours, la télévision a pris le pouvoir. Elle est devenue le principal financeur du secteur, essentiellement sous forme de préachats. En ce sens, on voit que la décision de la ministre de la Culture aura un impact modéré.

Depuis les années 1980, on est passé d’un financement risqué et dont la rentabilité dépendait très largement de la carrière du filmen salles,à un financement moins risqué et dont lesretours sur investissement sont, à lafois, étalés dans le temps et moins dépendants de la réussite commerciale.

En fait, aujourd’hui, le financement du cinéma français est largement déconnecté de sa réussite en salles et un film rencontre des difficultés à se réaliser s’il n’est pas préacheté par une chaîne de télévision. C’est un constat ! Le cinéma français repose sur une économie de plus en plus subventionnée. Même ses plus gros succès commerciaux perdent de l’argent.

Ce qui est en cause, ce sont les obligations faites aux chaînes de télévision d’investir dans la production cinématographique provoquant, de ce fait, une inflation du nombre de films et des budgets et limitant, pour la majorité des films, tout espoir de rentabilité. Le marché est distordu par ces obligations de financement ressemblant peu ou prou à des subventions déguisées.

De fait, les producteurs français n’ayant pas la maîtrise de tous les droits des films qu’ils produisent sont plus soucieux d’assurer le bouclage du tour de table financier de leurs projets que de leur équilibre d’exploitation. Par ailleurs, le désintérêt de plus en plus marqué des chaînes de télévision pour les films pousse ces dernières à concentrer leurs investissements sur les films à fort casting et gros budget. D’autre part, elles s’acquittent de leurs obligations réglementaires en investissant dans de petits films qu’elles ne passeront même pas à l’antenne. Ce quipose le problème des « films du milieu » c’est-à-dire ceux qui ne sont pas suffisamment attractifs pour mobiliser les chaînes de télévision, et trop chers cependant pour intéresser les investisseurs.

N’oublions pas la SVOD (vidéo à la demande avec abonnement) qui est en plein essor. Elle secoue déjà les chaînes de télévision, et s’apprête à faire de même avec les sociétés de production cinématographique. Dès lors, en plus de les concurrencer en produisant leurs propres films, les plateformes de divertissements à la demande annoncent-elles la fin des salles obscures, chères aux cinéphiles, au profit d’une « consommation » en solitaire, effectuée seul dans sa chambre ?

Netflix et Amazon vont-ils « disrupter » le cinéma ? Là sont les questions, qui en soulèvent d’autres, notamment celle de l’« exception culturelle » française.

En quoi une telle proposition pourrait-elle être révélatrice du mode de fonctionnement du pays ?

Je crois qu’il faut élargir la réflexion.

Lorsqu’Emmanuel Macron veut libérer l’emploi pour en créer en modifiant le code du Travail, certains entendent que cette réforme va faciliter les licenciements. Lorsqu’il baisse les impôts sur le capital pour le débloquer, d’autres y voient un cadeau aux « riches ». Lorsqu’en Guyane, il veut rompre la spirale mortifère des subventions et rétablir un peu de compétitivité locale, d’autres encore parlent que du « Père Noël » qu’il refuse d'être. En France, tous les débats publics revêtent un caractère polémique. On passe notre temps autour des symboles et pas des faits. Faute de savoir tenir le débat sur le plan économique, on politise de « manière caricaturale » les initiatives.

La France est un pays où l'économie a toujours joué un rôle secondaire. « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille » avait affirmé, en son temps,le général de Gaulle. Faute d’avoir pris conscience de la mutation de son environnement économique, il en est ressorti, de manière générale, un manque de compétences de la classe politique et de l’Administration, et une faiblesse globale d’analyse économique des politiques publiques. Ce déficit s’est fait sentir cruellement dans les domaines qu’il souhaitait « transformer » (logement, éducation, formation…). Et l’Administration, à chaque détour, reprenait la main sur les textes avec une vision juridique et ignorante de l’économie concrète.

Donner une culture économique aux Français passe forcément par le lycée. Or, aujourd’hui, le lycée n’apprend pas l’économie aux Français. L’une des missions du gouvernement doit être de rendre l’économie plus compréhensible et plus accessible aux yeux de tous afin d’améliorer la compréhension des mécanismes économiques, notamment des populations les plus jeunes. Il faut que le président de la République s'en préoccupe, de même que de grandes institutions à l’instar de la Banque de France avec son portail « Mes questions d’argent ».

Or, à cette tradition séculaire, s’est ajouté, ces dernières années, une « lutte » contre le libéralisme. Pour une majorité d’économistes, une synthèse s’est fait jour autour de la question de la régulation : le marché reste le principe de base mais il n’est pas naturellement efficient, il convient de l’encadrer, notamment dans la culture. Comment ? Voilà le sujet.

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