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Enseignement supérieur : pourquoi cela va mal mais certaines lueurs d'espoir existent
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Cancre

Un cabinet d'expertise anglais considère que les universités françaises régressent plus que toutes ses concurrentes européennes. Un nouvel exemple de l'exception culturelle française ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Selon le cabinet britannique Quacquarelli Symonds, qui classe mondialement les universités par domaine disciplinaire :« Les institutions françaises régressent plus qu’aucun autre système d’enseignement supérieur en Europe », notamment en raison du manque de moyens. Comment expliquer cette situation qui semble être une particularité française ? Comment parvenir à expliquer un manque de moyens dans un pays dont les dépenses publiques sont au plus haut du continent européen ?

Edouard Husson : Une précision, si vous me permettez: Quacquarelli Symmonds, que l’on abrège communément en QS, est une entreprise britannique qui fait du conseil aux universités et qui publie aussi de nombreux classements dans l’année. Vient de paraître effectivement un classement des départements disciplinaires. QS publie plusieurs autres classements dans l’année. Le plus connu, auquel il est fait allusion dans l’article, est le classement mondial des universités. QS n’est pas la seule à proposer des classements. Le “ranking” le plus connu est celui dit de “Shanghai” puisqu’il est produit par un centre de recherches de l’université Shanghai Jiao Tong,. Il y a aussi des classements réalisés par le Times Higher Education, par un centre de recherches à l’Université de Leiden, et un classement imaginé par les Européens en réponse au classement de Shanghai, U-Multirank. Il y en aurait encore d’autres à citer, comme le classement du Financial Times pour les business schools. Le plus important est de voir que, globalement, tous ces classements sont réalisés avec rigueur et sérieux. Chaque classement a des spécificités; par exemple QS prend en compte la réputation académique et la réputation auprès des employeurs, entre autres critères, tandis que le classement de Shanghai est plus intéressé par le nombre de prix Nobel et de médailles Fields dans le corps facultaire et parmi les alumni. Ce que nous dit le classement disciplinaire que vient de publier QS, c’est que les universités d’Europe continentale perdent des places au profit des universités d’Asie. Ce ne sont pas seulement les universités françaises qui sont en jeu. C’est toute l’Union Européenne, si l’on veut, qui n’a pas atteint les objectifs de part du PIB consacrée à la recherche adoptés à Lisbonne en 2000. Une fois dit cela, il n’est pas exact de dire, dans le cas français, que la faute en revient au manque de moyens. Les gouvernements français successifs depuis la fin des années Chirac ont au contraire fait un effort important pour l’enseignement supérieur et la recherche, en particulier grâce au Plan d’Investissements d’Avenir (PIA), lancé par Nicolas Sarkozy et continué par ses deux successeurs. Il serait plus exact de dire que dans beaucoup d’endroits du monde les financements, publics ou privés, de l’enseignement supérieur et de la recherche augmentent alors qu’ils ont tendance à stagner en France et ils ont baissé dans d’autres comme en Italie. 

Quelles ont été les erreurs commises par le passé qui ont pu amener les Universités à la situation actuelle ? Quels ont été les choix, ou les non choix à l'origine du résultat présent ?

Je dirais au contraire qu’il y a eu en France, depuis Claude Allègre, une grande lucidité sur les enjeux. L’ancien ministre de Lionel Jospin avait le premier tiré la sonnette d’alarmes, en jugeant que les universités françaises avaient baissé de niveau en comparaison internationale. A l’époque, tout le monde lui avait ri au nez. Puis, cinq ans plus tard, est paru le premier classement de Shanghai. Bien des observateurs ou acteurs français du système d’enserignement supérieur n’en croyaient pas leurs yeux: la Suisse et les Pays-Bas avaient de meilleures performances que la France. Ce choc de réalité a permis aux chercheurs qui avertissaient depuis des années sur le manque de moyens de se faire entendre. Les Etats généraux de la Recherche qui s’en sont suivi ont créé une très belle dynamique et sont directement à l’origine de la loi consacrée à la recherche (2006) et de la loi Liberté et Responsabilité des Universités (dite loi Pécresse) de 2007. A l’époque, le législateur a bien compris qu’il y avait d’abord une question d’organisation. Les meilleures universités dans les grandes nations universitaires du monde fonctionnent la plupart du temps sur le modèle de l’université dite humboldtienne, du nom de Guillaume de Humboldt, réformateur prussien du début du XIXè siècle. On y forme les étudiants au plus près de la recherche en train de se faire. En France, pour des raisons historiques complexes, l’Etat avait le plus souvent préféré ajouter de nouveaux types d’institutions plutôt que de réformer ce qui existait. Et puis Napoléon et ses successeurs avaient centralisé au moment où l’Allemagne, l’Angleterre, les Etats-Unis, misaient sur des universités autonomes. La création des “grandes écoles” à partir de la seconde moitié du XVIIIIè siècle ou bien le développement des organismes de recherche après 1945 sont de très grandes choses mais notre pays a négligé durant deux siècles l’autonomie de ses universités. L’intuition très juste des années 2000, c’est de susciter une intégration des forces de recherche, de formation et d’innovation des universités, des grandes écoles et des organismes au sein d’universités d’un type nouveau. C’est tout le sens du programme dit des “initiatives d’excellence”. Lancé sous Nicolas Sarkozy, le programme est toujours en cours. Il a déjà produit de très beaux résultats puisqu’en sont nées de nouvelles universités pluridisciplinaires et performantes en recherche à Aix-Marseille, Bordeaux et Strasbourg. Tout récemment Paris-Sorbonne et l’Université Pierre et Marie Curie ont fusionné pour créer Sorbonne Université qui va apparaître vite dans les classements internationaux à une très bonne place. Ce qui a été très important dans ce processus, c’est que la qualité d’organisation des projets a été confiée, pour évaluation, à un jury international. Cela a permis deux choses: une imperméabilité du processus au lobbying; et une grande exigence quant à la robustesse des nouvelles institutions créées. Le jury évalue les projets en comparaison internationale. le gouvernement décide de les financer en connaissance de cause. 

Dès lors, quels sont les enjeux pour le gouvernement actuel ? Quelles sont les priorités à ne pas rater pour permettre une sensible amélioration de la situation et remettre la France dans une situation favorable ? 

Il faut d’abord mener jusqu’au bout le processus des “initiatives d’excellence”.  D’ici quelque temps, d’autres universités de rang international issues de ce processus feront leur apparition dans les classements internationaux et vous verrez que nos médias se réjouiront de bons classements: en Ile-de-France, vous aurez l’Université Paris-Saclay, l’Université PSL (Paris Sciences & Lettres, déjà entrée dans le classement du Times Higher Education) et une troisième, encore au début de la construction, issue de la fusion de Paris-Diderot et Paris-Descartes: quand l’intégration de ces deux universités en une seule entité aura réussi la France aura la première Faculté de médecine d’Europe! Vous aurez aussi l’Université de Grenoble, l’Université de Nice, deux très beaux projets déjà en construction et une université de Lyon encore au stade de la conception. On ne peut pas les mentionner tous mais il y a d’autres projets très bien partis comme celui qu consiste à regrouper l’Université de Cergy-Pontoise, l’Essec et plusieurs autres grandes écoles sur le modèle de l’Université de Reading, en Grande-Bretagne, intégrant Henley Business School. Il faut que ce processus soit mené à terme dans des délais relativement courts: les institutions ne sont que des moyens au service de la recherche, de la formation et de l’innovation. Vous devinez facilement l’impact international mais aussi l’amélioration du moral du pays à partir du moment où vous aurez quatre universités françaises dans les cinquante meilleures du classement de Shanghai et vraisemblablement sept en tout dans le “Top100”. 

L’autre grand enjeu ce n’est pas seulement l’augmentation des financements. Ce sont les modes d’allocation des moyens et l’autonomie des institutions.  Contrairement à ce que suggère l’article du Monde, l’Etat fait un effort considérable de financement public. Evidemment on peut toujours souhaiter plus, et pas seulement dans un monde idéal. Nous allons voir, par exemple, si un nouveau gouvernement CDU/SPD en Allemagne, à partir du moment où il sera confirmé tient les engagements de son programme en matière de financement de la recherche. Cela aura un effet d’entraînement sur une Europe moins ambitieuse en matière d’enseignement supérieur depuis que la crise est passée par là. Mais il faut aussi apprendre à toujours mieux utiliser l’argent disponible. Les universités apprennent, grâce aux outils d’analyse et de traitement des données à grande échelle, à mieux comprendre leur environnement, leurs forces et leurs faiblesses internes, à mieux allouer les moyens. Des universités autonomes, dotées des bons outils de pilotage, cela attire des financements, publics ou privés; on devient attractif pour les étudiants, pour les chercheurs, pour les autres acteurs socio-économiques. Il faut tisser un nouveau pacte de confiance entre la société française et ses universités rénovées. L’Etat restera inévitablement un financeur car la bonne recherche et la bonne formation c’est un bien collectif qui coûte cher. Mais l’Etat doit aussi favoriser le renforcement de l’autonomie des universités pour qu’elles inventent, chacune selon son potentiel, les bonnes réponses au monde de demain: par exemple la formation tout au long de la vie devient une évidence à l’âge de l’industrie 4.0 et nos universités sont encore très peu préparées à relever ce défi. 

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